CHAPITRE VI,
De la Peinture fur Verre proprement dite
la fecon- LF. s premiers temps de la Peinture fur de maniere verre proprement dite, que nous regardons Peinture fur comme la leconde maniere d employer le Verre pofte'- verre de couleur aux fenêtres des Eglifes,
ans^iaVre- ^ont incertains• on peut néanmoins en regar- piiere. der Finvention comme poftérieure d’environ
trois fiecles a la premiere maniere.
Pour répandre lei quelques lumieres favo-
rabies a ma conjecture, {’examine d’abord quel fut 1’état des Arts en France depuis 1’empire de Charlemagne, c’eft-a-dire depuis la fin du 8e. fiecle jufqu’a la mort du Roi Robert, décédé vers le tiers de 1’onzieme.
Etat des Les Arts ainfi que les Sciences & les Bel- cetSdepuis le les_Lettres acquirent plus de fplendeur fous jiuitieme fie- Charlemagne qu’ils n’en avoient eu fous Pepin cie jufqu’atufoQ pere. Let Empereur s’étoit particuliére- ’ -ment attaché a rendre la France remarquable par la fomptuofité de fes grands édifices, ïoit en réparant ceux qui avoient été ruinés par lesSarrafins, foit en en faifant conftruire de nouveaux dans toutes les Provinces du Royaume. Sous fon Empire, dont la durée fut de prés d’un demi-fiecle, 1’Architeéture fut cultivée principalement dans 1’Occident,
& fur-tout en France.
On ne voit pas néanmoins que la Peinture,
ia Sculpture & la Gravure ou Cizelure fur tous métaux ayent fait de grands progrès fous fes aufpices. On deflina moins mal fous Louis-le-Débonnaire, c’eft-a-dire, depuis le commencement du pe. fiecle jufques dans le ioe, plus mal dans 1’onzieme & dans le dou- zieme. Dom Mabillon nous a confervé des deffins de quelques Peintures & Sculptures des 10 & ï ic. fiecles. Ces Monuments, com¬pares entre-eux, fervent a prouver combien le goüt du deftin dégénéra en moins d’un fiecle dans notre France. Il ne faut pour cela que jetter les yeux fur la planche ou
de la Trinité a Vendóme , conftruite en i o j 2, dans laquelle on conferve la fainte Larme, & la rapprocher du deflin des Pein¬tures qui ornoient le Livre de prieres de la Reine Hemme , femme de Lothaire , ou encore de cette table d’autel, découverte vers 1’an 5,48, fur laquelle font fi élégam- ment repréfentés les fymboles carattérifti- ques des quatre Evangéliftes (a). On peut
(a) Voyei les Tem. lil £? ifr. des Annales de 1’Ordre de Saint Benoit ? par Dom Jean Mabillon.
juger d’ailleurs du gout du deflin de Ponzieme fiecle par ce qui nous refte des batiments conftruits fous le regne du Roi Robert. Les fculptures des chapiteaux des colonnes óc des piliers repréfentent des perfonnages d’un gout tres - groflier & d’une exécution tres- informe.
Au refte, les Arts qui dépendent du deflin ont été fujets a des revolutions étonnantes, On ne peut confidérer fans admiration un ornement que 1’on conferve dans le tréfor de 1’Eglife de Paris, & que 1’on y connoit fous le nom de Fornement de la Trinité , paree qu’on s’en fert ce jour-la feul a la Mefle. L’Art & la richefle s’y font également diftinguer. L’année dans laquelle il fut fait y eft clairement défignée fur des banderolles d’un fond de foie blanche remplies en foie noire, fur lefquelles on lit en carafteres du 2e. fiecle {a}: Hoc opus infigne fecit fieri dom-* nus Henricus Keddekin de Hejfalia, Capell# Thofian, Per Magifirum Jacob urn anno 8 8 8* (b). . .
