CHAPITRE IV.
De l’état des Fenêtres des grands edifices che^ les Anciens.
JtLNT R E les édifices des Anciens } les Temples ont toujours tenu le premier rang. Or leur conftru&ion la plus ancienne n’ad- mettant point de fenêtres dans 1’intérieur du temple, mais quelquefois une feule ouverture au milieu du comble, par laquelle les Sacri- ficateurs puffent appercevoir le ciel pour prendre les augures,nousne pouvons y trou- ver aucune indication utile a notre fujet (a). Cherchons-en done dans la conftru&ion des Bafiliques.
Les Romains d’après les Grecs donnerent Je nom de Bafiliques a des batiments publics, ou les Rois d’abord , enfiiite les Magiftrats, rendoient la juftice a couvert. Ces tribunaux étoient ainfi diftingués du Forum , ou ils tenoient leur féance en plein air. Les Bafi- liques étoient compofées de vaftes falies voutées & de galleries élevées fur de riches colonnes. Des deux cötés étoient des bouti-ques de Marchands & au milieu une grande place pour la commodité des gens d’affaires. Les Tribuns & les Centumvirs y rendoient la juftice , & les Jurifconfultes ou Légiftes gagés par la République y répondoient aux confultations. II y en avoit a Rome plufieurs qui portoient le nom de leurs fondateurs. Les principales étoient les Bafiliques Julia, Porcia, Siciniana , Caïa , Lucia 9 Sejforiana. Elles étoient fort éclairées par de grandes fenêtres , percées dans la partie du batiment la plus élevée, afin que le jour qui venoit d’en haut caufat moins d’éblouiffement: & communiquat affez de clarté pour lire les
Mémoires des parties qui venoient y con- fulter (£),
Quelques-unes de ces Bafiliques furent accordées aux Chrétiens par 1’Empereur Conftantin pour leur fervir d’Eglifes dans
les temps de liberté. Ciampini, que je prends ici pour guide, comme 1’Auteur qui s’eft le plus étendu fur cette matiere, qu’il dit lui- même que perfonne n’avoit traitée avant lui, fait ainfi la defcription du nombre & de 1’étendue des fenêtres de la Bafilique Sicinien- ne(z?). Cette Bafilique, dit-il, dont il eft parlé dans Ammien Marcellin ( Hifi.
Part. 1), qui du temps du Pape Simplice, & peut-être avant lui fous Conftantin, avoit été changée en une Eglife de Chrétiens 6c dédiée par ce Saint Pape fous I’invocation de Saint André in Barbara, & qui depuis fut profanée 6c pillée; cette Bafilique étoit éclai- rée par dix grandes croifées ou fenêtres, fans y compter la grande fenêtre du por- tail, dont chacune contenoit vingt-deux pal- mes 6c demie de hauteur fur quinze palmes de largeur (b}.
La Bafilique Sefforiennê étoit, continue- t-il, éclairée de fenêtres en plus grand nom¬bre 6c d’une plus grande étendue que Ia précé- dente, Chaque fenêtre des murs collatéraux portoit cinquantepalmes de haut fur vingt de large (c), 6c celle du portail trente palmes de hauteur fur vingt de largeur (d).
II y §voït aufll des Bafiliques d’une moindre étendue de batiment, 6c dont par eonféquent les fenêtres étoient moins amples. Elles fer- voient aux Ecoliers pour s’exercer dans la Méclamation; ce qui donne lieu a M. 1’Ab- bé Fleury de dire que les premieres Eglifes des Chrétiens reffembloieqt beaucoup a des écoles publiques.
Le nom de Bafilique paffa par la fuite aux édifices confacrés au culte du vrai Dieu & a ceux qui furent batis fur les tombeaux des Martyrs. Les premiers Auteurs de ces Bafi¬liques Chrétiennes de nouvelle inftitution admirent dans leur conftruöion a-peu-près les mêmes proportions que dans celles des Païens. Cependant le goüt de Vitruve, quï aimoit a donner beaucoup de jour a fes édi¬fices (e), ne fut pas toujours la regie des
I4 L /I A / V 13
Architedes de ces premiers temps de liberté,
comme nous allons le volr.La Bafilique de Saint Paul a Rome, commence par ordre de FEmpereur Valentinien le jeune & finie aux frais du Pape Honorius , avoit trois nefs. Elle étoit percée de cent vingt fenêtres.Celles des nefs avotent chacune vingt-quatre palmes de hauteur fur douze de largeur (a). Celles de la croifée portoient quarante palmes de haut fur vingt de large (b), & chacune des trois fenêtres de la croifée étoit furmontée par une autre fenêtre ronde, ou en oeil-de-boeuf, de douze palmes de diametre (f).
