CHAPITRE XII
De la maniéré de préparer le Saffre quon -veut em~ployer aux couleurs , dans l’Art de la Verrerie.
I L faudra prendre de gros morceaux de Zaffera ou Saffre, les mettre dans des Vaiffeaux de terre, 8c les tenir pendant une "demie journée dans la chambre du fourneau ; on les fera enfuite rougir au feu du fourneau , 8c après les en avoir retirés, il faudra les arrofer avec du vinaigre très-fort, Lorfque ces morceaux feront refroidis 8c féchés, on les broyerafurun porphire , 8c on les édulco¬rera plufieurs fois avec de l’eau chaude, dans des vailfeaux de terre vernifles ; on biffera à chaque fois le faffre fe précipiter au fond ; l’on décan¬tera enfuite l’eau tout doucement ; le faffre reliera au fond du vaiffeau & fera dégagé de toute faleté & des parties terreftres qui pouvoient s’y trouver. La partie propre à la teinture demeurera au fond : on la léchera 8c on la gardera dans des vaiffeaux fermés pour en faire ufage. Lorfque le faffre aura été ainfi préparé , il colorera le verre beau¬coup mieux qu’il n’auroit fait auparavant,
Notes de Merret fur le Chapitre XII.
Pour ce qui eft du faffre dont parle notre Auteur, ofli ne lui donne ici d’autres préparations, non plus qu’à la ma- gnéfig
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gnéfie que de les broyer avec une meule, & que de les ré¬duire en une poudre fine & déliée ; on les paffè enfuite au tamis, de même que cela fe pratique pour la roquette. & les autres matières qui entrent dans la compofition du verre. Je ne trouve dans aucun Auteur ce que c’eft que le faffre, & il n’y en a que quelques-uns qui en faffent mention. Cardan livre ; de fubtilit. le nomme terre ; » il y a, dit-il,
* une autre terre qui teint le verre en bleu ; on la nomme 05 Zopfora; »... Cefalpin qui a écrit après Cardan le met au rang des pierres. » Il y a , ajoute celui-ci, une autre pierre
* qui teint le verre en bleu & qui, fi on en met trop, lui donne une couleur noire ; on l’appelle Zaffera; elle eft d’une couleur de cendre , tirant fur le pourpre , péfante &
* friable , ne fond point toute feule , mais mêlée avec le
* verre,devient fluide comme de l’eau». Aldrovandus dans fon A/lufœum a fuivices deux fentimens, car il l’appelle terre dans un endroit, &/?/<?rr<?dans un autre. Ferrandus Imperatus Livre 28. Chapitre i. le compare à la mine de plomb & 51 la magnéfie. Cependant l’on ne peut point dire que ce foit une terre , attendu qu’il ne fe mêle point à l’eau ; & d’un autre côté, il n’y a point de pierre qui foit auffi friable que le faffre; car avec les doigts on peut le réduire en un fable très-fin , comme il eft aifé de l’éprouver. Il eft certain que fi le faffre étoit ou pierre ou terre, ou une couleur na¬turelle, cette connoiffance n’auroit pas échappé à touttes les recherches de ceux qui ont écrit fur ce fujet; furtout cette matière étant d’un fi grand ufage pour les Verriers & les Potiers.