Cependant quelles que foient ces révolutions, les Arts ne s’éteignent jamais entiérement; dans leurs plus mauvais temps, il s’eft tou- jours trouvé quelqu’un qui les a pratiqués avec quelque étendue, & qui, confervant au milieu de Pignorance, qui avancoit a grands pas, une certaine portion d’intelli- gence de ces Arts, Pa tranfmife a d’autres, Ces demiers par leur application les rappel- lerent a la vie. Le goüt a paru en effet quelquefoïs fe dépraver, les lumieres s’obf- curcir ; mais les principes fondamentaux, les éléments de ces Arts , même de ceux qui tomboient le plus en défuétude , n’ont pas été anéantis. On s’en eft dégouté pour un temps ; on y eft revenu dans d’autres, fouvent avec avantage pour ces Arts, qui,
(a) On peut comparer ces caracteres avec ceux que M. 1’Abbé Pluche nous fournit, dans fa Paléographie, pour exemple de 1’e'criture de ce ftecle. Spectacle de l<i Nature, torn. Vil. Entret, 10, Planch. 14.
(l) Ce Chronogramme en chiffres arabes du neuvie- me fiecle , peu connu des Europeans avant 1’onzieme d’une part; de 1’autre la délicatefle de la broderie des figures, qui fervent a orner la chafuble fur-tout, ont donné lieu de croire a quelques Savants, qu’on ne peut attribuer eet ouvrage qu’a qüelqu’un des meilleurs Artif- tes de la Perfe , a qui pour lors la pratique du chiffre Arabe pouvoit être plus familiere , a caufe du voifinage de ces deux Peuples. Les Archives de 1’Eglife de Paris, que j’ai coniulte'es ne fontaucune mention de ce Dom Henri Keddekin de Veffalie. On n’y connoit rien du nom de Ia Chapelle a laquelle il fut deftiné, ni du temps ni de la maniere dont il a palfe' en propriété a cette Eglife?
a raifon de leur importance ou de leur néceffité, felon les circonftances, acquirent & perdirent tour a tour quelque degré de lplendeur.
La Peintu- Quant a la Peinture fur verre proprement propUremente dite, iieft vraifembïablequellenecomment dite ne s’eft a fe montrer que vers ie commencement de pouï^plu- 1’onzieme fiecle. C’eft dans ee temps que 1’on tót que vers conftruifit fous les ordres du Roi Robert un cement^e” grand nombre d’Eglifes dans plufieurs Pro- lonziemefie- vinces de France. II paroit même que la cle premiere maniere d’être de ce genre de
peinture s’y prolongea jufques dans le i2me.
Nous avons déja témoigné notre furprife de ce que Pufage du verre aux fenêtres fut refté pendant plufieurs fiecles inconnu aux Anciens , qui I’employoient fi induftrieufe- ment a tant d’autres ufages. Nous ne fommes pas moins étonnés de ce que 1’idée de la Peinture fur verre proprement dite, ne foit venue a nos aïeux que trois cents ans , ou . environ, après le premier emploi du verre aux fenêtres; & ce dans des fiecles mêmes de barbarie , dans des temps proprement appellés des temps d’ignorance, devenus tels par l’irruption des Peuples du Nord, ennemis & deftruéteurs des Arts.
C’eft cependant a cette ignorance & a cette barbarie même,que nous fommes rede- vables de 1’invention de eet Art. Nous en trouvons la fource dans la piété des faints Evêques & des religieux Abbés qui étoient a la tête des plus célebres Monafteres du 12fe. fiecle. Seuls dépofitaires, ainfi que leur Clergé & leurs Religieux > des Sciences & des Arts dont ils avoient recueilli les pré- cieux reftes : honorés de la protection des Souverains, ils n’épargnerent dans la conf- truétion des Egiifes dont ils fe chargerent eux-mêmes, rien de ce qui pouvoit contri- buer alors a étendre le regne de la piété & 1’amour de la Religion , & regarderent la multiplication des peintures comme un moyen très-utile de parvenir a ce but. Ils crurent que c’en feroit un très-fürdedétruire Pignorance des fideles, confiés a leur fol- licitude paftorale, dans un temps ou non- feulement le Peuple ne favoit pas lire, mais ou les Souverains favoient a peine figner leur nom, au bas des Aétes qui émanoient de leur autorité; car fans connoitre la valeur des lettres dont il étoit formé, ils le deflinoient d’après le modele qu’on leur mettoit fous les yeux.
