J'ai déjà dit qu'il est bon d'exposer au grand air, et même au soleil, la toile tendue sur un châssis, afin de la blanchir avant que de peindre dessus; car elle est presque toujours trop grasse et trop rousse, surtout quand le rouleau de toile n'a pas été exposé à l'air. Une journée un peu chaude suffit pour la mettre en état; mais, pour bien faire, il vaut mieux ne l'exposer à l'air qu'après l'avoir bien également poncée. Ce qu'enlève la pierre ponce, diminue d'autant la couche que l'air et le soleil doivent traverser et blanchir.,Prenez un morceau de pierre ponce bien blanche, légère, et à peu près ronde, sur un diamètre de trois à quatre pouces. Sur un grès ou sur toute autre pierre qui soit déjà dressée elle-même, comme les marches ou le perron d'un escalier, usez votre pierre ponce jusqu'à ce qu'elle présente une superficie plane de quelques pouces de diamètre; mais enlevez les angles saillans si le morceau est trop rempli d'irrégularités, de crainte que les angles ne raient votre toile. En trois ou quatre minutes votre pierre ponce sera dressée: rabattez-en les angles vifs qui pourraient, en se brisant, gâter votre ouvrage. Cela se fait en deux tours de main, en usant la pierre tout autour sur les côtés. ,Secouez-la bien et même brossez-la pour qu'il n'y reste point de grains durs ou de poussière de grès. Vous promenez ensuite la pierre ponce ainsi dressée, sur toute la surface de votre toile, sans appuyer trop fortement, tandis que vous tenez l'autre main étendue et très-plate sous la toile, en ayant soin de soutenir la place que vous poncez actuellement, afin que la toile ne fléchisse pas trop. Vous promenez sucessivement de cette manière vos deux mains, l'une dessus, l'autre dessous la toile, jusqu'à ce qu'elle vous paraisse suffisamment égalisée, et qu'un joli grainé s'établisse généralement partout. Faites bien attention que, quand vous en serez à poncer au-dessus du bois, il faut le faire avec encore plus de légèreté; car si vous veniez à appuyer trop fort, la toile, fléchissant toujours un peu, toucherait le bois du châssis, ce qui l'userait en un instant jusqu'à enlever toute l'impression, et bientôt après le tissu même.,Ceci dont vous convaincre de la nécessité de diminuer le bois en chanfrein, pour éviter le contact du bois avec la toile, comme je l'ai prescrit quelques pages plus haut. Il y a plus, la brosse même, quand on étend la couleur d'un fond, pèse assez fortement sur la toile pou qu'il se forme une trace visible au-dessus des bords intérieurs du châssis, si l'on ne diminue pas en talus l'épaisseur du bois pour éviter cet inconvénient. ,En sept ou dix minutes ordinairement cette opération doit être terminée, si l'on s'y prend bien, et si la pierre ponce est d'une bonne qualité, c'est-à-dire, brillante, friable, très-blanche, et pas trop dure ni compacte. Il faut promener la pierre en tournant, comme si l'on broyait de la couleur; cela forme un grainé et un mat plus fin et plus égal qu'en la faisant aller et venir en long et en large de haut en bas. L'on repose une partie du châssis sur l'angle d'une table pour le soutenir pendant qu'on ponce, sans quoi l'on risquerait de bosseler la toile par le poids des mains, et d'ailleurs cela est infiniment plus commode. L'on est assis devant une table, et l'on tient le châssis devant soi un peu en pente, comme un pupitre; l'un des côtés s'appuie sur la table, et l'autre sur les genoux, ce qui suppose un intervalle entre soi et la table, tel qu'il permette de passer la main gauche sous le châssis, pendant qu'on agit de la main droite pour promener la pierre ponce: alors on tourne et retourne le châssis en tout sens, pour se mettre à son aise sant étendre les bras, pour aller partout. Il faut de temps en temps chasser et souffler la poussière en dehors de la fenêtre ou sous la cheminée, pour mieux juger de l'état de la toile, de ce qu'on a fait, et de ce qui reste encore à faire. Un peu d'intelligence et quelque expérience mettront les commençans au fait de ces détails qui sont plus vite exécutés que je ne puis les décrire.,Quand une toile est bien également poncée, il y a vraiment du plaisir à tracer dessus; toutes les espèces de crayons, comme mine de plomb, sanguine, fusain, craie blanche, mordent aussi bien que sur le meilleur papier; mais j'observerai, qu'à moins qu'on ne fasse des objects très-petits, comme les figures et animaux qui peuplent un paysage, on doit toujours donner la préférence à la craie blanche, qui ne salit nullement la toile, et qui s'enlève d'un seul petit coup de linge. ,Avant que d'esquisser un suject quelconque sur la toile poncée, il faut la bien laver avec une éponge et à plusieurs eaux, jusqu'à ce qu'il n'y reste plus aucun vestige ni de couleur usée, ni de poudre de ponce, et jusqu'à ce que l'eau qui en découle soit tout-à-fait claire et limpide; ensuite on essuie doucement avec un linge très-propre, passablement fin, et qui ne dépose pas de fils. Une toile qui ne serait pas égalisée et dégraissée à la pierre ponce, ne recevrait la couleur que fort difficilement; au lieu qu'étant bien préparée, elle prend sur-le-champ partout.