DE PIERRE LE VIEIL. (a)
JL/HISTOIRE nous ofFre peu d’Artiftes aufïi zélés pour fon Art & auffi éclairés qua PIERRE LE VIEIL, II naquit a Paris, le 8 Février 1708. Sa familie originaire de Normandie, s’y diftinguoit, depuis plus de deux fiecles, a peindre fur le Verre. Son pere défiroit fe faire connoitre dans la Capitale : il s’y rendit a 1.9 ans. L’habileté avec laquelle il manioit déja la Drague & le pinceau , fixa 1’attention du célebre Jourenet , fon Parent. Il le préfente au Surintendant des Batiments du Roi , M. Manfard , qui le charge de peindre les frifes des vitreaux de la Chapelle de Ver- failles, & du Dome des Invalides. Ge fuccès flatteur pour un jeune Artifte, amateur de la gloire, lui fait préférer Paris au féjour de fes peres. II y époufe^en 1707, Hen¬riette-Anne Favier, fille d’un habile Vitrier. Onze enfants font nés de ce manage, entr’autres Pierre le J^ieil , dont nous allons faire 1’éloge , 6c Jean le Kieil qui, com- me fon pere , eft Peintre fur J^erre du Poi.
Du génie, de 1’imagination, de la mémoire annoncoient dans Pierre le Vieil d’heü- reufes difpofitions pour les Lettres. P^nfionnaire au College de Sainte-Barbe, il fit des progrès rapides. Il acheva fes études au College de la Marche, ou brilloit alors f élite de la jeune Nobleffe. M. de la Val (£) y*profeflbit 1’Eloquence. Frappé de la fupério- rité conftante de le Vieil, fur des rivauxdignes de lui, il lui donne des compofitions a part, lui fait traduire en vers les plus beaux morceaux du Lutrin. Lapalme académi- que fut le jufte prix de fon travail. 11 faifoit les délices de fes Maitres par la fagacité de fon efprit, plus encore par la pureté de fes moeurs. ,
Au fortir des claffes, il alia a fAbbaye de Saint Vandrilie, prendre 1’habit de Saint Benoit. II avoit 17 ans. A eet age , fon pere avoit été Poftulant dans le même Ordre; il admiroit fa ferveur. Le jeune le Vieil foupire après f heureux moment oü il alloit rom- pre la chaine qui Vattachoit au monde; lorfque la veille du jour ou il doit prononcer fes veeux, il fe fait dans fon ame le plus violent combat. Un pere hors d'état par une infir- mité habitueile de vaquer a fes travaux; une mere obligée <fy veiller & de pourvoir a 1’éducation de dix enfants; des freres trop jeunes encore pour condüire les ouvrages ; un Attelier laiffé a la merci de plufieurs Ouvriers dont on craignoit la négligence : toutes ces confidérations accablantes pour un fils qui n’éprouva jamais de fes parents que des marques de tendreffe, fe préfentent a fon efprit ; 6c la Providence, qui le deftinoit a rejfufciter 1’Art de fes aïeux, permet que 1’amour filial triomphe de fes defirs. II revient dans fa familie , regretté de fes Supérieurs. Connoiifant ce qu’ils pouvoient en attendre, ils s’étoient promis de f affocier a leurs travaux littéraires. Sans doute le Vieil a puifé dans cette maifon fon goüt pour Vétude de 1’antiquité, goüt fi répandu dans fes ouvrages.
Le nouvel état qu’il embraflbit n’avoit plus fon ancien luftre. Les entreprifes de Vitrerie étoient plus confidérables que celles de Peinture fur Verre. Son pere ne jugea pas a propos de lui faire apprendre le deffin ; 6c faute de deffin , il n’a jamais peint fur Verre. Il fut pourtant a fond les principes de eet Art. II voyoit fon pere les enfei- gner a Jean le Vieil; il les voyoit peindre. II favoit d’ailleurs préparer 6c Calciner les émaux pour les couleurs. Son pere, pour fe foulager, favoit chargé de cette opération; 1’une des plus difficiles de la Peinture fur Verre.
II perdit fon pere en 173 1 , 6c fa mere quatre ans après. Comme ainé de fe familie, il fut mis a la tête de leurs entreprifes. Dès 1’année 1734, le rétablufement des belles vitres du Charnier de Saint Etienne-du-Mont, fa paroiffe, prouva fon habileté. Lever
(a ) Cet Eloge a été fait par M. S * * *> Ayocat au Parlement, ami de l’Aurenr.
