CHAPITRE IX.
Etat de la Peinture fur verre au XIII. Jiecle.
Le goüt des vitres peintes dansles Eglifes augmenta beaucoup pendant le 13'. fiecle. Leur traitement fe développa de plus en plus; elles devinrent d’un ufage Ji fréquent dans les diverfes contrées de 1’Europe , & fur-tout dans notre France, que M. 1’Abbé Leboeuf comptoit en 17ƒ4? dans la feule étendue du Diocefe de Paris , plus de qua- rante Eglifes de Collégiales, Monafteres & ParoiJTes , même de Villages, oü il refte encore des vitres de ce temps , fans y comprendre celles oü 1’on avoit remplacé ces vitres peintes par des vitres blan¬ches (a).
On vit paroitre dans ce fiecle fur les vitres beaucoup de fujets tirés de 1’an- cien & du nouveau Teftament , ou des a&es du Saint Patron du lieu , d’un goüt conforme a la maniere de defliner de ce temps-la, d’abord au fimple trait & fans ombre , comme dans le fiecle précédent. On eJTaya enfuite d’y former quelques ha- chures, qui, en épargnant le fond du verre, donnerent plus de relief aux draperies,
Ces vitres étoient ordinairement retenues dans des vitreaux de fer dune feule Óc même forme , ou féparés en plufieurs par¬ties par des meneaux de pierre. Ces tableaux dont la figure & la fuperficie étoient fou- vent différentes dans les mêmes vitreaux , rondes ou ovales , pofées en lozanges ou coupées a pans , étoient quant a la partie hiftorique , appliqués fur un fond de vitres compofées de pieces de rapport de toutes Charmant couleurs , d’un deflin varié & d’un aflez fonds dont bel eJFet , qui par 1’ordre & la difpofïtion les tableaux des pieces & par le mélange heureux & etox?ntS en- kien entendu de ces couleurs brillantes , tourés. formoient une mofaïque tranfparente très- gracieufe a la vue. L’cxaête fymmétrie qui regne dans eet affemblage , cette corref- pondance & ce jeu des parties donnentau corps de 1’ouvrage eet enfemble qui féduit le fpeêtateur, plus arrêté par le char¬mant effet de ces fonds que par les tableaux
A profilers qu’ils entourent.
Monuments 0 .
de Peinture 1 elles lont entr autres ia plupart des fur verre de vitres 4e 1’Eglife de 1’Abbaye deS. Denys
Denys öc ail- en ^rance? poftérieures a celles que 1’Abbé leurs, Suger y fit faire ; celles des deux rofes
(a) Hifi. du dio<;efe de Paris déja citée.
latérales de 1’Eglife de Paris , celles de la Chapelle de 1’infirmerie de 1’Abbaye de S. Vidor de cette Ville, & furtout les vi- Vitres de tres toujours admirables de la Sainte Cha- laSte. cha¬pelle a Paris. Elles font bien digaes de la Pe*iea Paris, magnificence de S. Louis, qui mit toute fa complaifance a orner un édifice qu’il avoit fait conftruire pour y dépofer les pré- cieux reftes des inftruments qui avoient fer- vis a la Pafilon du Roi des Rois; inftru¬ments dont le recouvrement avoit fait 1’ob-
jet de fes défirs, les plus ardents. Entretiea
Non content de n’avoir rien épargné defd. vitres pour rendre ces vitres d’un magnifique éclat, ce pieux Monarque voulut pourvoir encore fuccefieurs. a leur entretien dans la poftérité la plus reculée. Nous lifons dans 1’Acte de fa feconde fondation du mois d’Aoüt 1248 , qu’il vou¬lut que les offrandes que les Chapelains recevroient au faint Sacrifice de 1’Autel ferviJTent a 1’entretien de ces vitres, & que dans le cas oü elles ne fuffiroient pas , le furplus feroit prélevé fur fon tréfor royal ou fur celui de fes fuccefieurs, dont le dé¬pot étoit dansle Temple, jufqu’a ce qu’il en fut par lui ou par eux autrement or- donné (a).
