De la peinture sur verre et
DCC, LXXIV.
Preface.
I L n’eft point d’occupation plus flatteufe pour un Citoyen que de s^exêfcef fur la découverte ou fur le maintien des connoiflances qui peuvent être utiles ou agréables a la fociété. Ce fera toujours bien mériter de la poftérité que lui conferver des notions exaéles des Arts, en les mettant au jour fous tous les rapports qui leur conviennent, fiir-tout lorfqu’il s'agit de quelques- uns de ces Arts, qui, autrefois très-recommandables, tombent de jour en jour en défuétude, & fe voient menacés d’un abandon général. Deux vérités dont tout homme bien intentionné fe fènt naturellement convaincu.
Ce font elles qui animent le zele avec lequel Meflieurs de fAcadémie des Sciences s’empreflent depuis quelques années de donner au Public des def* criptions très-étendues des Arts & Métiers, & de répandre fiir cbacun d’eux des lumieres qui, éclairant leur théorie, en reélifient la pratique, & ten- dent a les préfèrver des révolutions quails pourroient éprouver dans ./la fuite</*
./L'expérience</ nous apprend que toutes chofès dans la vie font fujettes a viciflitude. Les Arts fur-tout ont pafle par des révolutions fingulieres. Ils one eu des Cedes heureux, oü ils ont atteint a une perfection a laquellelis dont pu parvenir dans d’autres, malgré les plus grands efforts. On les a vu par un progrès fubit s’élever au plus haut degré de fplendeur, & en defcendre avec plus de rapidité. On a vu les Eleves, formés par les exemples & les précep¬tes des plus grands Maitres, occuper leur place fans la remplir , remplacés eux-mêmes par des fujets moindres qu’eux. On a vu le talent enfèveli difpa- roitre pendant des Cedes entiers , après s’être montré pendant quelques années. Quelquefois ces éclipfes dont fervi qu’ a le faire briller enfüite avec un nouvel éclat.
L’Hiftoire nous fournit un exemple frappant d une revolution fèmblable par rapport a la Peinture. Supérieurement pratiqué du temps d’Alexandre, eet Art fe vit prefque anéanti fous Augufte, & la caufè de cette révolution fut 1’oubli des préceptes & des regies des anciens Peintres ./Grecs</.
./Rome</, dans les derniers temps de la République & fur-tout depuis le tranf- port des dépouilles de ./Syracufe</ en cette Ville par Marcellus, au rang defquelles dépouilles étoient des ./Tableaux rares & précieux de ces grands Maitres</, Rome avoit pris beaucoup de goüt pour ./la Peinture</. Ceux qui ly exercerent les pre¬miers, étoient des Grecs efclaves des Remains , ou par leur propre captivité, ou par celle de leurs Parents. ConCdérés de leurs Maitres a proportion de leurs talents, ils en recevoient, ainC que ceux qui s’adonnoient aux Scien¬ces , les traitements les plus capables de les encourager. Mais ils étoient déja beaucoup au-deflbus de leurs Anciens (rz) : its ne deffinoient pas a beaucoup prés C bien, & ne traitoient plus les paffions auffi bien qu’cnx. Comment euflent-ils pu le faire ? ./Les Anciens</ étoient C jaloux de leur ./Art</, que les
[a) Denys d’HaHcarnaiïe, in Ifao.]
feuls noties & les plus opulents d’entre eux pouvoient être admis au rang de leurs Eleves. Des Edits fortis des Tribunaux de Sycione & de Corinthe défendoient de donner des Lecons de Peinture aux Efclaves. Si quelquefois ils les diCloient en faveur de quelquun de leurs plus riches Eleves, les rou¬leaux qui les contenoient étoient auffi rares par 1’immenfité du prix qu’ils y mettoient que par leur petit nombre.
Il a étéplus aifé a Pline, a Athénée, a Laerce, &c. de nous conferver les noms de ces Peintres célebres, & les infcriptions des lujets de leurs plus beaux tableaux, que de tranfinettre a leurs contemporains & a la poftérité des extraits de leurs préceptes lur la Peinture Avares de leurs enfeigne- ments, même envers leurs Compatriotes, ces anciens Maitres craignoienc encore plus de les voir pafler a 1’Etranger.
Dela cette premiere décadence de la Peinture , parmi les Grecs eux-me¬mes. Dela le peu de luccès quelle eut a Rome fous un Empereur, ami des Arts, qui mettoit la gloire dans la protection qu’il leur accordoit 9 & qui ne confioit fon autorité naiflante qu’a des Miniftres capables d’appliquer cette protection avec un lage difcernement, ou de prefler 1’encouragement par des récompenfes qui louvent prévenoient 1’attente de ceux qui les avoient méritées. Dela enfin eet oubli général que la Peinture éprouva lucceffive¬reent pendant les douze premiers fiecles de 1’Ere Chrétienne, lur-tout en Occident. Trifles & déplorables effets du lordide intérêt & d une jaloule crainte! Digne objet de la tendre follicitude de i’Académie des Sciences pour la confervation des Arts !
