ADDITIONS
A L’ A R T
D E LA
P 'E R R E R I E
PAR JEAN KUNCKEL;
cet Auteur enjeigne a pre'parer des Verres & des Pierres Prelieujes , plus dures & plus parjaites que celles dont on trouve les compofitions dans Pieri j avec la maniere de faire & de connoitre les Doublets.
JJ A i promis a. ceux qui font curieux de 1’Art de la Verrerie , non feulement de leur communiquer le fourneau de Verrerie dont je fuis 1'inventeur, mais encore de leur indiquerune méthode courte de compofer des verres & des pierres faéfices plus parfaites & plus dures , fans prétendre toutefois Spae cette dureté foit portée au-dela de celle qu’a meilleur verre criftallin ; je vais latisfairea mes engagemens. Si on veut avoir un verre & des
Pierres prétieulès d’une maniere plus courte & plus fure quc les précédentes,ilfaudra commencer par preparer la pate oufrittefulvante.
Preparation du Sable pour eet ufage.
J’ai fonvent remarqué plus haut dans mes Ob- fervations fur Neri , que les pierres a lufil noires étoient d’un très-bon ufage dans 1’Art de la Ver- rerie; je répéte ici la même chofe, & je dis que ces pierres font très-bonnes dans le procédé done il s’agitici. Prenez en done a voionté ; commen- cez par les tremper dans 1’eau ; expoïez les touteS mouillées a la chaleur du fourneau ; elles ne pe- tilleront que fort peu , au lieu que ft elles étoient féches, elles éclatteroient & fe briferoient en très- petits morceaux. Ayez la precaution de les chauf¬fer doucement & petit a petit; lorfque ces pierres feront entiérement rouges Sc pénétrées par le feu, jettez les dans de i’eau claire ; elles devien- dront alors d’un beau blanc : après les avoir fait fécher convenablement, reduilèz-les enune pou- dre très-fine Sc très-déliée : fi i on n’en prépare qu’une petite quantité Sc qu’on fe ferve d’un mor¬tier deler , il ne fèra gueres poflible que 1’on ne detache quelques particuies de.ee mortier; c’eft pourquoi il fera bon de verfer un peu d’eau forte fur ia poudre. Cette eau fe chargera de la partje ferrugineufe; on décantera enfuite 1’eau forte; mais comtneii pourroit refter encore dansla pou¬dre , foit des parties de fer, foit d’autres faletés, il faudra , pour les en féparer, & pour nettoyet Sc édulcorer tout-a-fait la poudre , 1’arrofer avec de i’eau chaude pure: s’ii y avoit beaucoup d’eau
DE LA VERRERIË. 279 forte , on pourroit la mettre a évaporer; cn la conforve.roit par ce moyen, & on s’en ferviroit a d’autres ufages.
Lorlque cette poudre de pierre a fufd a été pfoparée comme on vient de dire, elleeft propre a être employee non feulernent pour faire le plus ^eau verre, mais encore pourimiter les criftaux & fos plus belles pierres prétieules tePes que le Dia¬mant , les Rubis, &c. Si on veuts’en fervir pour contrefaire ie faphire, Pémeraude, la topafe , la chryfoiiche , le rubis Ipinel, Paméthiïïe, l’aigue- fnarine & d’autres pierres femblables, il ne fera point néceflaire de faire ufage de Peau forte ; il foffira que le mortier foit bien propre & nettoyé de toute rouille. L’on pourra pour eet effet mettre a part la premiere poudre qu’on aura pilée dans fo mortier, comme celie qui a le plus détaché de fes parties métailiques , & s’en fervir pour le fa¬phire , ou ce qui vaut encore mieux , pour Péme¬raude a qui les parties détachées du mortier ne foront aucun tort. Si Pon avoit un mortier d’une pierre très-dure comme le porphire, 1’agathe, ou autre matiere fomblable , & qu’on en fit une ef- Poce de mouiin tel que je vais en décrire deux , °n foroit difpenfé de tout foin a eet égard! J ai inventé pour mon uftge deux efpéces de Poulins qui, une fois montés , peuvent aller fans Ru’il foit befoin d’y mettre davantage la main , Rui broyent avec une grande promptitude & qui pourfoient faire tournet' en même terns un tour-
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nebroche. Je pourrai peut-être par la fuite com- muniquer ces machines , dans mon laboratoire expérimentale; en attendant on pourra fe fervir utilemcntdes deux moulins répréfentés dans les figures ci-jointes ; celui qui eft marqué A eft en" tiérement de boh,a 1’exception du mortier dc n’eft point couteux; le fecond , .marqué B, eft de Ier & peut être auffi adapté ou appliqué a un mortier depierre ou de verre; mais il revient plus cher, comme il eft aifé de fe 1 imaginer; on les difpo- fera de maniere a pouvoir broyer dans un grand ou petit mortier a volonté. La figure C n’eft qu’un mortier fans moulin dont il n’y a que peu de chofie a dire. Ces trois moulins peuvent être mis en mouvement par un petit gar§on : il fera facile- a quiconque voudra de travailler lur le plan qui lui eft ici préfenté.
