CHAPITRE XXXVI.
Couleur bleue de Turquoije > l une des principales qui entrent dans le verre.
PRENEZ du fel marin gris ou gro filer; car le fel blanc n’eft point propre à cette opération, Hiettez-le dans le fourneau à calciner pour en tirer
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toute l’humidité, & le blanchir; broyez-le en-* fuite; vous aurez une poudre fort blanche qui! faudra conserver pour en faire ufage dans la pré¬paration du bleu de Turquoife. Ayez dans un creufet, au fourneau, de la fritte de criftal teinte en couleur d’aigue-marine un peu foncée, & pré¬parée de l’une des maniérés que nous avons don¬nées ; car la préparation du bleu de turquoife dé¬pend delà qualité de l’aigue-marine ; mêlez petit à petit & en remuant bien, dans ce verre ainfi coloré , le fel marin que vous aurez préparé comme on vient de le dire ; vous verrez la cou¬leur d’aigue-marine devenir opaque ; car le feî en fe vitrifiant ôte la tranfparence au verre, & lui 4onne une pâleur qui produit le bleu de tur-quoife. Auffitôt que la couleur fera telle que vous la demandez ; vous vous mettrez à travailler le verre , car fans cela le fel Ce confumera , s’en ira en vapeurs, & le verre redeviendra trantparent & difforme. Si pendant le travail la couleur ve- noit à difparoître , vous pourriez lareftituer , en remettant un peu de fel comme auparavant. L’Ouvrier obfervera que le fel, à moins d’être bien calciné, pétille toujours ; c’eft pourquoi, lorfqu il en fait ufage , il faut qu’il ait la précau¬tion de garantir fes yeux ; il faut auffi qu’il ne mette le’fel que petit à petit , & par intervalles jufqu’ace que la couleur foit telle qu’il la délire. L’on ne peuts’affurer abfolument de cette couleur. En nf.y prenant de la façon que je viens, d’e dire,
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l’expérience m’a fouvent réufll. Pour avoir une belle couleur, il fuffic de prendre un verre d’aigue- marine fait de parties égales de criftal & de roquette.
Remarques de Kunchl fur le Chapitre X X X V I
Ce que notre Auteur Bit Bans ce Chapitre eft vrai ; mais il ne .aille pas B’y avoir des inconvériiens ; car il faut bien prenBre fon te ms pour travailler ce verre , attendu que c’eft de là que dépend tout 1 ouvrage; en effet, fi on le travaille trop tôt, la matière eft trop cfiargée de Ici & ne fe travaille pas aifément ; d'un autre côté , fi on la laiflê trop longtemsau feu , elle redevient tranfparênte; en un mot, il eft aflez difficile de prendre un jufte milieu. Je donnerai par la fuite une com- pofition au moyen de laquelle on pourra préparer avec moins de peine yju’a l’ordinaire toutes les couleurs non tranfparentes. Je terminerai ici mes remarques fur le premier Livre de notre Auteur en expofant en abrégé la méthode dont je me fers & qui eft en ufage en Allema¬gne pour faire tout ce que Neri a enfeigné fort au long, d’une manière plus aifée, à moins de frais en fe fervant de matières moins cou- teufes , &. qui fe trouvent dans nos pays ; fans qu’il foit néceffairc de fe mettre en peine d’avoir des frittes , des roquettes , tarfes , cendres du Levant ou de Syrie , ou d’autres ingrédiens qu’il faut faire venir de fi loin.
