De la verrerie.
Chapitre II.
Le la manière de préparer la Fritte, appellée vulgairement Bollito en Italien.
•POUR faire un criftal parfait en tous points,' II faut avoir un Tarfe très-blanc. Les Verriers de Murano fe fervent de cailloux qui fe trou¬vent abondamment dans la riviere du Técin. Le Tarfe eft une efpéce de marbre * blanc & dur : Ion en trouve quantité en Tofcane au pied du 1T>ont Verrucola près de Pife, aufli-bien qu’a Serra- Vera, Mafia di Carrara>fans la riviere d’Arne près de Florence, &c. L’on choilira i’efpece la plus blanche de ce tarie ; l’on préférera celle qui n’a ni Veines noires ni tâches jaunes , & l’on oblervera cjue toutes les pierres, qui frappées avec l’acier donnent du fin, font propres à faire du verre ou du criftal, & que celles qui ne font point feu nepeuvent jamais être propres a cet ufàge. Cette réglé fervira toujours à con¬coure les pierres convenables. Il faut réduire en poudre ce tarfe blanc en le pilant dans un mortier de pierre ; ceux de métaux ne conviennent point a cette opération, parce que la poudre ne man- ftuetoit pas de prendre quelque chofe de la cou-;
leur du métal, ce qui rendroit le criftal moins pur : pour les pilons ils doivent être de fer. Le tarfe après avoir été réduit en poudre très-fine , doit être pafie par un tamis très-fèrré, car cela eft de la derniere importance. Qu’on prenne par exemple de ce tarfe pulvérifé deux cent livres, & environ cent-trente livres du fel décrit au chapi¬tre précédent ; que l’on mêle exaélement ces deux matières ; qu’on mette ce mélange dans un fourneau à calciner bien chauffe, car s’il étoit lroid, la fritte ne pourroit fe faire. Pendant la première heure de l’opération, il faudra que le feu foit modéré; l’on aura foin de remuer de tems en tems le mélange avec un rable , afin que les matières fè calcinent & s’unifient mieux; enfuite on pouffera le feu, en continuant toujours de re¬muer , car cela eft effentiel, & l’on procédera de la même façon pendant cinq heures de fuite en entretenant toujours un heu très-violent.
Le fourneau à calciner dont il eft parlé ici, eft une efpéce de fourneau connu & employé dans les Verreries. Le rable eft un -inftrument de fer oblong dont on fe fert pour remuer la fritte ; il eft aufli très-connu. Au bout des cinq heures, l’on retirera la fritte du fourneau ; en effet, fi l’on gouverne bien le feu, ce tems fufiira pour fa cal¬cination. On la fera mettre enfuite dans un lieu fcc, & on la couvrira pour la mettre à l’abri de la poufiiere. Pour avoir un beau criftal, il ne faut omettre aucune de ces circonftances. La fritte
ij ainfi préparée fera blanche comme de la neige.
Si le tarfe eft dur à la fonte, il faut à la dofè prefcrite ci-deffus , ajouter dix livres de fel ; mais les habiles Artiftes fçavent d’abord £Q mettre au lait de la qualité de leur fritte , ils en fondent une portion dans uncreufet, au fortir duquel ils la ver- l^nt fur un plateau de verre très-net, pour voir fi. eHe fe fige bien & promptement ; ils connoilfent Par là fi elle fera tendre ou dure , Si en conféquen- ce iis augmentent ou diminuent la dofedu fel. J’ai qu’il falloit la conferver ainfi préparée dans un heu lèc ; en effet, elle ne peutfouffrir le»s endroits lümides , parce que dans ce cas Ion fel fe réfout eau, & il ne relie que le tarfe, qui leulne peut Jamais produire du verre. Il ne faut pas humeéler ^tte fritte, comme on le pratique quelquesfois.
. après qu’elle a été traitée de la maniéré que je viens de le dire , on la garde pendant trois ou Quatre mois, elle n’en fera que plus propre à être travaillée, & elle en fera plus liante. Voilà ce j’ai oblervé lur la fritte du criftal.
Notes de Merret Jùr le Chapitre II.