Il eft a préfumer que ces fenêtres, fur-tout du coté de leur plus grande expofition au foleil, étoient fermées par des jaloufies qüi en écartoient les rayons les plus nuifibles; & mon Auteur m’apprend que dans la Bafilique de Saint Clément, une des plus anciennes de Rome, il y avoit trois fenêtres entr’autres dont la furface étoit en pierre évuidée & percée a jour en forme de jaloufie (d).
La Bafilique des Saints Martyrs Jean 6c Paul, d’une conftru&ion du quatrieme fie- cle, étoit éclairée de chaque cóté de treize fenêtres & de cinq autres au portail, dont chacune avoit quinze palmes de haut fur cinq de large (f), & étoit furmontée d’une ouverture ronde de cinq palmes de diametre Les fenêtres de la Bafilique de Sainte Sabine, en même nombre que celles de ia précédente, portoient vingt palmes de haut fur dix de large (/?•).
Celles de FEglife batie en 1’honneur des Saints Cóme & Damien, qui exiftoit encore vers la fin du 1 ye fiecle, portoient dix-huit palmes de haut fur feize de large (A).
Ênfin Fancienne Eglife du Vatican étoit percée de quatre-vingt fenêtres, d’une hau¬teur & d’une largeur furprenante, fuivant les plans qui en ont été levés avant fa démolition.
C’eft fur les plans confervés dans les archives de ces différentes Eglifes, dont un grand nombre a été reconftruit a neuf, que Ciam- pini nousa donné, felon qu’il le témoigne, tou- tes ces différentes mefures.
On peut de tout ce que nous venons d’établir, inférer quetoutes les grandes Bafi- liques, même celles qui ont été conftruites avant Conftantin, étoient fort ouvertes par la multiplicité & Fétendue de leurs fenêtres.
(a) Seize pieds fur huit.
(b ) Vingt-fix pieds huit pouces fur treize pïeds quatre pouces.
{ c) Huit pieds de diametre.
(4) Veter. Monim. I. Part. p. 19. Lapide# tres fenef- ir/s retis ad inftar perforate Tranjsnn& dicebantur,
(e ) Dix pieds fur trois pieds quatre pouces.
(ƒ) Trois pieds quatre pouces de diametre.
< g } Treize pieds quatre pouces fur fix pieds huit pouces. (ƒ?) Douze pieds fur dix pieds huit pouces.
La premiere Eglife des Chrétiens, dont nous ayons une defcription exaêle, eft celle que Paulin, Evêque de Tyr, y fit batir. Le plan de cette ancienne Eglife fervit de mo- dele a celles qui furent baties après par les autres nations. Cette Eglife , fuivant la def- cription qu’en donne M. 1’Abbé Fleury, d’après Eufebe, (a) paroit tenir beaucoup plus de la conftruêlion des plus fameux Tem¬ples des Païens, que de celle des Bafiiiques dont nous venons de parler. Or fi Fon en croit M. Perrault dans fes notes fur Vitruve, oü ce Savant examine la différence des Tem¬ples & des Baf liques (b), « dans celles-cï »les colonnes étoient au dedans des bati- »ments, & dans les Temples elles étoient » au-dehors & formoient une enceinte au- » tour de la muraiile du dedans du Temple » appellée Cella, qui étoit un lieu obfcur » dans lequel le jour n’entroit d’ordinaire ?> que par la porte ».
Le paffage de M. 1’Abbé Fleury mérite d’autant plus d’attention qu’ü nous fournit d’après un Auteur, contemporain a ces nou- velles conftructions des Eglifes d’Orient, 1’i- dée ia plus ciaire & la plus décifive de la maniere dont les premiers Chrétiens Orien- taux fe fermerent dans leurs Eglifes contre 1’intempérie de Fair. Ce que nous en avons déja dit ne deviendra que plus clair, par ce que nous allons copier de eet exa& Histtorien.
