CHAPITRE XIII.
De la marner e de préparer la Magnéfie pour colorer
le verre.
PRENEZ delà Magnéfie de Piémont, qui efi- laplus parfaite de toutes ; elle ell très-commune à Venife, & les Verriers de Murano n’en em¬ployeur point d’autre ; car quoiqu’il s’en trouve abondamment en Tofcane & dans l’Etat de Gênes, cette derniere contient beaucoup de fer , & donne une couleur noire & nébuleufe au verre. au lieu que celle du Piémont produit un verre très - blanc & dégagé de toute couleur verte ou bleuâtre. L’on mettra la magnéfie en morceaux à réverbérer au fourneau , fur un gril de fer ; & lorfque ces morceaux feront rouges , on les arro- fera avec de fort vinaigre ; enfuite on les réduira en une poudre fubtile qu’on lavera plufieurs fois dans de l’eau chaude , comme on a fait pour les morceaux de faffre ; on fechera cette poudre ; on pulverifera de nouveau , & on renfermera la derniere poudre obtenue, dans un vafe fermé pour s’en fervir au befoin.
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Notes de Merret fur le Chapitre XIII.
La Magnifie eftainfi nommée, parce qu’elle reffemble par fon poids & fa couleur à l’aimant, qui en latin s’appelle Magnes. C’eft une matière généralement employée par les Verriers, afin d’ôter au verre fa couleur bleue ou verdâtre, mais elle a encore d’autres ufages. L’on peut appeller la magnéfie le favon du verre. Elle fert à lui donner toutes fortes de couleurs comme le rouge , le noir, le pourpre, le gris , &c. De plus, c’eft le principal ingrédient de toutes les couleurs, comme on le prouvera dans le cours de cet Ou-vrage. » Cette efpéce d’aimant, dit Céfalpin, s’appelle au- » jourd’hui maganefe , &c Albert la nomme magnéfie ; on a » coutume de la faire entrer dans la compofition du verre , •» parce qu’on croit qu’elle a la propriété d’attirer la liqueur *> du verre, de meme que l’aimant attire le fer ; c’eft une •> pierre noire femblable à l’aimant; les Verriers en font » ufage ; car fi l’on en mêle un peu au verre, elle le dégage « des couleurs qui lui font étrangères, & le rend plus clair; « filon en met plus qu’il ne faut, elle lui donne une cou- « leur pourpre ; on l’apporte d’Allemagne ; l’on en trouve « auffi en Italie; on en tire des montagnes qui font auxen- - virons de Viterbe & d’ailleurs». Pline fait auffi mention d’une efpéce de faux aimant ; yoici ce qu’il en dit. » L’on » trouve chez les Cantabres , en différens endroits un ai- « niant, mais ce n’eft point le véritable ; je ne feai s’il eft « utile pour la fonte du verre, car perfonne n’en a encore » fait l’épreuve ; il communique au fer fa vertu magnétique .> comme fait l’aimant véritable. Cardan livre y. de fubtilit. nomme la magnéfie fiderea. Je n’en devine point la raifon: & ilfe trompe en difant qu’elle eft bletie au lieu de rouge, furquoi J. Scaliger dit dans la 104e, exercit. §. 23 fur cet endroit de Cardan. » Je ne fçai nullement, ce que c’eft que » la magnéfie ; mais il m’eft tombé entre les mains un ma-
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05 nufcritfait par un Vénitien nommé Pantheusç\mtraitoit de * la fonte du verre ; il y étoit dit que la magnéfie donnoit 05 au verre une couleur pourpre. Je me rappelle auffi que 8> dans mon enfance,demeurant à Ladroni, on avoit porté à 83 Venife une certaine matière inconnue qu’on avoit tirée, fi •» je ne me trompe, des montagnes àzSotodoni, & qui avoit 83 la propriété de blanchir le verre & de le rendre parfaite- ” ment femblabie au criftai ; il me femble que cette matière 35 aveit la couleur du fer ; on m’apprît que le verre, en y « mêlant une matière de la couleur du fer, devenoitblanc, ” les deux fubflances s’unifiant fi étroitement, que par cette »> union de leurs parties, les couleurs fe détruifôient les •> unes les autres. La magnéfie qui contient une fubftance w ferrugineufe ne pouvant fouffrir le feu s’exhale & emporte 35 avec elle lesfaletés du verre, de la même façon que la 83 lefïive emporte celles du linge >•. Je trouve une opinion femblabie à celle de Scaliger dans Àriftote , lorfqu'il expli¬que la propriété