Voici comment on peut s’y prendre. Ayez de la potaffe que vous ferez fondre dans de l’eau; & après avoir laiffé repofercette folution pen¬dant une nuit > décantez en l’eau claire , filtrez ce qui reftera , afin d’avoir une leffive claire & pure ; faites cuire le tout à ficcitédans un chaudron de fer jil vous reftera au fond du vale un fel blanc que vous cafterez en morceaux que vous mettrez rougir doucement au four¬neau ; cela fait , diftolvez le fel de nouveau dans de 1 eau & reïtérez 1^ même opération que je viens de preferire ; plus vous la réitérerez , plus le fel fera beau &. plus le vetre fera pur ; cependant fi vous voulez porter dans ce verre des couleurs ordinaires comme du bleu & furtout duverd, il fuffira que le fel ait été bien purifié une fois ; car quand le yerre aurait un œil verdâtre, cela ne njjiroic point à ces couleurs , ni à celle d’aigue-marine pourvu que le verre fut çiair d'ailleurs,, ce qui dépendra principalement du faffre que vous yemployerez.
^cant ainfi préparé , prenez-en 40 livres, & 60 livres e *^ble ou de cailloux blancs ; pour donner plus de corps a la compontion, j’y mêle ordinairement y livres de craie ; réduifez le tout en poudre; faites en le mélange avec foin : plus ce mélange refiera au feu, meilleur il de viendra. Le mieux eft de l’y laiffer pendant deux jours & demi ou trois jours : il fera au bout de ce teins, propre à être travaillé & à recevoir toutes les couleurs que vous voudrez lui faire prendre.
Une obfervation que j^ai encore à faire ; c’eft que fi l’on a des pier¬res à fufil noires , qu’on les fafle rougir au feu , & éteindre enfuite dans l’eau , & qu’on les réduife en poudre avec du fel fou vent purifié, ce mélange produira un verre d’une beauté merveilleufe : on éprouvera feulement que le verre de cette efpéce eft plus dur à la fonte : c’eft pourquoi, tandis que fur do livres de cailloux ou de fable ordinaire on met communément 40 livres de fel ; dans cette occafion , il faudra fur 60 livres de ces pierres à fufil, 47 à y o livres de fel. Ilya auffi une efpéce de moëlon qui, après avoir été calcinée , devient fi friable , qu’on peut la brifer entre les doigts. Elle donne un fable fort blanc, & fait un verre très-beau & même plus aifé à mettre en fonte que celui qui vient de cailloux blancs : aurefte, en mettant le fel, il faut toujours fe regler fur le plus ou le moins de facilité qu’aie fable à entrer en fufion, lorfqu’il aétébientamifé. En obfervant exactement tout ce qui vient d’être dit, on obtiendra un verre ou Criftal aufli beau que celui que notre Auteur fe donne tant de peine à préparer.
Je fçai une autre maniéré défaire le criftal encore plus beau, qui fe pratique dans les Verreries de l’Electeur mon Maître & dans celles d’autres Princes, mais comme on en fait un miftére, on me pardonnera fi je ne la donne point ici.
Maniéré de préparer la couleur de Turquoife & autres couleurs non transparentes.
Les Verriers font entr’autres-chofes un verre avec les cendres de maifons ou granges brûlées. Ce verre , lorfqu’on le retire du four¬neau , eft clair 6c pur ; mais lorfqu’on le remet au feu, il devient tout blanc ; ils appellent cette couleur Blancs d'os. Si on donne une couleur bleue à ce verre , qu’on en tire avec la canne du Verrier ; qu’on le fafle enfuite recuire, on aura une couleur de turquoife ou de barbeaux ; fi on y mêle d’autres couleurs, le verre en deviendra moins tranfparent ; on pourra de cette maniéré faire un verre de bien des couleurs différentes, fuivant la matière dont on fe fervira pour le colorer.
ï Kunckel la donne plus bas,
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Compofition abrégée pour faire un Criflaltrès-folide & très-beau.
Prenez de beau fable ou de cailloux bien pulvérifés 170 livres ; de potaffe bien purifiée IOO livres; de craye 20 livres; de bonne’ma- gnéfie ƒ onces ; ces matières bien mêlées & mifes en fufion , donnent un verre fupéricur à ceux que l’Auteur apprend à faire de tant de laçons differentes.