De même la Peinture fur Verre , qui dans les douzieme & treizieme fiecles étoit le genre de Peinture le plus ufité, je dirois même le feul ufité dans notre France , dans 1’Angleterre & dans les Pays-Bas; celui qui s’y développoit le plus au quatorzieme & au quinzieme , qui fut fi brillant dans le feizieme & afTez avant dans le dix-feptieme, vit les Artiftes & leurs tra- yauxprefqu’abandonnés, fous le regne de Louis le Grand, & fous les yeux dun Miniftre, ProteCleur déclaré des Arts & des Artiftes. Elie a fubi par-tout la même révolution que la Peinture, en général 3 avoit éprouvée lous 1’empire d Augufte. On en eft venu de nos jours } jufqu’a craindre, pour ainfi dire , de la nomraer entre les différents genres de Peinture (è). C eft, dit-on, un
fecret perdu; c’eft un Art enfeveli qui n’intérefle plus.. .. Arrêtez Il
n'eft qu'en lethargie : je vais eflayer de 1’en tirer. Si je ne puis y réuffir , qu il me foit au moins permis, en attendant des remedes plus efficaces , de répandre quelques fleurs ou de verier quelques larmes lur le tombeau qu’on lui deftine, avant qu’on le ferme !
En écrivant lur un Art, dans le fein duquel j’ai pris naiflance, mon but eft que la poftérité ne fe voie pas expofée a regretter la perte des connoif- lances qui nous en reftent, comtne nous regrettons celles des Ancigns , par rapport a la Peinture en général; & qu’inftruite deles regies elle veille avec d autant plus d empreflement a la confervation de fes anciens Monuments ,
[ (a) Voye% le Traité de Francois Junius, De Reflexions, Paris, 1760, zn-40. Dans les notes Piiïurd Veterum, Lib, 2. Cap. 3 Cap. $. au bas de la page 52. tous les genres de Peinture §• 7- ]
font défignés par leur nom, fans aucune meaque, comme dit quelque part M. Rollin, les meilleurs Livres fur les Arts font les Ouvrages des anciens Maitres qu’on voit encore lur pied , & done la bonté univerfellement reconnue fait depuis long-temps 1 admiration des Connoifleurs.
Pour embraffer mon objet dans toute Ion étendue, j’ai cru devoir dif~tribuer ce Traité en deux Parties ; employer la premiere a 1’Hiftoire de eet Art , & la feconde a la Pratique.
L’Hiftoire des Arts & leur delcription contribuent également a leur per¬fection. Si d’un cóté la defcription d ün Art bien méditée, dans laquelle 1’jnduftrie de fes opérations eft exaélement développée, fes befoins annon¬cés , fes difficultés prévues, & la voie ouverte a fa perfection par des inven¬tions nouvelles fèrt beaucoup a Ion encouragement; de 1’autre, le travail s’ennoblit fous la main d’un Artifte, qui connoiflant 1’hiftoire de fon Art , s inftruit de fon origine & de fes progrès, commence par en concevoir une opinion favorable. Alors excité par l’émulation a lurpafler ou du moins attein- dre ceux qui s’y font le plus diftingués, & dont les Ouvrages connus peu- vent lui fervir de modele, quels efforts ne fera-t-il pas pour faire paffer a la i pofiérité Ion goüt & les luccès, fruits d’une application foutenue pai>
fexempie!
Je n’ai épargné ni foins ni recherches pour remplir ces deux objetsen remontant a leur fource. C’eft pourquoi je confidere dans lat premiere Partie l’origine du Verre, fon antiquité, femploi que les Anciens en ont fait, lufa- ge qu’ils ont fait lur-tout du Verre coloré dans les édifices publics, la maniere dont laPeinture fur Verre a pris la place aux fenêtres des Eglifes, fon état dans les différents fiecles jufqu’a préfent> la Vie & les Ouvrages de fes plus célebres Artiftes, les caufes de fa décadence & de fon abandon, & les moyens polfibles de la tirer de la léthargie aéluelle.
