CHAPITRE XIII.
Etat de la Peinture fur Verre au XVle. fiecle , c’efl-d- dire , dans fon meilleur temps.
ILi Es progrès d’un Art font autant de de- grés qui le portent vers la perfection , juf- qu’a ce qu’en ayant atteint le fommet, il tombe d’une chüte plus rapide vers fa ruine. Traiter des meilleurs jemps de la Pein¬ture fur verre, c’eft prefqu’annoncer le dépé- riffement dont elle eft menacée, & effayer nos regrets fur fes triomphes. Ne laiffons pas néanmoins d’examiner les caufes de fa fubite élévation dans le feizieme fiecle : nous ne pouvons arrêter le cours des viciffitudes humaines ; la Providence feule peut con¬duite toutes chofes a leur perfection, comme elle en permet la chüte & la ruine. Payons- lui done le tribut d’hommages que nous lui devons pour nos fuccès, & faifons nos ef-forts pour fauver notre Art du péril qui le menace.
Avant Finvention des émaux par Jean de Bruges , la Peinture fur verre, comme Farc¬en- ciel, dont les couleurs variées ne for¬mant aucun deffein particulier, ne laiffent pas de furprendre Fadmiration; ou telle qu’un parterre émaillé de fleurs de toutes couleurs & de toutes efpeces, qui quoique moins pré- cieufes les unes que les autres , concourent a Feffet de ce tout enfemble dont les yeux ne peuvent fe laffer ; la Peinture fur verre , dis- je , avoit plus frappé les yeux du corps que ceux de Fame, par la beauté des objets re- préfentés. Telle eft maintenant encore paf- mi nous la fenfation qu’éprouve le commun des hommes peu connoiffeurs a la vue d’un tableau bien colorié : le coloris feul les frap¬pe , fans égard aux autres parties de la Pein¬ture. Cet attrait féduifant du coloris , ac- compagné de ce religieux frémiffement qu’infpiroit le refpeCtdü aux ïieux faints que la Peinture fur verre décoroit, d’une part; de I’autre, 1’attention que portoient a ces ob¬jets , quoique grofïiérement repréfentés fur les vltres, ceux dont Fame fimplement Chré- tienne y cherchoit des fujets d’inftruétion ou d’édification, avoient, comme nous 1’avons vu , dans les fiecles précédents, accrédité FArt de peindre fur le verre. Les Eglifes de la ville & de la campagne , les Palais de nos Rois & des Souverains, avoient pendant ce temps été fermés de vitres rehauffées de Féclat du plus beau coloris, mais d un deffein très-groffier. On vit tout a-coup au i ée. fie- cle^cet Art devenir fufceptible de ces fites gra^
de ces habiles Deflinateurs, qui, fortis de Pécole de Raphael , fe répandirent dans les différents Etats de PEurope; quelqu’éten- du que fut celui des Éleves que firent en France les Léonard de Vinei, les Roffo & les Primatice que les libéralités de Fran¬cois I avoient attirés dans fon Royaume, leurs deffins multipliés ne pouvoient fuffire a Pempreffement général avec lequel on s’ef- for^oit de toutes parts de s’en procurer.
Albert Durer , ce vafte génie qui embraf- foit tous les Arts, avoit déja commencé , comme nous avons dit, a faire paroitre fon talent pour la Gravure dans 1’Allemagne. II 1’avoit porté beaucoup plus loin qu’aucun de ceux qui s’en étoient occupés depuis la findu 14. fiecle. La célébrité de fes Èftam- pes gravées fur bois, qui fe répandirent par- tout, fit recourir a la Gravure. On la re- garda comme un moyen de multiplier pref- qu’a Pinfini le même deflin , & de faire par- venir jufques dans les régions éloignées , la penfée d’un Artifte, qui auparavant n’é- toit connue que par le feul exemplaire forti de fes mains. Marc-Antoine Raimondi, de Boulogne en -Italië , fe rendit 1’émule & même le contrefaêfeur des Gravures d’Al¬bert Durer. Raphael & Lucas de Leyde sexercerent a graver, & comme dans ce temps tout ce qui émanoit du deflin ne pa- roiffoit pas difficile, 1’Art de graver s’étendit &fe perfedionna. On vit alors peu de bons PRINT. SUR VERRE. I. Part,
tons arrêtés & coloriés, que leurs fleves rendoient avec autant de preftefiè que d’art : ils ne dédaignerent pas d’entrer en lice avec. ceux-la-même qu’ils pouvoient ne regarder que commeleurs Copiftes. Ils pratiquerent ce travail dun détail & d’un faire tout-a-fait étranger a la maniere ordinaire de peindre , mais que leur pratique de la Gravure leur rendoit plus aifé. Bientót ils firent connoi- tre Puniverfalité de leur génie dans tout ce qui dépend du Deflin; ils traitoient avec 1a même habileté, le crayon & le biftre , le marbre & le bois, la détrempe & 1’huile le burin, le verre , les émaux & leur recuif- fon. Quelques-uns exercerent ces différents talents avec la même facilité & la même in¬telligence : ainfl la Peinture fur verre fe vit portée a la plus haute perfection en France , en Allemagne & dans les Pays-Bas; accom- pagnée ou privée du mérite de Pin ention, elle y concilia une eflime diftinguée a ceux qui s’y appliquerent, inventeurs ou copiftes.
