C H A .P I T R E CXV.
Maniere de faire le bleu d’Outremer.
Ï^RENEZ des morceaux de lapis lazuli dun beau bleu ; on les vend a bon marché a Venife ; Calcinez les dans un creufet a un feu de charbons & éteignez les par deux fois dans 1’eau ; réduifez après le lapis fur le porphire en une poudre dé- bée & impalpable; prenez enfuitede la réfine de fapin, de poix noire, de maftic, de la cire vierge, de la térébenthine de chacun une once, d’huile de lin & d’ encens , de chacune une once ; fakes londre toutes ces matieres a feu lent dans un vafe de terre ; ayez foin de les remucr avec un petit baton , afin qu’elles s’uniflent; jettez-les enfuite dans de 1’eau froide & lesréfervez pour votre ufage,.
On prend après cela pour dhaque livre de lapis pulvérifé dix onces de la paté fufdite; on les fait londre a feu doux dans un vafe on j'ette pardeflus Petit a petit la poudre de lapis , & on remue le mélange exaélementavec un petit baton; iorfque tout eff Eien mêlé , on jette la matiere dans un Vafe plein d’eau froide ; & après s’être frotté la Attain d’huile de lin , on en forme des gateaux °blongS & ronds qu’on laiffe dans 1’eau pendant Hpinze jours, en les changeant d’eau tou-s les deux
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jours. Au bout desquinze jours, on met ces ga¬teaux dans un bafiin propre & bien vernifle ; on verfe pardelfus del’eau chaude bien nette; & lorf que Peau s’eft réfoidie , on y en verfe d’autre ; on continue de même jufqu’a ce que les gateaux le diftolvent par la chaleur de 1’eau : quand on s’en apper^oit, on verfe de la nouvelle eau chaude; alors on voit 1’eau fe teindre en bleu ; on décante cette eau colorée dans un autre vafe vernilfé & on reverie encore de Peau chaude fur les ga¬teaux. Quand cette nouvelle eau eft colorée, on la décante comme la prèmiere ; on la paffe par un tamis ferré ; on continue de la même facon, tant que Peau fe charge de couleur; il faut prendre garde que Peau ne foit point trop chaude, mais lèulement tiéde; fans cela., la couleur deviendroit unpeu noire ; ces eaux colorées & palfées par un tamis ont une efpéce de grailfe a la furface, c’eft pourquoi ii faut les lailfer repofèr pendant vingt- quatre heures ; ce terns fuffira pour que toute la couleur tombe au fond. Il faut alors décanter 1 eau & la grailfe qui furnage ; remettre de Peau claire ; faire repalfer le tout par un tamis ferré , & remuer fouvent: dans cette opération , une partie de i’onéfuofité s’attachera au tamis. On repetera trois fois la même chofe, en obfervanC a chaque fois de bien iaver le tamis ; on confer- vera la couleur dans les vafes en décantant 1’eatf tout doucement; cette couleur fe fechera d’elle- même. On aura par ce moyen un bleu d’outremeï
DE LA VER R ER IE. '232 très-beau; j’en ai fouvent fait fexpérience a An¬vers. Au rede, on mettra plus ou moins de la pace fufdite avec le lapis en p’oudre , felon qu il contiendra plus ou moins de couleur , & que la couleur fera plus ou moins belle ; mais il faudra lurtoutobferver que le lapis loic bien broye & re- duit en une poudre impalpable.
Si vous broyez de la même maniere du bleu d’émail, & que vous 1’unifliez a line pate telle que Celle que 1’on a indiquée ci-delfus ; que vous te- niez cette paté en digeltion pendant quinze jours comme vous avez fait avec le lapis-iazuli, & que vous vousy preniez de la même lacon qu’on vient de dire, vous aurez une couleur affez belle, & ,(3ui imitera lebleu d’outremer > cette couleur fert aux Peintres & auxVerriers.