Les intentions de ce faint Roi furent exadement fuivies par fes fuccefieurs. L’un d’eux ayant fait don des Regales a la Sainte Chapelle (b), Charles VIII. (c ), en def-(#) « pradiElis ohventionibus ó' oblationibus ( 9>fiunt in ntijfis ad mar.us facerdotttm J)* Verrerias ejufdem
Capellse refici 8c reparari volumus, quotiens opus fuerit » & in bono jlatu fervari... Si quid verb defee er it ■, volumue » & prescipimus ut Mud quod de er it de pradiffiis obventio- » nibus aut oblationibus ad pradiffa complenda (fcilicet d& » Verreriarum refeffiione & reparatione ) pereipiatur de de~ 3» narits nofiris &fuccejforum noflrorum Parijns apud Tem- » plum, quoufaue fuper hoe aliter duxerimus ordinandumn* Hift. de la Villede Paris par Dom Félibien , Par, 171$.
(fc) Lettr. Pat. de Charles VII. du 19 Mars 1452.
(c) Charles VIII s’exprime ainfi dans fa Charte da 4 De'cembre 1483. « Pour plufieurs grandes confidéra- 33 tïons 8c mefmernent que nous fommes renus, foutenïr 33 & entretenir 1c fervice divin 8c autres néceffités 8c char- » ges de ladite Sainte Chapelle, nous avons donné & oc- •> troyé, donnons 8c oétroyons, de grace efpéciale •> tous » 8c chacuns les fruits 8c prouffits, revenus 8c émolumenrs 3> quelconques»venus 8c échus depuis notre avénement □» a Ia couronne > venants 8c ifïants, ou qui viendront 8c 33 efchéeront des Régaïes 8c droits d’icelles , qui nous 33 appartiennent 8c pourront compéter, appartenir 8c » écheoir en quelque maniere que ce foit, de 8c en tou- 3* tes 8c chacune les Eglifes , tant métropolitaines que 33 cathe'drales de notre Royaume, 8c en 8c par-tout icelui 33 notre Royaume ou Seigneurie oü lefdites Regales ont □J lieu , 8c a caufe d’icelles 8c les droits d’icelles ; 8c les 33 avoir 8c prendre dorefnavanr notre vie durant, a quel- w> que valeur 8c eftimation qu ils fe pourront monter, par
tina une partie notamment a foutenir & en-tretenir fes voiries {a} ; &c jufqu’au milieu du 17“. fiecle le revenu des Régales a fervi a l’entietien de cette augufte Bafilique (b).
Vitres co- L’amour de la fimplicité & de la pau- fclanc3. Cn vreté qui régnoit dans les premiers Monaf- teres de 1’Ordre de Citeaux, avoic occa- fionné dans cette Religion des défenfes por- tées par les ftatuts & réglements des Cha- pitres généraux, d’employer d’autres vitres que des vitres blanches: Kitrea alba tantum jïant ( c). Or ces vitres blanches ne doi- vent pas s’entendre a ia lettre d’un verre nud fans teinture ni couverte; car ce der¬nier ufage n’a pris naiiïance que vers le commencement du i4e. fiecle. La plupart des vitres qu’on appelle ici vitres blanches , étoient teintes ou couvertes dun blancun peu opaque; telles que celles qui éclairent encore a&uellement beaucoup d’Eglifes des Monafteres de Bernardins, lefquelles font ornées de compartiments. On avoit vu des exemples de ces vitres blanches des le fiecle précédent : telles étoient celles qui fubfif- toient encore en 1741 , dans les grandes parties circulaires des hauts vitreaux du choeur au midi de 1’Eglife cathédrale de
Paris.