Agricola ne l’a point connu ; auffi n’en parle-t’il point. *
Jules-Cefar Scaligerquia écrit un Traité fur le verre, ne *eleve point le fentiment de Cardan. C’eft pourquoi j’ima¬gine que la préparation du faffre eft une invention nouvelle de quelque artifte Allemand qui en aura fait un fecret. En
* Il eft vr«î qu*Agricola n’en parle | le fiftre ou la couleur bleue. Voyez ce
POint fous le nom de fa{fr°, mai« fous que dira Kunckel dans fes remarques celui de Cobaltum Sc de Cadmia fojfilis fur ces Chapitres, dont Merret ne fqavoit pointqu’on droit «
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effet, il n’eft pas douteux que le faffre ne vienne d’Alle¬magne. Si l’on me permettait une conjecture, je penferois qu’il eft com pofé de cuivre, de fable, 6c de quelque peu de pierre calaminaire. Selon moi, fa couleur bleue devroit être attribuée au cuivre, de même qu’on attribue au fer celle de la magnéfie ; car il eft confiant qu’il n’y a que les métaux qui puiffent colorer le verre , & qu’il prend les cou¬leurs de tous. Le lapis lazuli, quoique très-dur, perd fa cou-leur au feu; il en eft de même des autres pierres prétieufes. 31 eft vrai que l’antimoine teint le verre ; mais il n’y a que fa partie métallique & fon régulé qui produifent cet effet. Une terre peut encore moins foutenir la violence du feu. Car quoique l’ocre jaune d’Ecoffe & le rouge des Indes , en fe calcinant, prennent des couleurs qui ne font point difgra- tieufes ; cependant, fi l’on procède comme il faut, ces ma¬tières ne refifteront point au feu de la Verrerie. Il refte donc que le faffre ne puiffe être produit que par une fubftance métallique ; & cela pofé , que fera-ce, fi-non du cuivre ? Quand on feroit fur que cette couleur vient de l’argent, ce ne pourroit ctre qu’en vertu du cuivre auquel l’argent eft lié; ce qui le prouve, c’eft que l’argent, après avoir été raffiné par trois fois, ne donne plus de couleur au diffolvant. Le fécond ingrédient qui entre dans la compofition du faffre eft le fable , c’eft ce donc on peut s’aflurer par le toucher & parle goût : d’ailleurs fi on jette le faffre dans l’eau forte , on y appercevra des grains d’un fable blanc & tranff parent , qui reffembleront parfaitement à la poudre des petits cailloux qu’on nomme en Anglois febbles> 6c cuogolos en Italien ; & félon Ferrantus Imperatus, on y trouvera un fable qui ƒ te diffère en rien du fable commun, d’une cou¬leur noirâtre ôc entrant aifément en fufion. En troifiéme lieu, lâraifon qui méfait croire qu’il entre de la pierre ca- îaminaire dans le faffre , c’eft qu’en répandant de l’huile de vitriol fur cette matière, il ne s’opère rien de fenfible ; en effet il n y ani elfervefcence ni folution , ni teinture. J’ai verfé de (lus de l’eau forte ordinaire & de l’efprit de vitriol, &je nai remarqué dans cette expérience ni ébullition ni
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yi mouvement dans les liqueurs, ni bruit ni teimute , chofes qui arrivent toujours dans la diflblution des métaux. Je prouverai par l’expérience que je citerai ci-après 3 que c’eft la pierre calaminaire qui empêche & la folution & les autres phénomènes qui ont coutume de l’accompagner ; il pourroit fe faire encore que le mélange de quelques ré¬fines ou gommes s’oppofàt à l’ébullition , parce que les dif- folvants n’agiffent point fur ces fortes de matières. Je ne puis déterminer de quelle façon on prépare le cuivre qui entre dans cette compofition , ni dire fi c’eft de la maniéré communément ufitée parles Chymiftes ou d’une autre. Il ne faudroit que quelques eflais pour découvrir ce fecret, j'y renvoyé donc le Le&eur. Si on confidére fon poids , fon prix, & fa couleur, tantôt pourpre, tantôt noirâtre telle Que je l’ai vue jufqu’à préfent, on ne fera pas difficulté d’aquiefcer à mon fentiment. Le mot de Zaffera ou S offre Vient du Saphire dont il imite la couleur bleue.
Remarques de Kunckel fur le Chapitre XII.
Ce Chapitre traite du faïïre qui eft une matière très-utile pour colorer les verres. Une faudra pas l’éteindre avec du vinaigre; fi on le réduit en une poudre bien déliée, cela fuffira , & l’on pourra s’en fer-vir, auffi-bien que de celui qui aura été éteint dans du vinaigre.
