TRAITE
HISTORIQUE ET PRATIQUE
DE LA
PEINTURE SUR VERRE-
PREMIERE PARTIE.
De la Peinture fur Verre confidérée dans fa partie hiftorique.
CH A PITRE PREMIER.
De l'Origine
EN examinant dans ce Chapitre 1’origine du Verre* je nentreprends pas de le faire en Naturalise; je n’établirai ni fa formation, ni fa premiere deftination dansTétat primitif de la terre par des fuppofitions philofophiques. De telles difcuffions, fupérieures a la portée^ de mon génie, font étrangeres a Fob jet de mes recherches. Je ne Fenvifagerai pas com¬ma un de ces minéraux, fi femblables au Verre, qui peuvent avoir donné lieu a fon - invention, qui ont leurs vraies Minieres & qui font proprement des pierres & des foffi- les. Le nom de P'erre n’appartient pas a ces produdions de la nature , mais celui de Pierres & de Cryftallifations,
Le Verre dont je recherche ici Forigine eft cette fubftance qui, ne pouvant être pro- duite que par l’a&ivité d’un feu trés-violent, doit fon exigence a i’Art, & eft une produc¬tion de la Pyrotechnie. Bien différent des métaux, en qui Fa&ion du feu fépare les par¬ties hétérogenes pour raffembler celles qui font de même efpece; dans le Verre cette même a&ion opere la réunion des particules des matieres dont il eft compofé, a 1’excep- tion néanmoins des fels qui furnagent la furface de fa compofition, lorfqu’elle eft dans fon degré de cuiffon défiré , & que le feu le plus violent ne peut diffoudre entiére^ ment.
PEIST, SIER FERRE. I. Part,
celui qui, au rapport de Pline (Hifi*, Natur. Lib. Cap. 26) , propofa de la faire en préfence de FEmpereur Tibere; & la liberté a celui qui redrefla & remit en fon premier état, fous lesyeuxdu Cardinal de Richelieu, les débris d’une figure de Verre qu’il avoit a deffein laifié tomber aux pieds de fon Emi¬nence (a).
Je pourrois ici, d’après Néri ( b) prouver Fantiquité du Verre par le verf. 17. du chap. 28. du Livre de Job, ou 1’Efprit - Saint, comparant la fageffe aux fubftances les plus précieufes, s’exprime ainfi, aurum vel vitrum nsn adaquabitur ei .* Et quoique la plus grande partie des Interpretes ne rendent point par le mot i/evre en notre langue celui de l/itïum 9 dont les Septante fe font fervis pour traduire le mot Hébreu de Foriginal, maïs qu’iïs Fexpriment par ceux de pierres précieufes tranfparentes, j’aurois pu épou- fer le fentiment de Néri qui Fentend du Ver¬re proprement dit , en prétextant la nou¬veauté & la rareté de fon invention au temps ou Job écrivoit (c) ; & 1’admiration que' les contemporains de eet Ecrivain facré don- noient au brillant de Féclat du Verre.
Je pourrois encore citer en faveur de Fan-tiquité du Verre le verf. 31 du chap. 23. des Proverbes de Salomon, ou le Sage bla¬me la fenfualité de ceux qui contemplent avec admiration la brillante couleur du vin au travers de leur verre , & qui fe déle&ant d’avance par Féclat qu’il lui communique , ie boivent enfuite avec plus de délices : A> ïntuearis Ninum quando fiavefcit: cum Jplen- duerit in Vitro cohr ejus , ingreditur blandè. Mais il me faudroit encore chercher une ré- ponfe a ceux qui voudroient rendre le mot Jfitrum par le Francois Cryftal, & recher- cher fi le Cryftal ou le Verre étoient affez communs du temps de Salomon, pour qu’il donnet eet avis fi général de fe tenir en garde contre cette efpece de fenfualité.
Je pourrois adopter aufii, comme plus vrai- femblable & plus analogue a Forigine que Püne donMè au Verre , le fentiment de ceux qui prétendent que Fembrafement fortuït de quelques forêts , qui fit connoitre les Mines & donna des ruifleaux de cj^vre ou de fer , put aufii-en faire couler «Je Verre. Pour cela je ferois réunir, par le feu, ces paillettes de verre dont le fable eft chargé en fi grande quantité (d). Mais en quel temps arriva eet
(a ) Haudicquec de Blancourt, Art de Ia Verrerie, Par. 1718 , tom. J. p. 23 & 24.
b) Preface de fon Traité de l'Art de Ia Verrerie , traduit par M. le Baron d’Holback, Par. 1752.
f c ) L’opinion la plus commune eft que Job e'toit con-temporain d’Amram pere de Moyfe.