(6) Mort Reöeur de 1’Univerfité. '
PEINT. SUR VERRE. I. Pan.
*VHJ JLIVgZ'
les panneaux des vitres pelntes fans les brifer, les remettre en plomb neuf fans en déran- ger Fenfemble, rendre les Baifons des pieces de verre imperceptibles par la délicatefle des plombs , rêmplacer les parties trop endommagées, par des morceaux de verre peint affortis au ton des fujets repréfentés 3 les pofer en place fans rien déparer de leur pre¬mier ordre ; voila ce qu il exécute, avec autant d’intelligence que de gout, fous les yeux d’un Marguillier aélif qui ne lailfe rien échapper a fa critique. II donne, vingt- quatre ans aprèsdans cette Eglife, de nouvelles preuves de fon talent. II s’agiffoit de reftaurer une très-grande Forme de vitres peintes. Loin de fupprimer de haut en bas par leur milieu des panneaux hifloriés > ce qu’on a fait a Saint Merry ; il fubïlitue 9 pour les enclaver tous, des barres de fer aux Me/zeaux de pierre; & le vuide qu’occa- fionne leur démolition , il le remplit de vitres blanches, ornées d’une lefte frife. Pat eet ingénieux moyen, il conferve en leur entierles vitres peintes & menie en rehaulfe féclat par 1’admirable contrafte que foment autour , les vitres blanches.
Les vitreaux de la Cathédrale feront tous refaits fur le modele de Pierre le Vieil. Pour répondre a la majefté de cette augufte Bafiliqueil a mis, dans le rond du haut du principal vitreau du Sanétuaire, un JEHOVAH en lettres rouges fur unfond d’or, qu’enferme un cercle de bleu célefte. Les bordures ornées de fleurs-de-lys d’or fur un champ d’azur^ les chiffres de MARIE en verre blanc fur un pareil champ, rendent 1’exécution de ces vitreaux digne de 1’attention des Connoifleurs (a).
Dans 1’Eglife de Saint Viétor, il eut encore de fréquentes occafions de manifefter fes talents pour réparer les vitres peintes. II avoit annueilement a 1’entretien les vitrages de cette Abbaye, du Chapitre de Notre-Dame de l’Archevêché > de PHótel-Dieu , des Carmes de la Place Maubert, de plufieurs Colleges de 1’Univerfité , & un cours journalier de Vitrerie fort étendu. Délicat daps le choix de fes Ouvriers, il fe condui- foit a leur égard plutót en pere qu’en maitre: aufli la plupart d’entr’eux 1’ont toujoujs fecondé dans fes travaux.
L’aifance ranimoit fon penchant pour les Lettres , & l’économie le mit a portée de fe former une riche Bibliotheque. II vivoit en Philofophe > retiré dans fon cabinet. Le foir, avec un petit nombre d’amis , il fe délaffoit de fes travaux littéraires.
L’Art de la Peintufe fur Verre , ce bel Art , qui fait parler aux yeux le Verre par les émaux & le fourneau ; le Vieil concut le projet de le remettre en honneur. Il voyoit s’introduire dans nos Eglifes un gout de luxe, deftru&if de cette Peinture; une clarté peu rgligieufe fubftituée, jufques dans 1’enceinte du San&uaire , a cette majeftueufe obfcurité que forment les vitres peintes. II voyoit les vitreaux des plus grands Maitres fe dégrader } leur démolition fréquemment ordonnée. 11 voyoit les Amateurs en regret- ter peu la perte , annoncer fes fecrets comme perdus, craindre même de le nommer parmi les divers genres de peindre. Ii voulut le faire revivre} ou du moins conferver a nos neveux les connoiffances qui nous en reftent.
Quelque fioriffant qu’ait été eet Art dans 1’Europe pendant plus de fix fiecles, per- fonne, avant Pierre le Vieil , n’avoit entrepris d’en donner la defcription. On ignoroit
(a) Dans le dernier des vitreaux de Ia Nef, du cóté de 1’Orgue , eft l’Infcriptïon fuivante de fa compofition , peinte fiir Verre dans un ovale en lettres d’or liir un fond de marbre brun :
D. O. M.
Anno R. S. H. M. DCC. LV.
Sub Prasfeduri
Venerabilium Canonicorum
DD.