Il arrive fouvent ’, en fuivant cette dernière méthode , que le verre au fortir du fourneau, paroifle obfcur & nébuleux ; c’eft tantôt la craye , tantôt la potaffe qui en font caulè, félon qu’elles ont été bien ou mal purifiées ; cela dépend aufiî de la qualité du bois des cendres duquel ce fel a été tiré. Dans ce cas, il n’y aura qu’à éteindre le verre dans l’eau, & le remettre enfuite à fondre. Si la couleur né- buleufe ne s’en va point dès la première fois, il faudra réitérer la même operation ; on ne fera point dans la néceffité de le faire fi lôuvent lorf- <}ue la potaffe aura été purifiée convenablement; maisfi on l’employe toute brute, on y fera prefque toujours forcé. Je me fuis déterminé à communiquer au Leéleur les maniérés fuivantes de faire le criftal & le verre de porcelaine, attendu que les circonftances qui m’avoient obligé a en faire miflère dans la première édition, ne fubfiflant plus , je me trouve en liberté de parler.
Préparation d'un verre qui rejjemble à la Porcelaine, au moyen duquel on fait toutes les couleurs non tranjpar entes aune grande beauté.
Cette compofition que j’ai ci-devant tenue fecrette m’a été com¬muniquée par le fieur Daniel Krafft qui en cft l’inventeur ; elle eft très-belle & doit donner un grand plaifïr aux Curieux. Voici la ma-, aiere de la faire.
Prenez 60 livres de fable blanc ou de cailloux , 40 livres de potaffe purifiée, 10 livres d’os ou de corne de cerf calcinée, mêlez bien toutes ces matières, & les mettez à fondre ; ce verre au fortir du four¬neau fera très clair & très-pur; mais iorfqu’on le remettra à cuire & 9u’on le travaillera il deviendra femblable à l’opale ou blanc de lait5 plus ou moins, félon qu’on le mettra plus ou moins à recuire ou qu’on Y aura joint plus ou moins d’os ou de corne de cerf calcinée.
fluire maniere.
La compofition fuivante eft plus couteufe, maïs elle n’en eft que plus belle; je m’en fuis lervi avec fuccès pour faire des opales de la plus grande beauté, ce qui me reuffiiioità proportion que je faifôis recuire plus lôuvent la matière & que j’y mêiois plus ou moins d'os calcinés.
Prenez de cailloux ou de pierres à fufil 130 livres ; de falpêtre bien purifié &. réduit en poudre 70 livres; de borax 12 livres; de tartre 12 livres; d’arfenic y livres; de corne de cerf ou d’os calcinés 17 livres ; ou plus ou moins à volonté : fi l’on veut faire de Popale on n’en mettra que 12 livres; fi on veut un blanc de lait ou d ivoire , on en mettra davantage. Chacun en pourra faire l’épreuve en petit.
Ce verre étant ainfi fait, en y pourra porter toutes les teintures & compofitions capables d’entrer dans le verre, & en former des vafes qui ayent toutes fortes de couleurs non tranfparentes & femblables aux pierres prétieufes de cette efpéce. Mais lorfqu’on voudra d’autres couleurs, la première compofîtion fuffira : ce feroit dommage d’em* ployer la derniere qui eft trop prétieufe.
Troifiéme maniéré.
Si, dans la derniere compofition, au lieu d’os calcinés, on met ƒ onces de magnéfie, on aura ( en obfervant toutes les régies pref- crites ci-devant) un criftal plus beau que celui dont on a donné la compofition. Je fçai une compofition encore fupérieure dont on peut faire un criflal affezfolide pour en former des vafes propres à diftiller toutes fortes d eaux fortes Ôc d’efprit corrofifs , mais je crois que cet ouvrage eft fuffifamment completté parce que je viens d’y ajouter, & qu’il n’eft point néceflaire de divulguer des inventions qui ont coûté beaucoup de travail & de peine»
FIN des otfervations fur le premier Livre de Neri,
KART