CHAPITRE VIII.
Etat de la Peinture fur Verre au dou{ieme Jiecle.
ON ne connoït dans notre France de mo¬nument plus ancien de Peinture fur verre a&uellementexiftant, que la plus grande par- tie des vitres peintes de PEglife de PAbbaye royale de St. Denys. Elies paroiffent avoir été réfervées de Pavant-dernier édifice de PEglife de cette Abbaye & placée dans celui qui fubfifte de nos jours.
Suger , favori de Louis le Gros & Régent du Royaume fous Louis VII. fon fils, Abbé de cette célebre Abbaye, n’avoit omis ni foins ni dépenfes pour orner & enrichir le fixieme batiment de PEglife de fon Abbaye qu’il avoit fait reconftruire, & dont la Dédicace fut faite en 1140. Il nous apprend lui-même dans Phiftoire latine manufcrite qu’il a laiffée de fon gouvernement monachal , depuis traduite en Francois par Dom Doublet , Religieux de cette Abbaye , dont j’emploie ici la tradudion (a)} «, Qu’il avoit recher¬ché avec beaucoup de foin des faifeurs de vitres & des compofiteurs de verre de matieres très-exquifes , a favoir , de faphirs en tres-grande abondance, qu’ils ont pul* vérifés & fondus parmi le verre, pour lui donner la couleur d’azur; ce qui le ravif- foit véritablement en admiration: qu’il avoit fait venir a eet effet des nations étrangeres les plus fubtils & les plus exquis maitres, pour en faire les vitres peintes depuis la ChapelledelaSainteVierge dans lechevet, jufqu’a celles qui font au deffus de la prin¬cipale porte a 1’entrée de PEglife... Que la dévotion , lorfqu’il faifoit faire ces vitres étoit fi grande , tant des grands que des petits , qu’il trouvoit Pargent en telle abon¬dance dans les troncs (£), qu’il y en avoit quafi affez pour payer les ouvriers au bout de chaque femaine, II ajoute qu’il avoit établi a la tête de eet ouvrage , un Maitre de 1’Art très-expert, & des Religieux pour avoir Poeil fur la befogne , prendre garde fur les ouvriers & leur fournir en temps êc faifon tout ce qui leur étoit néceffaire; lefquelles vitres lui ont beaucoup couté pour Pexcellence & rareté des matieres dont elles font compofées (c ) » .
Ce fut dans cette occafion que eet Abbé fit préfent a PEglife de Paris, dun vitreau rempli de vitres peintes , dont quelques parties qui avoient été confervées dans un des vitreaux de la galerie du choeur, re* préfentoient, très-grofliérement a la vérité , une efpece de triomphe de la Sainte Vierge, mais qui ont été démolies depuis peu. On y reconnoiffoit la même vivacité de coloris , fur-tout dans le verre bleu qui en formoit le fond, que dans les vitres du même temps qui fubfiftent encore dans quelques Cha* pelles du chevet de PEglife de Saint Denys» J’ai dit dans les vitres du même temps , car felon Dom Doublet même , toutes les vitres du chevet ne font pas du même fiecle.
Les vitreaux, par exemple, de la Chapelle deia Sainte Vierge dans le chevet, dans Pun defquels 1’Abbé Suger eft repréfenté avec une crofTe ( d), & cette infeription peinte fur verre , Sugerius abbas; celui d’une Cha¬pelle vers le fond du chevet oü Saint Paul eft repréfenté tournant la meule d’un mou* lin , auquel les Prophêtes apportent des facs de bied, fuivant Pinfcription en vers latins , également peinte fur verre , qu’on lit au deffous , font antérieurs a celui de la Chapelle de Saint Maurice dans le même chevet , dans laquelle fut dépofé par les foins de Saint Louit, dans une chaffe qu’il fit faire , le corps d’un des Martyrs de la Légion Thébaine, ainfi qu’on le lit dans les vers latins également peints fur verre, qui font au bas dudit vitreau (e), fur lequel font peints quelques a&es de la vie de Saint Maurice.