De Corberon & Guillot de Montjoie ,
Detem fenefttas
Quae
Turn in cancellis ad orientem Cum in pronao ad meridiem
Spe£tanc,
Novis lapidibus partim
Ferro autemfoJidas ,
Et vitro tam fimplici & Francïco ,
Quarn Bohemio , Rcgiis Liliis ,
Et Marise infignibus depido ,
Integras ,
Reftitui curaverunt
Venerabiles Dccanus , Canonicï
Et Capituïum
Ecclefiae Parifienfis.-
de Pierre le VieiL rx
fon origine , les caufes de fes progrès, de fa perfection , de fa decadence, Phiftoire de fes Monuments, la vie de fes Artiftes. On n’avoit que quelques notions éparfes fur les procédés pour les couleurs, la maniere de peindre, la recuiffon du Verre peint. Il ré' folut d’approfondir toutes ces parties de fon Art, de réunir dans fon TRAITE iPLiftoire SC la Pratique de la Peinture fur f^erre.
Un deffein fi vafte demandoit de laborieufes recherches. Hiftoriens, AntiquaireS , Voyageurs , Chymiftes, Mémoires académiques , Secrets de familie : voila les fonds ou il puifa pendant quinze ans les matériaux de fon ouvrage.
Tandis qu’il les raffemble, il s’apper<;oit que la Peinture en Mofaique donna naiffan* ce a la Peinture fur Verre. Flatté de cette découverte, il cherche dans la plus haute antiquité, 1’origine & les ufages des diverfes fortes de Mofaique , la voit décorer les premiers Temples des Chrétiens , palfer de la Grefe a Rome, de Rome dans les Gau- les ; fufpendre fes progrès dans 1’Occident ravagé par les Barbares; tomber fous les Iconoclaftes en Orient ; fe rétablir , après le dixieme fiecle, en Italië, fixer fon féjour a Rome, & y arriver enfin a ce' degré d’élévation ou nous la voyons aujourd’hui, tel qu’elle peut le difputer au pinceau des plus grands Maitres. Il développe fon mécha- nifme , & met au jour ÏEJJai fur la Peinture en Mofaique,
« L’étude de 1’antiquité eft un fonds inépuifable. C’eft, difoit-il, un champ fi beau, » fi vafte, qu’on nen fort pas comme on veut». Ses recherches lui apprenoient quefi les Anciens favoient fabriquer toutes fortes de Verre, ils n’avoient jamais penfé a en faire des vitres. La Pierre fpéculaire leur en tenoit lieu. Quelle eft la nature de cette pierre? C’eft ce que, dans une profonde Dijfertation mife a la fuite de fon EJJai, il examine d’après le fentiment des plus célébres Lithologiftes.
L’homme de génie met a profit fes loifirs. Un Orateur de nos jours (a) lui lifoit dans un Ouvrage moderne un morceau d’une rare beauté fur 1’excellence de la Religion. Il le traduit en Latin, le lui dédie, 6c fait voir par 1’élégance de fon ftyle, que fi plus de trente années s’écoulerent fans s’exercer dans cette Langue, il feTouvenoit encore des /uteurs du fiecle d’Augufte (£).
Saint Pomain, Martyr, Tragédie Chrétienne, en trois Aétes, en profe, eft un nou¬veau fruit des loifirs de Pierre le Vieil, Il Pa compofée pour les Urfulines de Crefpi, ou deux de fes Niéces étoient Penfionnaires. 11 fut y répandre tant dfintérêt par 1’heij- reux contrafte des principaux perfonnages , qua la repréfentation elle eut le plus grand fuccès. D’un pinceau male 6c fidele, il peint dans ce drame ces beaux fiecles de 1’Eglife, ou la puiffance du Dieu des Chrétiens éclate dans les réponfes & la conftance des Saints Martyrs.
Malgré fon application a fes travaux littéraires , jamais il ne négligea la conduite de fes ouvrages de Vitrerie. Il sen faifoit rendre tous les jours un compte exact, dref- foit lui-même fes Mémoires. La continuelle tenfion de fon efprit, le défaut d’exercice épuiferent fes forces. Il fuccomba dans une troifieme attaque d apoplexie, le 23 Février 1772, regretté de fes parents, de fes amis , de tous ceux qui Pont connu. II avoit une belle phyfionomie , un regard doux, un caraétere toujours égal, une converfation favante, une probité intaéte, une piété folide. II a vécu dans le célibat.
II a fignalé par une fête ingénieufe fon amour pour fon Prince, dans ce moment ou tous les coeurs Francois manifeftoientleur joie de fa convalefcence (c). Son zéle pour fauver fon
(a) Le P. Villars , Carme, Prédicateur du Roï.
