Bien des gens regardent avec raison comme une idée mesquine celle de confier à une toile les produits d'un savant pinceau, et ils pensent que, si ce moyen est ingénieux lorsqu'il s'agit de vastes peintures qu'on veut rendre portatives, il ne l'est pas du tout lorsqu'il s'agit de tableaux qui n'excèdent pas la mesure de quelques pieds: ils le considèrent même comme misérable pour des ouvrages de petite dimension.,En effet, il est si facile de se procurer de petits panneaux de bois (les Hollandais et les Flamands s'en sont presque toujours servi), que l'on ne conçoit guère comment on s'obstine à faire usage de toiles qui se détendent, qui se crèvent et offrent tant d'inconvéniens. Puisqu'un petit châssis à clefs, et sa toile, sont plus coûteux qu'un petit panneau, dont la façon et l'enduit sont très-faciles, pourquoi ne pas préférer ce dernier? Au reste on sait qu'ajuourd'hui la superstition grecque regarde comme profanes les productions de la peinture moderne, lorsque c'est sur la tole qu'elles sont exécutées.,Malgré tout, si, pour remédier à la faiblesse et à la mollesse d'un tissu, le peintre superposait et faisait adhérer d'autres tissues; s'il parvenait enfin à composer avec des toiles superposées un subjectile roide, fort et inaltérable; dans ce cas, dis-je, l'emploi de la toile serait assez bien entendu. Mais, tout au contraire, on s'attache aujourd'hui à fabriquer des toiles souples, afin de pouvoir les rouler et les transporter aisément, lorsqu'elles sont enlevées de dessus leur châssis. On voudrait qu'un tableau pût se transporter plié comme un drap; et pour cela on introduit dans l'enduit des matières molles qui, telles que la résine élastique, le savon, la cire, le miel, etc., ne peuvent pas manquer d'être nuisibles aux couleurs. On veut des toiles sèches, mais on les veut molles. Dans l'intérêt des peintres, on les avertit qu'au bout d'un an une toile préparée avec l'huile n'est pas encore assez sèche, et on leur en offre qui sont composées avec des enduits qui, pour sécher complètement, ont peut-être besoin de plus de vingt ans. N'est-ce pas vouloir faire durer tout ce tems l'altération des couleurs qu'on apose sur ces toiles? N'est-ce pas prendre les choses à contre-pied? Enfin on peut dire que les gens qui tiennent tant à cette souplesse du subjectile iraient jusqu'à rejeter l'emploi du cristal, si l'on parvenait à le liquéfier, pour délayer les couleurs. ,On ne doit donc admettre pour la peinture que les toiles doublées, rendues imperméables, et repoussant absolument l'humidité qui, abreuvant le tissue, et se dégageant continuellement antérieurement et postérieurement, fait traverser dans les couleurs toutes les malignités de l'atmosphère, et produit ce ravelage affligeant qui anéantit l'éclat des plus brillans effets. Que l'on renforce donc la toile par des autres toiles, solidement collées les unes sur les autres avec un gluten inaltérable; que l'on augmente à volonté ces épaisseurs jusqu'à la consistance d'un léger panneau ou d'un carton assez ferme; que cette surface soit abrirée ensuite par une couche de cire ou de résine, qui ne parvienne pas jusqu'à la surface qui doit recevoir la peinture, et l'on aura composé un corps solide, plane, suffisamment souple, léger et exempts des inconvéniens attachés aux subjectiles lâches et hygrométriques.,Les entoileurs savent donner la plus grande solidité aux toiles des tableaux, en les doublant avec une seconde toile; ils peuvent donc, avec leur colle qui est très-tenace, préparer des toiles doublées sur lesquelles on pourrait peindre immédiatement, et qui n'auraient pas d'autre préparation que le poli qu'ils savent leur donner avec un fer chaud. De tels subjectiles seraient certainement excellens, surtout si, par derrière, une couche de cire les mettait, comme je viens de le dire, à l'abri de l'humidité. De telles précautions diminueraient de beaucoup la différence qu'on établit naturellement entre la toile et le bois, considérés comme subjectiles.,Néanmoins on peut peindre sur des toiles simples certains sujets qui ne doivent point passer à la postérité; mais ces toiles doivent être au moins enduites de cire après coup; et c'est ainsi, je pense, qu'étaient préparées les toiles libres sur lesquelles les anciens ont exécuté quelquefois des peintures.