Dans la feconde Partie, je rends compte des différentes Recettes autre¬fois en ulage pour teindre le Verre dans toute la malle, & pour le colorer r fur une de fes lurfaces feulement, de la maniere de faire les Emaux colo-[ rants aéluellement ufités dans laPeinture lur Verre, des connoiflances nécef faires a fes Artiftes, & du méchanilme de eet Art. J’y ajoute des morceaux i confïdérables traduits de f Anglois, extraits d’un Ouvrage moderne qui n’a ' q?as encore paru dans notre Langue, & qui peuvent être très-utiles pour la
pratique de la Peinture fur Verre (u).
L’Art de peindre fur le Verre par la recuilfon eft celui dont je traite ici. C’eft pourquoi je ne parlerai point de deux autres genres de Peinture , afle2 improprement dite lur le Verre, oü les couleurs qu’on emploie ne lont point métalliques ou minérales, & par conféquent ne font point fufceptibles de la vitrification.
La premiere de ces deux manieres, que Ton appelleroit mieux Az Peinture, ' Jeus le Verre, ou comme celui qui nous en a donné un petit Traité (è), lu Peinture derriere le Verre, eft fi éloignée de tout autre genre de Peinture, ( a ) Voye% FAvertilFement qui eft a Ia tête de heures, Brochure en forme de Dialogue. Paris,
[cette Traduöion. 175 £ > chez les Libraires affociés, pages 9]
£??) le Moyen de devenirPeintre en trois & 10» que, de faveu de 1’Auteur lui-même, pour y parvenir, il faut déranger ïor+ dre général auquel la régie invariable ajfujettit. Nous nous rendrons avec plai- fir a finvitation de la Marquife de fon Dialogue, enfourniflant a nos neveux les moyens de remettre notre Peinture for Verre en vigueiïr : mais nous laif- fèrons a M. JFifpré, fon Interlocuteur & fon Maitre, le foin de donner a fes Eleves les lecons de fon nouvel Art, avec autant delégance que de galanterie.
La feconde maniere (tz), quoiqu'elle fe rapproche plus de la notre, en differe en ce que les couleurs qu'on y emploie n ont point de rapport avec les nótres; car elles ne font autres que des vernis colorés, tels que la laqué», le verd-de-gris, &c, qui, expofés a Pardeur du foleil, fe levent par écailles, ou coulent a 1’bumidité. Cette feconde maniere rend les objets tranfparents : on s’en fert particuliérement a peindre fur le Verre des fejets pour les lanter¬nes magiques: on en fait auffi des tableaux, en les appliquant fur du papier blanc qui en feit reffortir les couleUrs. '
Si f on prend gout pour des manieres de peindre fer Verre, fidifférentes de la veritable maniere, pourquoi n’aurions-nous pas 1’efpérance devoir renai- tre de nos jours un Art, dont les frais, a la vérité, font beaucoup plus grands , mais auffi dont la compofition eft infiniment plus noble, plus brillante & plus durable; un Art, autrefois décoré par nos Rois des plus grands Privileges , mais qui, prêt a expirer, attend de Sa Majefté unfoufle vivifiant?
Augurons-le de la protection que Notre Monarque Bien - aimé fe plait a accorder a tous les Arts. Quelle preuve plus éclatante du zele de Sa Majefté pour leur progrès , que 1’établiflement qu’elle vient de faire en leur faveur dans la Capitale de fon Royaume! Nous avons une Ecole gratuite, de DeJJiti! Plus de révolutions, plus de viciflïtudes a craindre pour les Arts. Nos neveux attendris, a la vue de ce monument éternel de fa bienfaifance , comme de tant d’autres, publierontun jour a fa gloire avec tranfport, que c’eft a un SouVerain, qui na voulu d’autre conquête que celle des coeurs de fes fejets, qu’on doit la confervation & la fplendeur des Arts en France (i).
(4) Fojye? 1’Avis ïnféré dansla feuille des An-nonces, Affiches, &c. duLundi 18 Novembre i7éy. Le lieur Reutter y annonce qu’il faic & vend toutes fortes de Peintures fur verre, com- mePayfages, Prairies, Chaffes, Batailles, Ports de mer, Fleurs, Fruits, Animaux & autres fujets propres a orner les cabinets , &c. tels qu’on les lui demande. Or c’eft de cette feconde maniere qu’il peint fur verre.
( b ) C’eft fous les aufpices du Magiftrat zèlé, chargé de veiller a la süreté de cette Capitale, que Sa Majefté a autorifé par des Lettres- Patentes eet établiffement utile , au foutien duquel les Perfonnes les plus diflinguées, les Corps & Communautés, les Particuliers, amis du bien public, fe font empreffés de concou- rir par des contributions volontaires. Les Na¬tions voifines auront bientöt de femblables Eco¬les : il eft même déja arrivé des lettres d’Efpagne pour demander les Statuts de celle-ci qu’on veut y former. Mercure de France, Janvier 1770, fecond Volume, pag. 160.