„ les mains du Receveur general d’icelles} rout ainli qu’ils 5, ont fait du vivant de notredit Seigneur & pere ■> pour les converter 8t employer, la moitié a la confervation 8c
» entretenement dudit fervicedivin en ladite Sainte Cha- 33 pelle; 1'autre moitié en ornements d’Eglife Sc en linge s> pour ledit Service divin, £? a foutenir & entretenir les a» voiriet de lad* Ste. Chapelle 8c autres reparations d’icelle; » lefquelles reparations, néceffités 8c autres charges deffuf- » dites nous convenons autrement de fournir de nos « propres deniers... Si donnons en mandement par ces 9» Préfentes a nos amés& féauxGens de nos Comptes 8c »> Tréforiersa Paris, que lefdits Tréforier 8c Chanoines □J de la Sainte Chapelle ils falfent, fouffrent 8c IailTent jouir » 8c ufer paifiblement de notredit don 8c odtoi ,fans leur »»y faire mettre, ni fouffrir être fait, mis 8c donné,aucun 03 deftourbier ou empefchement au contraire. „
(a) Nom que Ton donnoit pour ïors a ce que St.
Louis appelloit verraria, a pre'fent un vitreau ou forme de vitres.
(b) On voit dans le tom. XI. des Mémoires duCler- gé , que dès le regne de Francois I, on contefta a la Sainte Chapelle fon don de Regale, & plus vivement en¬core , fous Henri II 8c Charles IX. Celui-ci lui en fit un nouveau don en 1566, dans lequel elle fut encore dans la fuite tant 8c fi fóuvent troublée, que Louis XIII , en 1641 j.prit le parti de le révoquer. Louis XIV en dédommagement unit a la Sainte Chapelle Fabbaye de Saint Nicaife.
(e).Capit, Getier, Ciflerc. dijïinft, i.cap, 30,
D’autres fondateurs moins détachés ou vitres con- plus magnifiques dans la décoration des ■£
temples dédiés au culte de 1’Etre fuprê- failed S me , introduifirent dans 1’aflemblage de ces vitres blanches des fleurons de verre de couleurs. La grande Chapelle de la Sainte Vierge fous le cloitre de 1’Abbaye de S. Germain-des-prés a Paris , & 1’Eglife du College de Cluni en la même ville, en font ornées : on voit de femblables vitres qui fe font bien confervées dans la Cathédrale aux fenêtres de quelques Chapelles au nord & au levant, dans 1’enceinte du choeur ; on en voit aufti dans un 'grand nombre d’Eglilès de notre France , dont la conf- truSion date du if. fiecle.
Ces vitres font ordinairement connues effet de fous le nom de grifailles; les lacis qui en cesPcimure5" forment les compartiments, tout gothiques qu’ils font, les fleurons de verre rouge ou bleu autour defquels ils ferpentent & fe croifent, préfentent a la vue un afpeêh fé- duifant qui frappe & éblouit en quelque fa$on , & reffemble, fur-tout dans les fleu¬rons de verre rouge , a un grand feu , au milieu du gris, du jaune & du noirqui les entourent.
Dans d’autres, ces mêmes lacis ferpen- tent autour d’autres pieces d’un fond blanc , fur lequel paroiffent comme brodés en or toutes fortes d’ornements au Ample trait , peints en jaune, comme des fleurs, des fruits & des animaux. L’exa&e circulation de ces lacis eft marquée d’un cóté par un trait noir, öc recuit fur le verre qu’ils bordent , de 1’autre par le plomb qui joint enfem- ble les pieces de verre.
Ces ouvrages d’un grand détail exigeoient Attention de la part du Peintre Vitrier un foin des ^f^t de ia mieux entendus & des plus exa&s pour en dei’Ar* marier & détacher alternativement les cou- leurs & les ornements , avec d’autant plus de délicatefle & de patience, que 1’Artifte cherchoit a rendre ces lacis plus fpirituels & plus gracieux ( a ).
(a) Voyez les antiquités de Paris par Sauval» edit, de 1714, tpf», 1. /iv, 4. f* 34i«