Sil’on ne pouvoit avoir les pierres a fufd noires dont on vient de parler plushaut, il faudroit fe fervir de caiiloux blancs; cependant les pierres a lufil noires leur font bien fupérieures, furtout a caule de leur dureté; auffi rendent-elles les verres ou pierres faélices qui en font tirées , plus dureS que celles qui font faites de fable ou d’autresma- tieres. L’on obfervera que les pierres a fufii noires doivent demeureraufeubeaucoup plus long-temS & font d’une fonte plus difficile que les autres* Les pierres faites. avec les pierres a fufd noires fou- tiennent le poli & la roue , Sc fe taillent mieuX que les autres. Pour ie refte ,1a beauté depend du
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DE LA VERRERIE.' 28 r foin & de 1’attention que 1’on aura a mettre en pratique les remarques que nous avons déja don- nées & les regies que prefcrit Neri, & du tems qu’on lai/Tera la fritte au fourneau ; voila ce que javois a dire fur la preparation du fable.
Comment il faut faire le mélange ou la fritte pow
la compofition.
Lorfque le fable a été préparé ainfi qu’onvient de dire &.réduit en une poudre extremément dé- iiée, faites votre compofition de la maniere fui- Vante.
PR ENEZ
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De ce Sable ou de cette Poudre. . . 3 y
De Salpêtre bien purifié 2 i
De Borax. . . . . . . . !>parties.
D’Arfenic i J
AUTRE.
De Poudre. « * • . .3}
Salpêtre.
^orax. . " r-1
• • • . .2\ parties.
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AUTRE. * ’ J
De la Poudre fufdite 2
De la potalfe bien purifiée ou du fel de Tartre 1
Borax- , .» z „ ... . .1
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a8i L’ A R T
AUTRE.
De la Poudre fufdite. . *. . 7 d
De PotalTe bien pure. . . . ƒ
AUTRE.
De la Poudre. De Salpêtre. De Borax. D’Arfenic.
De Tartre.
J’ai fait moi-même 1’eflai de routes ces difFé- rentes compofitions, & quoiqu’il s’en trouve d’une fonte plus aifée que d’autres, elles ne laiflent point d'être toutes plus dures que celles de Neri. Joignez a cela que les pierres faites de ces diffé- rentes manieres, ne font ni fi pefantes ni fi grolfes que les Hennes, & furtout celles oü il entre du verre de plomb.
Comment il faut fondr e la matiere , lui donner la
teinture & lafinir.