qu’à Y origan de nettoyer le vin. Il paroît toute-fois que cette fubftance ferrugineufe étant jointe à un métal ne peut guéres s’évaporer; il feroit donc plus vraifemblable de dire qu’elle fe confume dans le feu en peu de tems. Voilà ce que nous avons pu connoître jufqu’à préfent de la magnéfie ; mais il y a ici deux chofesà remar¬quer à propos de cette matière, fon attradion & la vertu qu’elle a de purifier le verre. Pour ce qui eft de l’attraction qu’on lui attribue , je n’en vois d’autre raifort, que la ref- femblance de fon nom avec celui de l’aimant : en effet on a beau préfenter des morceaux de verre fondus ou pilés à un gros morceau demagnéfie, on ne s’apercevra d’aucun mou¬vement. Si par la liqueur du verre on entend le fel alkali eu une autre partie quelconque, il eft vrai que la couleur Verte qui s’attache au verre, quoique bien écume, difparoît far l’addition de la magnéfie. Mais fi par laliqueur du verre on entend le verre fondu ; ce que Ton en dit ne me paroît 2ppuyé fur aucune expérience. Au refte, il eft auffi cer¬tain que le verre fe trouve purifié, que l’attraâion ou la maniéré dont cela s’exécute eftobfcure. Scaiiger a crû que
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cela fe faifoit par exhalaifon ; & peut-être que Pline &: Cefâlpin n’entendent par leur attraction que la purification , mais ils ne s’expliquent point aflez clairement: quoiqu'il en foit, il faut qu’au moyen de la magnéfie , le verre fe purifie ou par précipitation ou par évaporation : ce ne peut être par précipitation ; car dans ce cas fi on vencit à remuer la matière, la couleur devroit reparoître, ou du moins elle fe trouveroit au fond du vafe fous la forme d’une poudre , comme on le voit dans toutes les précipitations ordinaires. Il n’eft pas plus vraifemblable que la chofe fe fafle par évaporation , car le verre épuré ne paroît avoir rien perdu de ion poids; & comment pourroit-il arriver que la ma¬gnéfie qui eft un corps folide, étant attachée au verre qui eft très-tenace, pût s’élever & s’évaporer ? Et quel effet bizarre fuppoferions-nous dans la magnéfie , fi nous difions qu’après avoir attiré la couleur verte du verre, elle s’envole & fe diffipe en vapeurs infenfibles. Pour moi je penfe que c’eft la feule altération de figure & de difpofition dans les plus petites parties de la matière qui eft lacaufe de ce phéno¬mène. Le feu en fondant la magnéfie la mêle avec les ato¬mes les plus fubtiJs de la matière du verre ; & par l’agitation où il la met, il fait prendre à fes molécules les plus déliées les figures qui. font propres à réfléchir les rayons de la lu¬mière que nous appelions blancs. On pourroit prouver par bien des expériences que c’eft à la tranfpofition des parties qu’on doit la production des couleurs ; mais nous nous con¬tenterons de citer pour exemples les corps qui , lorf- qu’on y ajoute des matières colorées, deviennent blancs. Prenez de la térébentine jaune , ou de l’huile de copahu qui tire fur le noir ; ou colorez de l’huile de térébentine avec du vert-de-gris qui s’y diffout facilement, jufqu’à ce quelle foit de la couleur qu’a naturellement le verre; battez y un blanc d’œuf, vous aurez une couleur blanche & tranfpa- rente : ou prenez de la leflive âcre desSavoniers ; mêlez-y en remuant, de l’huile verte de fureau , vous aurez uns compofition qu’on nomme lait virginal. Vous ferez la même chofe , fi vous mêlez à cette leflive une autre huile, telle quç
que vous voudrez : dans l’expérience que i on vient de citer, lalefiive, quieft d’un jaune tirant fur le rouge, dé¬truit la couleur verte de l’huile. De plus, fi vous verfez de l'huile de tartre fur de l’eau de pluie où Ton a fait diffoudre Une pyrite verte, vous produirez une couleur blanche : la même huile verfée fur delà diffolution de vitriol vert ou hleu’produira le môme effet; mais la couleur fera moins blanche que dans l’expérience précédente, a moins qu’on n y mette une grande quantité d’huile de tartre. 