Pour conserver les couleurs fraisches, il faut peindre en mettant toûjours des couleurs, & non pas en frottant apres les avoir couchées sur la toile; & s'il se pouvoit mesme faire qu'on les mist justement dans leurs places, & que l'on n'y touchast point quand on les y a une fois placées, il seroit encore mieux; parce que la fraischeur des couleurs se ternit & se perd à force de les tourmenter en peignant. ,Tous ceux qui ont bien colorié, avoient encore une autre maxime pour maintenir les couleurs fraiches, vives & fleuries; c'estoit de se servir de fonds blancs, sur lesquels ils peignoient, & souvent mesme au premier coup, sans rien retoucher, & sans y employer de nouvelles couleurs. Rubens s'en servoit toûjours; & j'ay vue des tableaux de la main de ce grand homme faits au premier coup, qui avoient une vivacité merveilleuse. La raison que ces excellens coloristes avoient de se servir de ces sortes de fonds, est que le blanc conserve toujours un éclat sous le transparant des couleurs, lesquelles empeschent que l'air n'altere la blancheur du fonds,de même que cette blancheur repare le dommage qu'elles reçoivēt de l'air; de maniere que le fonds & les couleurs se prestent un mutuel secours, & se conservent l'un l'autre. C'est par cette raison que les couleurs glacées ont une vivacité qui ne peut jamais estre imitée par les couleurs les plus vives & les plus brillantes, dont à la maniere ordinaire & commune on couche simplement les differentes teintes, chacune dans leur place les unes apres les autres: tant il est vray que le blanc & les autres couleurs fieres, dont on peint d'abord ce que l'on veut glacer, en sont comme la vie & l'éclat. Les Anciens ont asseurement trouvé que les fonds blancs estoient beaucoup meilleurs que les autres: puisque nonobstant l'incommodité que leurs yeux recevoient de cette couleur, ils ne laissoient pas de s'en servir, comme le témoigne Gallien dans son x.l. de l'usage des parties. Lors (dit-il ) que les peintres travaillent sur leurs fonds blancs, ils mettent devant eux des couleurs brunes & d'autres meslées de bleu & de verd, pour se delasser les yeux; parce que le blanc est une couleur dont l'éclat peine & fatigue la veuë plus qu'aucune autre. Je ne sçay d'où vient que l'on ne s'en sert pas aujourd'huy, si ce n'est qu'il y a peu de peintres curieux de bien colorier, ou que l'ébauche commencée sur le blanc ne se montre pas assez viste, & qu'il faut avoir une patience plus que Françoise, pour attendre qu'elle soit achevée, & que le fond qui ternit par sa blancheur l'éclat des autres couleurs, soit entierement couvert, pour faire paroître agreablement tout l'ouvrage.