« La cour d’entrée de FEglife de Tyr étoif,1 » dit- il (c), environnée de quatre galleries » foutenu és de colonnes, c’eft-a-dire, d’un » pérlftyle. Entre les colonnes étoient des » treillis de bois, en forte que les galleries » étoient fermées, mais a jour. Les bas cótés » de la nef étoient éclairés par des fenêtres » fermées de treillis de bois d’un ouvrage » délicat, chargés de divers ornements ». Eufebe remarque de plus que le jour venoit dans FEglife par le grand nombre de fenêtres dont elle étoit percée par le haut (d),
Le gout de placer ainfi beaucoup de fenê¬tres dans les Eglifes paffa dans FOccident. Noüs apprenons de Grégoire de Tours [Lib. 2. Hift.) que celle que Saint Perpétue , Fun de fes prédéceffeurs, y avoit fait élever 3 étoit ouverte par cinquante-deux fenêtres » & nous avons vu Fortunat, contemporain de eet Hiftorien, appliquer fouvent, dans fes Poéfies, Fépithete patul<e aux fenêtres des Eglifes dont il y parle, pour en expri- mer la grande étendue , quoiqu’il y en eüt auffi de petites, comme en Orient, fuivant la defcription de FEglife de Sainte Sophie,
éclairées. II étoit intéreffant d’ailleurs, com tinue notre Auteur, a 1’Evêque & a fes Miniftres de s’affurer par eux-mêmes de 1’af- fiduité des Fideles aux faints Offices, aux Inftruétions & a la participation aux Sacre- ments, & de fe procurer aufïi a eux-mê¬mes les moyens de faire leurs fonêtions avec plus d’aifance & de sureté. Ilajouteque s’il fe trouve quelqu’une de ces anciennes Eglifes moins éclairéeque les autres, mêmecelles oü les Fidéles s’affembloient, fa conftruêiion ne remonte pas plus haut que firruption des Vandales, qui, après Ie ravage & te trou¬ble qu’ils porterent dans 1’Italië > fe char- gerent de relever enfuite les Eglifes qu’ils avoient renverfées; que ces Peuples fuivirent dans leurs nouvelles conftruêtions le goüt & 1’ufage de leur pays; qu’accoutumés a ne percer que des jours fort étroits dans les ëdifices des contrées froides d’oiv ils étoient fortis, ils ne voulurent s’affujettir qu’a leurs ufages, fans adopter ceux du Peuple qu’ils avoient fubjugué; & que telle fut 1’origi- ne de la perte du bon gout dans i'Architec- tyre.
Les fenêtres des Eglifes étoient ou ron? des , ou quarrées, ou cintrées. Elles éroient la plupart divifées par plufieurs meneaux de pierre ou de marbre, & elles gardoient entre elles une telle analogie qu’il eft aifé de reconnoitre par leurs formes celles qui font d’un même temps o,u d’un fiecle diffé¬rent.
En voila affez fur les fenêtres des Eglb Des icnê- fes confidérées jufqu’a la fin du fixieme fie- cle. Quant a celles des Palais & des Mai- Maifons de; fons des Grands, elles n’étoient pas d’une Grancis* grande étendue. Elles étoient ordinairement quarrées , ou plus larges que hautes ? mais divifées par meneaux de pierre ou de marbre. On en voyoit encore d’anciens mo¬numents a Rome au-dela du Tibre , au temps de Ciampini , c’eft-a-dire, vers la fin du dix-feptieme fiecle , fur-tout dans les ruines d’un ancien Palais auprès de 1’Eglife de Saint Etienne in Rotundo. Mais le Verre qu’on employa dans ces fenêtres étoit - il blanc ou coloré ? Celt ce que nous allons examiner.
(a) Ciampini, loc. cit. Sonouvrage efl divifé en deux parties, Scimprimé a Rome, la premiere, en 1690; la feconde, en 1699.
(A) Quinze pieds fur dix pieds.
( c) Trente-trois pieds quatre pouces fur treize pieds quatre pouces.
(d) Vingt pieds fur treize pieds quatre pouces.
(e) Vhruye prenoit pour établir Ia hauteur des fenê¬tres , qu il faifoit ouvnr, une moitié de la largeur ccn- venue qu’il ajoutoit a cette largeur entiere. Voyez la traduólion de Vitruve, par Perrault, avec des notes, Liv, é, Ch, 6, xoy, Edit, de 167; , a Paris, cfiez Coignard,
£>