1 outes ces expériences prouvent affez que ce n’eft pas l'évaporation qui caufe les effets dont on vient de parler , & démontrent que la purification du verre ne dépend que de la texture,di- verfité& difpofition que la magnéfie introduit dans la matière qui lecompofe. En effet, quelle autre raifon pourroit- on rendre de ce que de deux matières blanches par elles-mêmes, telles que le fel & le fable , il s’en forme une d’une couleur toute differente ? Ou pourquoi le faffre &la magnéfie don¬nent-ils au verre une couleur noire ? Il me paroîthors de douce que la magnéfie ne contienne beaucoup de fer; c’eft ce que l’onaconftaté par l’expérience fuivante En ver¬sant de l’eau forte fur cette magnéfie en poudre mile dans tin matras donc l’orifice étoit étroit, il fe fit une effervef- cence confidérable; elle étoit moins forte dans un matras dont l’ouverture étoit plus large ; il en partoit une fumée acide & pénétrante dont l’ardeur étoit fort défagréable. En Y verfant de l’huile de vitriol, il fe fit à la vérité une petite ébullition, mais il en partit plusieurs étincelles, & le vaiffeau ^chauffât de façon à ne pouvoir plus être tenu dans la JUain. Quand on verfa par-deffus un peu d’eau froide , la chaleur qui commençoit à diminuer fe ranima. J imagine SUe les effets remarqués dans les expériences précédentes f°nt des propriétés de la magnéfie. La teinture que donne cette pierre eft de la couleur d’un vin rouge foncé. Les génies chofes arrivent au fer, lorfqu’on y verfe les liqueurs dont on vient de parler. On peut donc affurer que la couleur
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de la magnéfie vient du fer quelle contient ; la rougeur leur eft commune à tous les deux, aulli-bien qu’une couleur qui tire fur le pourpre avec une nuance de bleu. Il y a'des préparation : de fer qui ont précifément les mêmes couleurs,, ce même qu’on tire dufaflre & de la magnéfie une couleur grife: on le fert aulli pour teindre la foye en beau noir de la moulée . qui eft un compofé du fable de la rneuld ou pierre à aiguifer &de parties qui fe font détachées du fer; la moulée le trouve chez les Couteliers & les Remouleurs, au fond de leurs auges. Iln’eft pas douteux que cette ma¬tière ne pût être employée à colorer le verre dans les creu¬fets, fi les Verriers en connoîfloientTufage, ou vouloient •s’enfervir. En fécond heu, la magnéfie fait gonfler conli- dérablement la matière ; il en eft de même de l'acier, du faffran de mars & des autres préparations du fer, & cela lui eft commun encore avec le cuivre & le plomb. L’on ob- fervera ici que l’Auteur recommande de ne point mettre ces matières toutes à la fois dans les creufets; mais de les y jetter petit à petit à differentes reprifes : il recommande aulli de faire enforte qu’une partie du creufet demeure tou¬jours vuide , de peur que la matière venant à déborder, ne tombe dans le feu & ne fe perde dans les cendres. Neri prefcrit l’u âge de la magnéfie de Piémont comme la meil¬leure qu’il y ait au monde ; cependant il y a dé?a quelques années que dans ce pays, vers les Collines de Mendippo dans le Comté de Sommerfet > endroit renommé pour fes
mines de plomb , 1 on a trouvé une magnéfie qui eft corn* v parable à la meilleure dont fe fervent les Ouvriers de Mu- rano. Partout où ceux qui travaillent aux minés la trouvent, ils concluent qu il y a cieflous une mine de plomb: ils la nomment Pottern o e, ou mine à Potier, parce que les Po¬tiers en enlevenr la p;us grande partie ; attendu quec’eftla feule matière qui donne le noir à leurs ouvrages, de même que le faffre leur donne le bleu. On dit que la meilleure magnéfie eft celle qui eft noirâtre , qui n’a point détachés brillantes , & qui réduite en poudre., eft d’une couleur de plomb. Cette matière eft dure & péfante; & plus fa cou-
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Remarque de Jean Kunckel far le Chapitre XIII.
Nous avons remarqué fuffifament que nous n’avons point bcfoin de la magnéfie d’Italie , puifqu’on en tire en plufieurs endroits de r A Ile- magne qui ne lui eft inférieure en rien. L’extinftion avec le vinaigre eft inutile , pourvu que la matière ait été bien calcinée.