Ces Prélats ne fe contenterent plus des peintures en mofaïque, dont leurs prédé- ceffeurs avoient orné les abfides de leurs Egiifes, avec cette dédicace Sanët# Plebi Dei, qui invitoit les Laïcs a les confidérer avec d’autant plus d'attention, qu’elles paroif- fcient leur être finguliérement adreffées (n):
ils les firent pafter dans les fenêtres. Ils s’at- tacherent de ces hommes qui ont toujours fait honneur a Pefprit, de ces Artiftes intel¬ligents que M. Pluche regarde comme les meilleurs livres après la nature, de ces hommes enfin qui, nés inventeurs, fecourus par les éleves qu’ils s’appliquent a former * s’étudient a produire des êtres nouveaux, qui, en multipliant les ouvrages de commo- dité, favent les rendre aulli agréables qu’u- tiles. Ainfi la Peinture fur verre devint un nouveau moyen, plus facile & moins long que celle en mofaïque, d’étendre & de per- pétuer la mémoire des faits les plus remar- quables, des rapports les plus efientiels entre 1’ancien & le nouveau Teftament, & des Aétes des faints Martyrs & Confeffeurs que 1’on propofoit au culte êc a la vénération des fideles.
On fent aifément par ce que nous avons Sss com~ dit fur le gout de deflin de 1’onzieme fiecle, très^roffier?: que la Peinture fur verre eut des commen- femiment dc- cements tres-groihers, ainfi que tous les pa premiet& Arts, lorfqu’on les effaye. Félibien prétend execution.
(a) que lorfqu’on voulut repréfenter en tranfparent fur le verre des figures , fans Jefquelles point de peinture d’hiftoire, «on » le fit d’abord fur le verre blanc , avec des » couleurs détrempées a la colie . comme Z »pour peindre en détrempe. Mais paree » qu’on reconnut, ajoute-t-il, que ces cou- »leurs ne pouvoient réfifter a 1’injure de »1’air, on en chercha d’autres qui, après »avoir été couchées fur le verre blanc,
» même fur celui qui avoit été coloré aux » Verreries» puffent fe parfondre & s’incor- » porer avec le erre en le mettant au feu : a&enquoi, dit il, on réuflit très-heureufe- » ment, comme on en voit des marques par »les plus anciennes vitres ».
Je ne fai dans quelles fources Félibien Sentiment a puifé ces découvertes.J’ai beaucoup étudié de Auteur* tout ce qui regarde le verre; je ne les ai trouvées nulle part. Je ne puis done les regar- der que comme des conjeétures hafardées qui pourroient perdre leur vraifemblance , en leur en oppofant de plus folides. Au commencement de ce Traité (b), j’ai donné pöur bafe a 1’origine de la Verrerie , le fen- timent d’admiration qu’on eut pour les cou¬leurs des différentes pierres naturellement colorées; j’ai établi les compartiments de marbres ou de verres de différentes couleurs fur le pavé, comme les modeles de la pre¬miere maniere d’être de la Peinture fur verre;
& la Peinture en mofaïque des voütes & des murailles, comme le prototype de la feconde maniere ou de la Peinture fur verre pro¬prement dite (r): or je penfe qu’il ne fut pas bien difficile a nos premiers Peintres fur
(a.) Principes d’Architeóture, Liv. i. Chap- z i. p. MP-
(b) Ie Chapitre premier de ce Traite', ad calsem.
(c) Voye^ ie Chapitre précédent.
verre ,
verre 9 la plupart experts , comme nous le verrons 9 dans les operations chimiques, de trouver une couleur vitrifiable, qui, s’in- corporant avec les autres, leur fit repré- fenter toutes fortes d’objets par des traits ineffa^ables. Ce fut, a mon avis, la couleur noire, qui, appliquée dès les commence¬ments fur un verre d’un rouge pale, fervit
a former les linéaments, les contours des membres ; & fur des verres d’autres cou- leurs , a marquer les plis des draperies. Voila ce dont on reconnoit des marques dans les plus anciennes vitres peintes. Eflayons d’en développer le méchanifme, avant de fuivre eet Art dans fes pro- grès.