CHAPITRE XXXVIII.
Maniéré particulière de faire l'Eau -forte propre à diffoudre T Argent & le Mercure.
Prenez de nître purifié une partie; .d/'alun de roche calciné dont on aura fait évaporer toute l’humidité , trois parties ; fur chaque livre de ce mélange, mettez une once d’arfenic blanc ( c’efl un fecret connu de peu de perfonnes Vous donnerez par-là de la vigueur à l’eau-forte , & vous extrairez plus aifément les efprits qui en font toute la force, & fans leiquels l’eau-forte ne diiféreroit en rien de l’eau de fontaine. Il faut pul-verifer ces matières ; les mêler enfemble exactement ; ajouter un dixiéme du poids de toute la compofition , de platras ou de chaux qui aura déjà fervi, pulverilée, & mettre ce mélange dans une cucurbite de verre , que vous en remplirez aux trois quarts, en obfervant de la bien luter par- dehors ; voici une maniéré peu connue, de faire le lut. Prenez une partie du limon le plus gras qui fe trouve dans les rivières,, trois parties de-fable , une demie partie de cendres ordinaires , y de autant, c’eft-à-dire demie partie de bourre ; Jfêlez& incorporez toutes ces matières, & par' le moyen de l’eau , faites en une pâte que vous aurez foin de bien paîtrir, car plus vous la paî-
[109] trirez, meilleure elle deviendra. La rnaffe doit avoir un peu de confidence, il faut y joindre Un tiers de fel commun que vous y incorporerez ; c’eft-là le point principal de l’opération. Vous Vous fervirez de ce lut qui eft fort bon, pour en garnir les vaifteaux de verre ; vous mettrez enluite les cucurbites dans des fourneaux a vent convenables à cette opération , vous les placerez fur des capfules de terre cuite, capables de réfifter au feu ; fous le fond des cucurbites vous mettrez du fable à la hauteur de quatre doigts, & les en entourerez jufqu’au col: îl faudra qu’il y ait dans le fourneau une barre de fer alfez grofle & alfez forte pour foutenir le poids des capfules & des cucurbites<?. Vous adapterez à chaque cucurbite fon chapiteau qui doit être grand; vous luterez bien les jointures avec un lut fait de farine &c de chaux en poudre, unies avec du blanc d’œuf bien battu, que vous étendrez fur du linge fin & délié ; vous iaif- ferez fecher le lut &c en remettrez ainfi trois ou quatre couches , obfervant de lailfer à chaque fois fécher chaque couche avant d’en mettre une nouvelle ; par ce moyen elles feront plus en état de foutenir la violence du feu & des efprits ; adap¬tez à chaque cucurbite un récipient large pour Pouvoir recevoir les efprits, qui fontfort violens, dt ayez grand foin de lutter bien exa&ement la partie par où le ballon ou récipient touchera au bec du chapiteau ; vous vous fervirez pour cela du lut dont on a parlé , & d’un morceau de toile y &. vous ne donnerez du feu qu’aprèsque le lut des jointures fera bien feché ; cela eft de grande im-portance. Vous donnerez enfuite un feu de char¬bons très-doux pendant trois heures ; ce teins fuffira pour que le flegme & les vapeurs qui pour- roient faire rompre les vaiffeaux paffent. Vous continuerez ce feu modéré encore pendant fix heures , au bout defque lies vous augmenterez le feu petit à petit , en joignant aux charbons des morceaux de bois de chêne bien fecs ; cette partie du procédé fe continue fix heures défaite, jufqu’à ce que le chapiteau devienne jaunâtre & que les efprits commencent à pafler ; vous conferverez le feu dans ce degré jufqu’à ce que le chapiteau fe rempiiffede vapeurs rouges ; alors vous augmenterez le feu pendant plufieurs heures, jufqu’à ce que le récipient fait aufli rempli des mêmes va¬peurs rouges, ce qui durera quelques fois pendant deux jours entiers : vous continuerez le feu de la même force , jufqu’à ce que tous les efprits foient pafles , ce que vous connoîtrez facilement. Alors vous ne verrez plus de vapeurs dans le chapiteau ni le récipient, & ils auront repris leur couleur ordinaire ; vous laifferez néantmoins le feu durer encore pendant une heure , & le laifferez s’étein¬dre de iui-meme. Il faut prendre garde qu’il n’entre point de vent ou d’air, ou que rien de froid ne vienne à toucher l’alembic ou le balon pendant qu'ils font rouges, car cela feroit rompre les vaiffeaux. Lorfque tout fera réfroidi, il faudra
[111] r mettre des linges trempés dans l’eau froide fur le chapiteau & le récipient, afin que les efprits de l’eau forte fe précipitent plutôt. Vous les laif- ferez dans cet état pendant douze heures, au bout defquelies vous déluterez les jointures avec de l’eau tiède, afin de féparer le chapiteau du réci¬pient ; car ces vaiffeaux demeurent louvent en¬tiers , & vous caiîerez la cucurbite qui ne pourra plus être d’aucun ufàge. Vous prendrez enfuite le caput mortuum ou le fédiment qui fera refté de la diflillation de l’eau-forte;vous le mêlerez à quatre onces de nître purifié, & vous mettrez ce mélange dans une nouvelle cucurbite ; vous verferez par- deffus l’eau forte venue dans la première opéra¬tion , 8c vous remettrez le tout au fourneau ; pen¬dant les quatre premières heures vous donnerez Un feu lent ; vous l’augmenterez enfuite petit à petit jufqu’à ce que le chapiteau & le récipient reprennent leur couleur naturelle, & que tous les efprits foient paffés. Alors il ne faudra plus pouf¬fer le feu ; mais biffer réfroidir les vaiffeaux ; vous envelopperez le chapiteau & le récipient avec des linges mouillés, & les bifferez pendant douze heures dans cet état. Au bout de ce teins, vous déluterez les vaiffeaux, 8c eonferverez l’eau- forte dans des vafes de verre bien bouchés , afin que les efprits ne puilfent point s’évaporer. C’eft là l’eau-forte que l’on appelle Eau de départ, dont °n fe fert pour les ufages qu’on indiquera plus bas.
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Il y a des gens qui au lieu d’alun de roche fe fervent de bon vitriol, comme de celui de Rome ou d’autre ; mais on peut s'aiïurer fi le vitriol eft propre à cet ulàge , lorfqu’en le frottant fur un fer poli il lui donnera une couleur de cuivre. Ce vitriol bien purifié de la façon qu’on le dira dans le Chapitre luivant, rendra l’eau forte beaucoup plus efficace que ne feroit l’alun.