Cd} M. de Buffon, Hifi. Natur. tom. I. p. Ï^9-
regarde ces paillettes comme une dilfolution de cette matiere vitree Öt cryftalüne qu’il croit avoir fervi d’enve- Ioupe a Ia terre avant le débrouillement du cahos, & oue 1’agitation des eaux öc de Vair réduifit en pouffiere en les brifant.
embrafement ? Ce fentiment a d’ailleurs, ainfi que le récit de Pline, plus de contradic- teurs que d’hiftoriens.
Quoi qu’il en foit, on ne peut douter que la connoilfance de la vitrification ne date de la plus haute antiquité. Sa découverte doit êtreaufli ancienne que celle dela Brique & de laPoterie > dont il ne fe peut faire qu’il n’y ait quelques parties qui fe vitrifient dans lesfours propres a leurs fabriques, par la violence & la durée du feu qu’on y entretient fans inter¬ruption.
On pourroït done faire remonter Fori- gïne du Verre jufqu’au temps de la conftruc- tion de la Tour de Babel: les carreaux de terre euite qu’on y employa,donnerent nécefi fairement Fidée de la vitrification. L’aêti- vité du feu, qui, lorfqu’il eft trop ardent dans la cuiflón de ces matériaux, les vitrifie, ou au moins répand fur leur furface une cou- verte luifance comme le Verre, produifit un effet qui ne dut point échapper aux enfants de Noë. Difperfés depuis par toute la terre , ils ont pu donner aux Peuples qui font de£ cendus d’eux une connoiflance fuffifante de la vitrification, fans qu’un de ces Peuples fut redevable a 1’autre d’une découverte qu’ils tenoient également de leurs ancêtres.
On pourroit au moins la placer au temps de la fervitude des Ifraélites en Egypte, oü FHiftoire Sainte nous apprend qu’ils furent employés a préparer la brique & a la faire cuire. Les Arts ne fe montrent que fuc- ceflivement. Dans 1’enfance du monde, une découverte en a produit une autre. Le ha¬fard les faifoit naitre; la réflexion & Fex- périence les perfeélionnoient. Souvent en ne trouvant pas ce qu’on cherchoit, on trou- voit ce qu’on ne cherchoit pas. D’ou je peux conclure que la vitrification ou la pro¬duction poflible du Verre artificiel fut connue dans les premiers ages du monde, quoique la maniere de le travailler n’ait été mife en ufa- ge que dans des temps poftérieurs.
Refte a examiner ce que Néri rapporte , dit - il, d’après Pline fur la découverte du Verre (a}. «Le hafard offrit le Verre en » Syrië fur les bords du Belus a des Mar- »chands que la tempête y avoit pouffés. » Obligés de s’y arrêter quelque temps, ils » firent du feu fur le rivage pour cuire leurs
(a) Néri, p. 13 de la Trad. de fa Pref. de fon Art de Ia Verrerie. II n’a pas rendu fidélement le paffage de Pline qu'il cite: c’eft ainfi que le Naturalifte ( Lib. $6. cap. 26) raconte cette avanture. Des Marchands de nitre, qui tra- verfoient Ia Phénicie, ayant pris terre fur les bords du fleuve Belus, voulurenty faire cuire des aliments ; & ne trouvant pas de pierres aflez fortes pour leur fervir de tré- piedj ils s aviferent d’y employer des roorceaux de nitre. Le feu prit a cette matiere qui alors incorporée par 1’aólion du feu avec Ie fable, s’étant liquéfie'e , forma de petits ruifleaux dune liqueur tranfparente, qui, s’étant figée a quelques pas de Ia , leur indiqua I’invention du Verre & Ia maniere de le fabriquer. Pline d’ailleurs ne raconte ce trait que comme un bruit que Ia renommé$ avoit accredits; Pama efi,
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» aliïnents. II fe trouva dans eet endroit une s> grande quantité de 1’herbeappellée Kali(a)9 »dont les cendres donnent la Soude & la » Rochette: il s’en forma du Verre, la violen- » ce du feu ayant uni le fel & les cendres de »la plante avec du fable & des pierres pro- s> pres a fe vitrifier». Jofephe dans fon hiftoi- re de la guerre des Juifs ( Liv. 2. chap, 9 ), Tacite dans fes Annales (Liv. y), fourniffent matiere a étayer la crédibilité du récit de Pli¬ne. D’un autre cóté Merret (b) traite eette hiftoire de vrai conté; & en homme des plus expérimentés dans 1’Art de laVerrerie, il affure qu’aucun Verrier, de quelque nation qu’on le fuppofe, n’eft parvenu & ne parvien- dra jamais a faire du Verre, en brülant ainfi au grand air le Kali, ou toute