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Notes de Merret far le Chapiire CXV*
L’Outremer, eftfuivant Ctfalpin , la plus belle des cou¬peurs ; elle égale & peut-être furpaffe 1’or en prix; les Au¬teurs qui traitentdes pierres & des couleurs en parlent tous-, difentla maniere de la préparen Elle eft très-tendre, & fl on n employe pas du lapis parfait, tout le travail devient futile* Je me contenteraid’indiquev les Auteurs qui en ont fans parier des procédés qu’ils donnent , attendu
^u’lls font longs & faftidieux. Boetius de Boot de Gemmis
Lapid. Liv. 2. depuis le Chapitre 123, jufqua 142, dit d une fa^on fort diffufe, comment il faut choifir cette pierre; car il y en a qUi réfiftent au feu , & Aldovrandus lesappelle > d’autres qui y perdent leur couleur: il décrit auiïï au long, de quels vafes ii faut fe fervir, dc quelle pate cu compofition ii faut employer &. faire 1’extrait; mais
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eft qu’au dernier Chapitre qu’il enfeigne la voye la plus aifée & la moins couteule ; Birellus n’a fait quelefuivre Livre p. depuis le Chapitre 80, jufqu’a top , & donnerles mêmes procédés d’une facon plus courte. II y a des Peintres qui, pour employer le lapis, le contentent de le broyer , & s’en fervent fans autre preparation.
Remarques de J. Kunckel fur le Chapitre C X V.
Quoique la cherté du lapis empêche de faire 1’outremer avec profit dans nos pays , cette couleur , lorfqu’elle eft belle, revenant a un plus haiitprix que 1’or même ; toutefois je ne peus me difpenfer d’en dire quelque chofe en faveur des Peintres 6c des Artiftes;notre Auteur s’cft donné la peine de décrire bien au long les procédés néceflaires 3 fa preparation : mais il y a un défaut dans la compofition qu’il indiquej c’eft qu’elle rend la couleur fale 6e terne ; je vais done en fubftituericJ une autre dont je me fuis fervi avec fuccès , 6c qui m’a été commU' niquée par un Francois, qui en .fit 1’eflai avee moi.
Nous primes du lapis; nous le réduisfmes en morceaux, de la groffèur d’un pois; nous-le fimes rougir au feu , & nous 1’éteignimes dans de fort vinaigre , (celui qui eft diftillé n’en eft que meilleur ) ; nous le broyames avec le vinaigre,& leréduisimes en une poudre impalpable * c’eft le tour de main leplus important de 1’opératiop. Nous primes alors en poids égal a celui de la poudre , de la cire vierge bien pure 6e de la colapbane moitié par moitié ; nous les fimes fondre dans un plat de terre vernifle , & nous y jettames petit a petit la poudre de lapis, en remuantbien; nous verfames cette malle dans de 1 eaufroide* ou nous la laiffames pendant huit jours ; nous primes enfuite deint vafes de verre, que nous remplimes d’eau ft chaude que la main pou- voit a peine la fouffrir; l’un de nous prit alors un rouleau de cette ma- tiere & fe mit a le paitrir dans i’eau chaude; après que nous eumes ern en avoir tiré fe plus beau , nous paffames le rouleau dans un autre vaiffeau; mais ce qui vint la feconde fois n’étoic pas comparable a ce qui étoit venud’abord ; lebleu en étoitplus pale 6c de ‘moins de va' leur; nous laiffames jepofer cette eau quatre jours ; pendant ce tem* Ia poudre fc précipita tout a fait , 6c nous la ramaffames avec loin. I' n’y en eut que trés -peu de la meilleure efpéce : une même matfè eI1 fournitde trois ou quatre fortes differentes , fuivant la quantité qu 0(1 en fait,& felon qu’on la paitrit dans des eaux différentes. 11 faut furtouc avoir les mains bien ncttes, car cette couleur prend aifément touteS fjrtes de faletés: voila la fa^on dont j ai aide a faire Poutremer.
CHAPITRE