Le Tarfe. La fécondé matière qui donne au verre de la cpnfiftence * du corps & de la fermeté > eft le fable ou la pierre ; cela fe fait de la même façon que le fer donne la confiftence à notre vitriol d’Angleterre , le cuivre à celui d Hongrie de Dantzic, de Rome, qui fans ces métaux fe ^ourneroit en eau, s’il venoit à être expofé dans un lieu ou 4 un air humide. Agricola dit au Livre XII. de re MetalL les pierres qui font blanches & qui entrent aifément en
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fufion font les meilleures;il faudra donc les préférer,lorfqu’on voudra faire du criftal. Au rapport de Pline « les Indiens ■> après les avoir pilées , en font un verre des plus beaux & « des plus tranfparents. Viennent enfuite les pierres, qui quoiqu’elles n’aient pas la dureté du criftal, font cependant aulfi blanches & aulfi tranfparentes que le criftal : en dernier lieu , les pierres qui font blanches fans être tranfparen¬tes. Après le tarfe , notre Auteur recommande les Cuogolos que Ferant Imperatus décrit ainfi au livre 24- chapitre 16. La pierre à faire le verre reffemble^au marbre blanc, elle a quelque tranfparence, elle a la^ureté du caillou , fait feu, & ne fe calcine point au fourneau. Cette pierre tire fur le verd clair, comme la ferpentine ; elle fe trouve dans des endroits qui lui font propres ; elle eft enveloppéff de talc ; jettée au feu, elle perd fa tranfparen¬ce, devient plus blanche & plus legere , & fe vitrifie, elle fertaux Verriers & fe nomme Cuogolo : on ramaffe ces pier¬res au fond des rivières & des torrens comme les coquilles. Notre Auteur ajoute que les Habitans de Murarto s’en fer¬vent ; il n’eft pas douteux que toutes les pierres blanches & tranfparentes, qui ne fe changent point en chaux , ne foient propres à faire le verre ; cependant le principe de notre Auteur n’eft pas toujours vrai : en effet, ni les pierres que l’on apporte deNewcaftle , dont j’ai parlé dans la préface à l’article des fourneaux , ni les pierres à fufil, ni les pavés ni beaucoup d autres pierres qui font feu avec l’acier, ne peu¬vent être employées à cet ufage. Il eft vrai que tous les cailloux ont ces propriétés ; & fi après les avoir calcinés, on les réduit en une poudre impalpable , & qu’on les paffe par un tamis ferré , ils donnent une matière propre à faire un criftal d’un éclat & d’une pureté merveilleufe : mais le grand travail qu’on eft obligé d’employer empêche les Entrepreneurs des Verreries d’en faire ufage. On peut fuppléer au défaut de cailloux convenables, en fe fer- vant du fable , qui fuivant notre Auteur a été le premier en ufage. Avant que d’enufer, il faut qu’il foit blanc, menu &bien lavé, c’eft là toute la préparation qu’il demande ;
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on le trouve communément aux embouchures ou fur les bords des rivières. Le criftal exige un fable tendre, mou & blanc; pour le verre commun il faut qu’il foit plus dur & feniblable a de lalimaille. On remarque une grande variété dans cette matière, car une efpéce de fable entre aifément enfufion, &fe vitrifie, tandis qu’une autre n’y entre que très-difficilement. Jofephe,art.II. liv. chapitre p de la guerre des Juifs, raconte des chofesmerveilleufes du fable ; voici le précis de ce qu’il en dit. « Le Fleuve Belus pafle à Pto-
* lémaïde de Gallilée, il prend fafource au Mont-Carmel, 35 entre Ptolémaïde &Tin. Près de cette petite rivière eft
* la ftatue de Memnon ; & dans fon voifinage, il fe trouve 53 un petit terrein d’environ cent coudées, qui eft bien
digne d’admiration ; c’eft une efpéce de vallée de figure
* ronde d’où l’on tire du fable pour en faire du verre : fi l’on a> en vient tirer pour en charger des Vaifleaux, l’endroit 35 d’où on l’a tiré fe trouve rempli auffitôt ; il eft à croire
* que le vent y porte le fable qui fe trouve fur les hauteurs
* voifines : fi l’on met un métal dans ce même endroit, il •’ fe change fur le champ en verre : mais ce qui me paroît M encore plus furprenant, c’eft que fi l’on y jette des » morceaux ‘de verre , ils redeviennent fable. Tacite dit au Livre V. de fes hiftoires. « Le Belus fe jette dans la 33 mer de Judée ; Ton fe fert du fable qui fe trouve à fon em- 33 bouchure pour faire du verre , parce qu’il y a du nitre qui
* y eft mêlé ; l’endroit d’où on le tire, quoique petit,eft iné- 33 puifable ». Strabon dit la même chofe au Livre XII. Pline, Livre VI. & Agricola dans fon traité des fofliles, ainfique tous les Auteurs, font mention de cet endroit d’où on tire du fable.