Prenez une de ces différentes compofitions 3 volonte ; pefez-en une ou deux onces; mettez ls couleur que vous voudrez luivant la pierre que vous avez deflein de contrefaire; fi par exemple vous voulez faire un faphire, fur une once de compofidon, mettez un grain de fo.uffre oude co-
DE LA VERRERIE. 283 balt ; mêlez bien les matieres & faitesles fondre; b vous voyez que la couleur vous plaife,demeurez- en la , caril y a du fafire qui donne au verre un bleu très-foncé , & d’autre un bleu pale; il en eft demême des autres couleurs, c’eft pourquoi je ne P’-iis indiquer aujufte les dofes ou proportions qu’il but fuivre ; le meilleur moyen fera d’en faire des eftais en petit, dans de petits fourneaux a réver¬bére , afin de fe mettre au fait par 1’ufage & la pratique. Notre Auteur a déja luffifamment traité des couleurs, &toutle monde pourra aifément donner a fon melange une couleur claire ou fon- cee; je vais cependant prefcrire encore quelques fugles générales fondées fur les expériences que 1 ai faites. Je prens pour exemple les différentes nuances de la couleur verte ; elles fe font par le niêlange arbitraire , des écailles de cuivre & du bffran de Mars pulvérife de la maniere que notre Auteur i’a enfeigné, Ces deux matieres donnent toujours du verd; mais pour avoir du verd de dif¬férentes elpéces, cela dépendra entiérement de b maniere dont le faffran de Mars auraété préparé bit par le vinaigre , foit par le moyen de 1’eau brte , foit enfin par la feule réverbération.
Les grenatsde Boheme donnent une plus belle nouleurd’émeraude, lorlqu’ après avoir été calci- nés & pulvérifés, on vient a les meier a la com- pofition.
Le faffran de Mars , ou la limaille de fer pteparée par le feu de réverbére , donne une
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très-belie couleur cThyacinthe , lorfqu’on en met buit ou dix grains fur une once de la même com-pofition précédente. Si Ton fait diiïoudre de 1’ar* gent dans 1’eau force ; qu’on le précipite par le moyen du fel; que Ton y joigne un peu d’aimant ? & qu’on le mêie a la compofition , elle prendra differences couleurs femblables a celles de l’opale naturelle.
On prépare une belle pierre rougeatre avec des morceaux ou fragmens de calcédoine , qu’on a mêlés & fait fondre avec le borax; 6c 1’on obtient de ce melange toutes les couleurs dont on peut fe formêr 1’idée.
Je vais donner ici en faveur des Curieux un melange ou une compolition qui réulïira plus aifé" ment que les précédentes.
Ceux qui voudront s’exercer a preparer des pierres faélices 6c fe dilpenfer de purifier le fable 6c les cailloux, n’auront qu’a prendre du beau verre ou criftal de Venife, le bien piller ou pul" vérifer dans un mortier bien nettoyé , fiuit onces de ce criftal, de borax deux onces , de nitre pU" rifieune once: ce melange donnera des pierre^ de toutes fortes de couleurs 6c avec plus de facilité qu’aucune des compofitions précédentes ; elles ne feront point fi remplies de bulles, 6c feront purifiees beaucoup plutót: il faudra laiffer leS autres compofitions beaucoup plus long-tems an feu , avant que d’être pures.
Cependant il faut remarquer que les pierteS
DE LA VERRERIE. 28; pi'éparées de cette derniere facon font plus ten- dres que celles qui font faites avec les compofi- dons precedences , paree qu’ilentre plus de.filpê- tre & de borax dans ces dernieresque ie verre n’en bemande.
L’on peut faire vingt efïais a la fois dans mon fourneau dont je joins ici la figure. Les creufets Y font.a couvert de toute pouftiere & ide toute autre faleté. J’en donne la conftruéfion tant in- «- térieure qu’extérieure,en faveur desCurieux;&j’e(- pére qu’il s’en trouvera quelques-uns qui s’en fer- viront avec avantage.
Des Doublets.
Comme les Doublets font fort a la mode, & que lorfqu’ils font montés, on a de la peine a. ley diftinguer des vraies pïerres prétieufes ; j’ai cru devoir donner ici la maniere de les bien difpofer.
Prenez un fcrupule de maftic en larmes bien pur, & un douzieme de terébentbine de Venife ou de Cypre; faites les fondre enfemble, dans un petit vaiffeau dlargent ou de cuivre jaune;s’il y avoic trop de terébenthine,vous y remettriez un peu plus de maftic jufqu’a ce que la proportion fut jufte.