On peut dire la même chofe de plu- fieurs autres vitres peintes de la même Eglife qui repréfentent des actes de la vie de Saint Louis; car ce Prince n’a commencé a ré- gner que 8 o ans après la confécration de cette Eglife , reconftruite par Suger; dont une grande partie fut rebatie a neuf par les foins de la Reine Blanche, fuivant le témoignage de Guillaume de Nangis. Sa parfaits conftruêtion , telle qu’elle exifte , ne commenqa que fous PAbbé Eudes, en
Antiquit, & Recherch. de 1’Afc. de S. Den. par D. Doublet, Be'nédiét. Par. 1625 p. 243,246, 247 8c 10 v
(b) L’ufage des troncs dans les Eglifes eft done trés¬ancien. _ ■ . ..
(c) De adminiftr. Sug. Abbat. loc. cit. « Undè quia » magni conftant magnifico opere fumptuque profufo vi- « tri veftiti & faphirorum materise, tuitioni 8c refeétioni as earum minifterialem magiftrum... confiituimus, qui... si etiam admirandarum vitrearum operarios 8c materiam » faphirorum locupletem adminiftrabit 33.
( d) Les Abbes Réguliers n’obtinrent la mitre que fous Philippe Augufte.
( e ) Hie Thebaorum flrenuus miles jacst units,
. Regis Prancorum Lydovici nobile munus?
tion a porté & porte encore a un plus haut degré que les Allemands , Fétude & la con- noiffance pratique de la Chimie ! Queiles découvertes cette fcience ne leur a-t-elle pas décelées dans F rt de la Verrerie & dans la coloration du verre , avec ces fubf tances métalliques! N’eft-ce pas encore de la Boheme que nous tirons les plus beaux verres cryftallins ? Ces Verreries imitées a la vérité par nos Verriers d’Alface , ne fourniffent elles pas de très-beau verre de couleur en flacons , en verroterie & en tables ? II faut en excepter le verre rou¬ge , pour ia perfection duquel on peut afiu- rer que les Verriers Allemands craignent plus la dépenfe que Finutilité des tenta- tives.
D’un autre cóté, quelle nation plus in- duftrieufe & plus active que les Anglois I Emules de la nation Fran^oife pour le ta¬lent , comme lis en font le modele pour Fintelligence & 1’étendue du commerce , ils tendent aulïi a aflurer leurs fuccès en tout genre en prévenant les autres dans Finvention , ou a furpaffer les premiers in- venteurs par leu fagacité dans la perfec¬tion des Arts utiles , ou de pur agrément , dont ils n’avoient été d’abord que les imi- tateurs.
Enfin les Allemands ont pu donner du verre de toutes couleurs aux Francois , aux Flamands & aux Anglois. Les Fran¬cois dès le 7\ fiecle avoient donné des Ver- riers & des Vitriers aux Anglois. Cinq fiecles après les Anglois, devenus plus habiles dans la Vitrerie , dont la Peinture fur verre fai- foit la partie la plus étendue, font appellés a eet effet en France par Suger ; & la Reine d’Angleterre emploie par excellence Ie talent de fes fujets pour fournir a ia Com- teffe de Braine le principal vitreau de FEglife de FAbbaye qu’elle venoit de fonder. De nos jours même, un Auteur Anglois vient de nous prévenir, en donnant au public un ouvrage trés utile entr’autres pour F Art de la Verrerie , & pour celui de colorer le verre. II efpere , par les enfeignements qu’il y prefcrit, faire revivre en Angleterre 1’Art de peindre fur verre (a). Qui fait fi eet Art plus fong-temps négligé dans cette Ifle que partout ailleurs , n’y reparoitra pas avec plus d’éclat ?
On comptoit encore a Paris , il y a 40 . Autresan- ans au plus , au rang des monuments de la mentsm°ndë Peinture fur verre du 12d fiecle , quelques Peinture fur anciens vitreaux dans le haut du choeur de d!,n'S
FEglife de Paris, dont j’ai démoli en 1741 dmiedTpa- les deux derniers, pour les remplir de vitres riï» de'truits blanches. en 174Ie
torn
( a) Voy. les Ant. de S. Den. par D. Doublet ; Duchefae m 4 ; la vie de S. Louis par Guillaume de Nangis;
I’Hift. de 1‘Abb. de S. Den. par D. Felibier ; enfin du Dioc. de Far, par M. i’AbbéLebaeuf, ZB-IA, torn. 3.
(a\ Voyez a la fin de ma feconde Partie les Extraits que je donne de eet Ouvrage, felon que je 1’ai promts
dans ma Preface.