Je remarque que Merret & notre Auteur fe font donné bien de la peine pour découvrir ce que ce pouvoit être que le Jaffré. Je crois donc qu’il eft néceffaire d’en faire ici une defcription circonftanciée. Ceux qui travaillent aux mines à Schnééberg en Mifnie, ainfi qu’en d’autres lieux , tirent de la terre un initierai qu’ils nomment Col ait , parce qu’il ne contient point un bon métal, ôc que fur un quintal il s y en trouve quelquefois à peine une demi-once , & le plus fouvent rien du tout. D’abord on met ce cobait qui eft un poifôn très fubtil, dans un fourneau fait exprès , tel que celui qu’on voit en B. Ce fourneau aflfez femblableau four d’un Boulanger , eft conftruit de manière que la flamme du feu qui eft à côté , puiue fe réunir & tomber fur le cobalt : auflîtôt qu’il commence à rougir , il en part une fumée blanche, qui eft reçue dans un bâtiment de bois répréfenté dans la figure , au parois duquel elle s’attache ; ce n’eft autre chofe que de l’arîenic. < n apprendra avec étonnement que, quoique ce bâtiment de boisait
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quelquefois jufqu’à cent braffes de longueur, la fumée ne Iaiffe pas de fortir par l’ouverture ou cheminée qui eft à l'extrêmité. Ce cobalt ainfi calciné , & dont la fumée eft partie, fe broyé dans un Moulin fait exprès ; on le calcine enfuite une fécondé fois, & on le broyé de nouveau ; lorfqu’on a rtïteré plufieurs fois ces operations, on lepaffe par un tamis très ferré, fufpendu à des courroyts & couverr, afin qu’il ne forte point de poufliere , & on le garde pour s’en fervir. On prend une partie de ce cobalt réduit en poudre; l’on y mêle deux parties ou même plus de cailloux pulverifés , ou de quartz bien pilé& tamifé; l’on humeftcce mélange, & on le met dans des tonneaux ; il y devient compare & s’y durcit comme une pierre , de forte qu'il faut des inf- trumens de fer pour le rompre. On envoyé cette matière ainfi prépa¬rée aux Hollandois & aux autres Nations, qui en font u âge pour pein¬dre leurs fayances & colorer leurs verres. C’efl-là ce que bien des gens nomment Zafloer^ & ce que notre Auteur & Pon Commentateur Alerret appellent Zaffera ( en François Saffre ). On n’y mêle du fa¬ble en Mifnie qu’afin qu’on ne puiffe pas dans d’autres Pays en tirer ou contrefaire avec profit le bleu d’empois dont fe fervent les Blanchif- feufes, ou la couleur que les Peintre* nomment ƒ/?- It bleu , ou bleu d’émail ; car il faut fçavoir qu’én mêlant le cobalt ainfi préparé avec une certaine quantité de fable de de potaffe; fi on fait fondre ce mé¬lange, on aura un verre d’un bleu foncé , qui broyé dans un moulin fait exprès, entre deux pierres très dures, donne une poudre d’une couleur très - éclatante & très - belle. Les Manufaâures où Pon s’ocuppe de ces opérations font d’un revenu trèsconfidérable pour l’Elexeur de Saxe. Si Pon envoyoit à l’Etranger le cobalt calciné tout pur, c’eft-à-dire , fans addition de fable ou de cailloux pilés , (ce qui eft défendu aux Faveurs , fous des peines très-rigoureufes ) il feroit aifé de faire ailleurs du bleu d^empois, & d’en tirer avantage : c’eft pour fe referver ce commerce qu’on en fait du faffre.Si on vouloir avoir un cobalt pur fans mélange ,dont une partie fit plus d’effet que ne peuvent faire trois ou quatre parties de faffre,il faudroit l’aller cher¬cher fur les lieux où Pon feroit obligé de le payer plus cher à proportion.
La première fois qu’on met en fufion du verre mêlé avec du faffre, il le dépofe un régule: ce régule colore auflîle verre en bleu, mais ce verre eft taché & rempli de petits points. On prétend que ce régule eft d’une grande utilité dans l’Alchymie.
Quanta la poudre d’arfenic, après Pavoir tirée du bâtiment de bois on la remet à fublimer , comme on peut voir dans la fig. C. & il s’en forme de gros morceaux tels qu’on les trouve chez les Droguiftes : je crois au moyen des remarques que je viens de faire, avoir éclairci tous les doutes qu’on pourroit avoir fur le faffre &. fur l’arfenic , & avoir mis en état déjuger fi ces deux matières font faélices ou naturel^ les , ce qui fuffitr