autre plante ou matiere propre a eet ufage, en telle quan¬tité que ce puiffe être, quand il y emploie- roit l’aêlivité & 1’ardeur du feu le plus vio¬lent : celui même d’un four a chaux le plus concentré & le plus ardent n’eft pas propre a produire eet effet. D’ailleurs il répugne que des Marchands , qui devoient d’autant mieux connoïtre ia nature de ce nitre (mieux défigné fous le nom de Natrum), qu’ils en faifoient un commerce ouvert, ayent employé des morceaux de cette fub- ftance minérale & inflammable pour fervir de trépied a leurs marmites, plus propres, en fe fondant au feu qui les avoifinoit, a la faire tomber & a la répandre qu’a la fou- tenir. I out ce qu’on pourroit done inférer des paflages de Pline, de Jofephe & de Tacite , c’eft que la qualité du fable du
rivage du fleuve Belus étant extrêmement blanche & luifante , a pu fervir d’appat a ces Marchands Phéniciens pour en faire les pre¬miers eflais de la Verrerie , dont ils avoient déja quelques idéés par la connoiflance de la vitrification poflible avec le fable & les cen¬dres ; qu’ils chargerent a eet effet leurs vaif- feaux d’une certaine quantité de ce fable óc de la plante Kali; qu’ils en firent ufage a leur retour dans leur patrie; & que par con- féquent on peut les regarder comme les pre¬miers Verriers, & comme ceux qui lespre-
(a) LeKali eft quelquefoïs confondu mal-a-propos avec Ydlgue ou ïe ïVarech.
(b ) Preface de 1’Art de la Verrerie > de Merret ,p. 31» trad, de M, le Baron. d’Holback.
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miers ont fait le commerce du Verre, en quoi ils ont été imités dans la fuite par beau- coup d’autres nations.
Enfin en rapprochant des paflages cités un endroit du fecond a&e de la comédie des Nuées d’Ariftophane , on peut en con- clure que la fabrique du Verre & fon ufage étoient déja répandus plus de mille ans avant 1’Ere Chrétienne,
Pour moi peu crédule aux récits fabuleux Sentiment qui obfcurciflent la connoiflance des anciens pagina temps, tou jours en garde contre des opi- du Verre, 8? mons fouvent incertaines, le plus fouvent fur - tout dtt oppofées entre elles, je laiffe a nos plus habiles Antiquaires le foin de chercher des dates plus süres de 1’origine du Verre. Je penfe que 1’homme, qui de tout temps s’eft piqué d’étudier & de copier la nature autant qu’il eft en lui, a tendu de tout temps a en imiter les plus rares productions; qu’ainfï les pierres précieufes qu’il découvrit dans le fein de la terre, telles que ï’Emeraude, la Topaze, la Chryfolithe, PHyacinthe , le Grenat, le Sapbir, le Béryl, le Diamant, le Cryftal - de - roche & autres cryftallifations, ayant attiré fa jufte admiration par leur ra- reté & le brillant plus ou moins attrayant deleuréclat, conduit, comme nous 1’avons dit, par la connoiflance qu’il avoit de la vitri¬fication poflible , il fe porca de bonne heure a les imiter par i’a&ion du feu & le mélange des matieres fablonneufes & métaliiques qu’il mit en fufion ; que le premier eflai lui donna des pierres faCtices , d’abord moins conformes au modele qu’il fe propofoit d'i- miter, mais qu’il perfeCtionna dans la fuite par la fréquente réitération de fes operations
(a). De-la 1’origine de toutes les fortes de
Verre , même colorées, dont la découverte peut dater de la plus haute antiquité (b ),
( a) « Les experiences réitérées, dit Ie Traduóteur de » M. Shaw ( Difc, prélim. a fes Lee, de Chimie ) ont for- mé des principes : de- Ia Ia méthoae de les mettre en pra- tique.... La fauffe lueur a precede Ia vraie lurniere.. . 35 Ce n’eft qu’au prix de beaucoup de peine & de travail 3> que nous pouvons efpérer de parvenir a la perfection , 35 tant elle nous eft étrangere 35. Vcyez Ie Traité de Bernard de Palifly , intitulé: Difcours admirable de la Nature des Eaux , &c. des Métaux , 8cc. des Terres, du Eeu & des Emaux , Paris 1580, livre très-rare, que nous aurons lieu de faire conpoïtre plus particuliérement dans la fuire.
( b ) Nous donnerons a Ia fin de ce volume un extrait de deux favantes Lettres, fur /’origine & Fantiqaité du Verre, qui peuvent fervir a confirmer ce que j’ai avance dans ce Chapitre. '