Toutes
Toutes les grandes fenêtres qui regnenc autour de ce vafte édifice, dans la partie fupérieure au deffus des galeries , quoi- qu’il ait été plus de 200 ans a batir, font uniformes dans leur conftruöion. Une grande partie circulaire de tout le diametre de la largeur des fenêtres furmontée dans fon amortiffement par un panneau de vitres qui la termine en cintre gothique, &c fianquée dun panneau de chaque cöté formant un triangle obtus, femble couronner les deux pans ou colonnes de vitres du deffous , dont les fommets terminésen pointes, laiffentau milieu fous la partie circulaire un autre trian¬gle ifofcele. Ces deux pans de vitres font féparés par un meneau de pierre qui fert de fupport a la partie circulaire ; or dans -les anciennes fenêtres ou j’ai mis des vi¬tres neuves, la partie circulaire étoit avant la demolition des anciennes vitres, remplie de panneaux de verre, retenus par des tra- verfes & des montants de fer, d’un verre fort épais , recouvert d’une grolïiere gri- faille dont les lac'v (a) au fimple trait étoient xehauffés de jaune. Au pourtour de cette partie circulaire régnoit une frife de verres de différentes couleurs, coupés en lozan- ges, dans le goüt de la premiere maniere ( a) Lads eft ïe nom qu’on donne a ces ouvrages de fi.1 ou de foie faits en forme de filets, ou de réfeuil, dont les brins font entrelalfés Ids uns dans les autres. C’eft de-la vraifemblablement qu’ont prts le nom de Lads, en fait d’Architecture, ces ornements compofés de lif¬tels & de fleurons lie's les uns avec les autres en différents fens, de maniere que le même liftel paffe quelquefois par def¬lus & quelquefois pardeffous celui qu’il lie. Les Vitriers pour exprimer cette forte d’affemblage fe fervent du mot entrelas & Part de faire exa&ement circuler ces liftels , fans paffer deux fois du même fens fur ceux qui leur répondent, fait encore a préfent, en bien des Villes de France, Ie fujet, du chef-d’oeuvre qu’ils propofent aux Afpirants a Ia Maitrife. Ces entrelas entrent aufii, quoique plus rare- ment que par le paffe', dans la fcience des Jardiniers pour les compartiments des parterres; dans cel’e des Sculpteurs & des Serruriers, pour remplir les appuis évidés des tribunes ou des balcons. Les Tapiffiers & les Tailleurs les pratiquent auffi quelquefois avec beaucoup d’inteiligence pour la conduite du galon qu’ils emploient.
de la Peinture fur verre, dont nous avons parlé ci-devant, ainfi que les triangles des rempliffages au deffus," au-deffous & aux cótés de la partie circulaire. On yretrouva, coraiue il en fubfifte encore dans plufieurs autres fenêtres de cette vafte Eglife, beau* coup de veftiges des plus anciennes vitres , qui provenoient fans doute de la demoli¬tion des anciennes Bafiiiques dont elle a pris la place. La même frife de la largeur de 12 au pouces qui régnoit dans la partie circulaire au-deffus defdits pans ou colonnes , y entouroit de grandes figures coloffales qui portoient au moins dix-huit pieds de haut, repréfentant des Evêques coëffés de leurs bonnets en pointes, ou mitres, tenant entre leurs mains des ba¬tons paftoraux terminés par un fimple bou¬ton , au lieu d’une courbe cornme les crof fes d’a-préfent; le tout d’une maniere très- groffiere & au premier, trait. Leurs drape¬ries de verre coloré en blanc , n’étoient relevées que par une efpece de galon ou de frange de couleur d’or. Ges vitres, les plus anciennes de celles qui avoient été faites pour la nouvelle Eglife, datoient au plus tard de 1182, temps ou le choeur fut fini & fon principal autel confacré par Henri, Légat du Pape Alexandre IÏI, 22 ans après le commencement de fa conftruc- tion, par Maurice de Sully fon Evêque.
Enfin, on trouve encore dans un grand nombre d’Eglifes de notre France, qui (la¬tent du i2e. fiecle, des vitreaux en verre de couleur , qui ne font qu’un tiffu de dif¬férents compartiments de Ce verre, dont Je fond eft le plus ordinairement rouge ,* verre fi commun dans ce temps , &maintenantfi rare, que ce n eft a proprement parler que par le défaut ou nous fommes de ce beau ver¬re rouge , qu’on pourroit regarder la Pein- ture fur verre , cornme un fecret perdu pour notre fiecle.
FEINT, SVR VERRE. I. Fan.