Nos Verriers de Londres fe fervent d’un fable fort blanc, de la même efpéce que le fable qu’on emploie pour mettre fur l’écriture, ou le fablon dont on fe fert pour nettoierles uftencilesde ménage; on l’apporte de Maidflone , dans la Province de Kent ; pour le verre commun, on fait ufage d un autre efpéce de fable qu’on apporte de IfToohvich. Celui de la première efpéce ne fe mêle pas avec la matière du
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verre. La fécondé efpéce eft à très-bon marché. Cardan , au V. Livre delà Variété > veut que l’on ajoute la magnéfie à la fritte 5 il la nomme Jidérèe , il croît que c’eft le troifiéme ingrédient; «leverre , dit-il, eft compofé de trois chofes •, » de pierres ou de fable, du fel de Cali & de la Jidèrée. Ce¬pendant la petite quantité de- magnéfie qu’on ajoute au mélange ou à la fritte du verre j n’eft point un objet 9 parce qu’on ne peut pas Vemploier dans toutes fortes de verre.
Remarque de Kunckel fur le Chapitre 11.
Sans nous embarraffer d’où les Italiens peuvent tirer leurs pierres ou leur fable , nous nous contenterons de dire comment on s’y prend en Allemagne. Tous les Verriers fçavent qu’il leur fuffit de cher¬cher un fable commun , blanc &. fin , qui n’ait point de veines graf- fes ni jaunes, chargées de fer. Il n’eft pas ici queftion d’un verre commun , mais d’un verre femblable au criftal ; nous avons en Alle¬magne affez de moyens pour parvenir à le faire , fans avoir recours à l’Etranger. Premièrement, on trouve en Mifnie, ainfi que dans toutes les mines, des pierres claires & tran (parentes, qu’on appelle Quartz > elles font très-propres à faire un verre qui imite le criftal ; il y a cependant du choix, car quelques-unes ont des veines jaunes, d’autres en ont de noires ; les jaunes contiennent du fer, les noires du plomb ou de l'argent; lespierres de cette efpéce portent dans le verre les couleurs dont elles font chargées, le rendent ou verd ou jaune, ou même bleuâtre, c’eft pourquoi il faut avoir foin d’en féparer les veines; il y a même en Mifnie une forte de pierres dont on fait ufage dans les bâtimens , & qui mifes à rougir au feu, deviennent friables, & fourniflfent un fable très-beau , qui n’exige point tant de fel que les autres. Indépendamment de cela,dans tous pays on trouve au fond des ruiflféaux ou dans les montagnes de petits cailloux ronds & blancs ; j’ai même remarqué que la mer en jette fur fes bords qui font quelques- fois de la groffeurdu poing, & qui ont la tranfparence du criftal ; j’ai éprouvé que ces derniers, lorfqtfon les emploie pour faire du verre y ne demandent pas à beaucoup près autant de fel, que les pierres qu’on tire des montagnes; en un mot, ces cailloux blancs & ronds fe trouvent dans prefque toutes les rivières qui ne font point bourbeufes. Lorfqu on les met rougir & que pour pouvoir les puiverifer plus aifé- ment on en fait l’extindion dans Peau , s’il s’en trouve qui ayent des veines & qui ne foient pas entieremeirt blancs, il faudra les rejetter; mais fi l’on veut avoir un criftal de la derniere perfeétion , il n’y aura-
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u a prendre des pierres à fufil noires ; après les avoir fait rougir, & teindre à plufieùrs reprifcs dans Peau , elles deviennent très-blanches & font meme plus dures a la fonte qu’aucune autre efpéce de pierre : c’eft pourquoi, fi fur deux cent livres de fable ordinaire on niet cent-trente livres de fel, il faudra avec le fable fait de ces pierres à fufil, en mettre cent quarante à cent cinquanre livres. Au relie , les proportions que PAuteur donne dans ce chapitre font fort juftes. Pour terminer mes obfervations fur ce chapitre, je crois devoir dire , fur ce que le Doéleur Meret cite d’après Jofephe , qu’il n’eft guère probable que dans cet endroit merveilleux dont parle cet Hiftorien , le verre fe changeât en fable ; il vaudroit mieux penfer que Jofephe y ayant une fois vu du verre en paffant, &ne Payant plus retrouvé en tepaffant dans le même endroit, a été par-là induit en erreur. Cela auroit pu arriver tout naturellement, parce qu’il auroit pu fe faire que le vent eût couvert ce verre de fable, ou peut-être Jofephe aura crû ce fait fur le rapport des autres. Il ne faut pas moins de foi pour croire ce que dit le même Auteur , qu’en mettant du métal dans le même endroit, il fe changeoit en verre , que pour penfer que le verre s’y changeoit en fable : en effet, fi cela étoit, il y auroit bien de la con¬trariété dans la nature pour compofer un corps dans un même endroit & pour y décompofer l’autre. Ce que Tacite rapporte paroît plus vrai- femblable, & l’on peut expliquer Ion paffage d’une maniéré toute naturelle.