Prenez alors telle couleur que vous voudrez, comme de la lacque de Florence , du fang de ^tagon , du verd-de-gris ou Ü’autres matieres femblables, fuivant les couleursque vous voudrez faire paroitre ; bröyez cbaque ebofe jufqu’a ce
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quelle foit réduite en une poudre très-fine, & joignez-la feparément au melange de maftic Sc de térébenthinê que vous aurez fait fondre d’abord ; aveclalacque de Florence , vous imiterez le ru- bis ; avec le fang de Dragon, 1'hyacinthe, & avec le verd-de-gris la chryfolithe : mais ü vous vouleZ avoir toutes ces couleurs bien belles & bienpures, il faudra faire faire une boete de bois fee de Tilleuil A , telle que la figure la repréfente, dont le fond B foit auffi mince qu’il fera poffible , même au
i|§|l point d’êtretranfparent: preneZ pour lors une certaine quantité de la maffe qu’on a dit ci-def- fus; ajoutez-y telle couleur que vous voudrez ; metteZ B tout dans cette boete , que
vous fufpendrez fur un feu de charbonsd’une chaleur modérée,ouque vousexpoj ferezpendant 1’été a la chaleur du Soleii. Lapartie la plus déliée du melange paffera au-travers de la boete; vous 1 en óterez en raclant, & vous met'1 trez ce que vous aurez raclé dans une boete d’i- voire , ou vous le garderez pour Fufage. Il eft a propos d’avoir une pareiile boëte pour chaque couleur, fans quoi les couleurs feroient mêlangées.
Mais pour faire des doublets, il faudra prendre deux criftaux polis , & qui puiffent s’adapter 1’uO far l’autre; on chauffera le mélange qui a écé in-
DE LA VERRERIE. 287 diqué, aufïi-bien que .les criftaux, de facon que les CrHlaux 5' les couleurs ayent un même dégré de ctaleur; on enduira ces-criftaux d’une des con¬curs fufdites avec un petit pinceau; on les ajuftera uien vite i’un.fur 1’autre ; & on les preflera pen¬dant qu’ils font encore chauds; on les laiftera en- Idite réfroidir, & i’ouvrage fera fait.
L’Hiftoirt nous apprenant qu’il s’eft fait de gfandes tromperies avec des doublets , je vais donner ici la maniere de les reconnoitre en faveur de ceux qui ne la fcavent point.
En cas que vous ayez quelques foupeons fur une pierre de quelque couleur qu’elle puifte être, re- gHrdez-la de cótépar un de fes angles, & vous reconnoitrez fur le champ ft c’eft un doublet ou n°n ; fic’eneft un, vous verrez le criftal ou le verre tout clair , & la fraude fera découverte.
Je finis par prier le Leóleur , de regarder d’un osil favorable mon Ouvrage, &de tirer fón profit de mes remarques fur Neri; je puis afturer fans °ftentation que tout ce qu’elles contiennent elf tandé fur des experiences certaines, que j’ai faites ^oi-même & d’après lefquelles un Artifte intelli¬gent peut travailler lans perpléxité. J’ai toujours fort éloigné d’en impofer, & d’éconduire qui ftue ce foit; je n’ai jamais eu en vüe que 1’avantage du Public ; aufti, je ne me fuis pas mis en peine de grolfir ce Livre de beaucoup de détails pen uiterelfants, & de procédés incertains qui feroient Perdre le tems & conftitueroient en dépenfes,
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ceux qui les eflayeroient. Ceux qui écrivent par intérêt , Sc qui chercbent a s’acquérir un honneur pafiager, ne font pas aufli fcrupuleux que moi.
Si mon travail a I’avantage d’etre aufli agréable au Public qu’illui fera utile, & que mes intentions ont été droites , je ferai encourage par cette re- compenfe a metrre au jour mon labowitoire expe¬rimental , ou 1’on pourra trouver bien des chofes qui manquent ici.