Attamen in opere fufeipiendo , negleétis pluf-
quam triginta abhinc anpis, & imbellibus in hoe certami- nis genere viribus meis minus, quam ttta confulut tndul— gentia ; ratus ( quiz ttta ejl piet as , qux tua benignitas ) , te Religtonis Jïudiofo & amanti condonaturum ■> qttod fcrip- tori minus purum mendofumve exciderit. Epift, aedicat. ad calc.
(c) Le 4 Oftobre 1744, jour ou fa Communauté fai- foit chanter le Te Deum , il fit élever, au milieu de Ia facade de fa maifon, une pyramide, ornfe dans fa partie la plus large d’un guadre doré, Dans le haut du quadre étoit la belle Eftampe de la Thefe de M. 1’Abbé de Venta- dour, d’après M. Ie Moine; oü fon voit SA MAJESTÉ recevant des mains de la Paix une branche d’olivier. Dans le bas, & a la place des Thefes Latines, étoit un trans¬parent avec cette Infcription :
Amtre mutuo felicitas parta.
Le contour de la pyramide étoit éclairé d’une grande quantité de lampions, & furraonté d’un foleil aufli de lam¬pions, dans le centre duquel , & en tranfparent, on lifoit cette devife allüfo/re au Soleil & a S. M,
Carior tui clarior ?
Sur le refte de la fagade régnoit une guirlande de Iu- mieres, formée par de petites lanternes de verre.
Sur les deux cótés on lifoit dans deux tranfparents :
A droite , ces deux vers, precedes d’un emblême repré- fentant un champ T planté d un cöté , de Cyprès; de 1’autre , de Lauriers ; & a quelque diftance, un jeune plant d’Oli viers, qui, venant un jour a croitre , effacera les deux autres :
Ite , Cuprejfetis reduces infurgite, Lauri:
Necvobis crejcens aliguando ceder Oliva.
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JÈloge Hiftorique de Pierre te Vieil.
Art de l’efpece de léthargie ou il femble plongé dans toute 1’Europe , fon attention a en recueillir les précieux fragments, doivent lui mériter Feftime des Amateurs & la reconnoiflance des Aïriftes. i
Mals ce qui mettra le comble a la gloire de Pierre le Vieil, c’eft 1’honneur que recoit fon grand Traité d’entrer dans la Defcription des Arts. Prêt a le mettre fous preffe, il en fit hommage a 1’Académie Royale des Sciences. Elle a bien voulu 1’agréer: elle y joindra même le méchanifme de la J^itrerie, qu’il en avoit détaché, & qu’il comptoit publier fous le titre &Art du laurier (a).
A gauche, ce couplet fur 1’Air : Jardinier, ne vois-tu pas, &c.
Peuple heureux, réjouis-toi,
Ton bonheur eft extreme :
Vis fans crainte , plus d’effroij
Fais res délices d’un Roi
Qui t’aïme, qui t’aime, qui t’aime.
Enfin une derniere Infcription , appliquée fur la tnuraille en gros carafteres, & qui couronnoit tout 1’édifice , expri- aioit le motif de cette Fête par ces mots.
HAZC ME JUSSIT A MOR.
( a) Outre les divers Ouvrages dont il a été parlé , Pierre le Vieil laifle encore en manuferit :
iQ, Un Ejfai far la Peinttire. II efqüiffe dans une pre¬miere Partie 1’hiftoire de fês revolutions: trace avec ordre & clarté fes regies générales d’après les grands Maitres de 1’Art; & , pour en bannir la féchereffe, les entre-méle de beaux vers de M. Watelet, tirés de fon Poéme de 1’Art de Peindre. Dans la feconde, il traite fuccinftement de toutes les fortes de Peinture, & de leurs rapports avec la Pein- ture fur Verre.
i°, D’amples recherches für 1’Art de la Verrerie. La créa- tion de nos groffes Verreries, & les privileges y annexes; la Fabrique a&uelle du Verre de France ; les différents Réglements faitspour la vente du Verre a vitres, fur-tout pour rapprovifionnement de la Capitale, en forment la maffere.
5°, Un Mémoire fur la Confrairie des Peintres-Vitriers , le choix qu’efte fit de Saint Marc pour Patron, fon érec- tion en Communauté, avec 1’analyfe de fes Statuts tant anciens que nouveaux, & la creation du Syndic.
Ces derniers fruits de fes veilles lont confignés dans 1’original de fon grand Traité, qu’il a donné a Louis le Vieil, Peintre fur Verre, fon neveu, fils alné de Jean le Vieil, Peintre fur Verre du Roi, Editeur de l’Ouvragede fon oncle , qui le traitoit en fils.
EX.TRA1T