La feule Italië , qui fourniffoit aux Fran¬cois les plus excellents Maitres dans le def- fin , n’avoit perfonne propre a 1’emploi des couleurs métalliques ufitées dans PArt de peindre fur verre ; perfonne qui fut les faire recuire pour les incorporer avec le verre. Jules II ne put voir la Capitale du Monde Chrétien, devenue par fes foinsle centre du gout pour le deflin , privée d’un talent qui faifoit de fi grands progrès par-tout ailleurs ; il chargea Bramante de lui en procurer dea
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Artiftes. Bientót, a fa réquifition, frere Guil- iaume,de 1’Ordre de Saint Dominique, & Maitre Claude, tons deux habiles 1 emtres fur verre, quittent Marfeille , arrivent a Rome , & fous les yeux & les cartons de Raphael décorent de leurs Ouvrages des vi- treaux de la Chapelle du Vatican : mais Claude n’ayant pas furvécu longtemps a fon arrivée , Frere Guillaume acheve feul les travaux commences ; enfuite Cortone , Arezzo , deviennent le théatre de fes veil¬les , & cette derniere ville le lieu de fa fé- pulture.
Si les Etats d’Italie furent les derniers qui eurent des Peintres fur verre , ils en furent privés les premiers, foit a caufe du peu de gout que les Italiens fe fentoient pour cette maniere de peindre , foit par le petit nom- bre d’Éleves que ce Religieux y forma. On compte parmi eux George Vafari; mais il nous apprend qu’il s’en dégoüta bientót, & qu’il s’appliqua par preference a la Peinture a i’huile, a laquelle il travailla fous Michel- Ange , & fous André del Sarto.
Pendant ce temps, la France qui , comme nous le ferons voir plus amplement, poffé- doit en concurrence avec les Pays-Bas, les meilleurs Peintres fur verre, vit croitre le nombre de leurs Éleves, & leur talent fe fortifier avec une viteffe incroyable. C’eft quelque chofe de furprenant que la quantité prodigieufe des Ouvrages de Peinture fur verre de ce bon temps, dont non-feulement les Eglifes, les Palais de nos Rois, les maifons des Grands ; mais encore le& lieux d’aflem- blées publiques dans toutes les Villes , les Oratoires , les Cloitres des Monafteres , les faions des riches , les appartements des Pim¬ples particuliers , les voitures même (#), fu¬rent ornées d’après les deflins & les cartons des Francois d’Orléans, des Simon & Claude de Paris, des Laurent de Picardie, des Lucas Penni, des Claude Baldouin , des le Roy , des le Rambert, des Dorigny, des Carmoy , des Rondelet, des Mufnier, des Dubreuil, des de Hoey , des Dubois, des Rochetet, des Samfon, des Michel & des Janet, tons Éleves du Roflo & du Prima- tice , qui fournirent des deflins en fi grand nombre pour les Tapifleries & pour les vi¬nes.
Èntre les parties de la Peinture fur verre, dans lefquelïes ces Artiftes fe diftinguerent le plus pendant ce flecle , le Portrait ne tint pas le dernier rang : la plupart s?appli- querent avec mérite a cette portion de leur
(a) Nous lifons dans les Mémoires de la Reine Mar¬guerite , edit, de Bruxelles i6y8 , p. 97 ■> que « dans fon voyage de Flandres, fa. Litiere étoit toute vitree les vitres toutes faites adevifes; qu’elle portoit, tant en foie fur la doublure , qu’en peinture fur les vitres, quarante dsvifes toutes différentes, avec des mots en Efpagnol ou en Itaben, fur le Soleil & ft# fes effets, »
Art, qui en rendra toujours la confervation plus digne de nos foins.
Outre Fhonneur qu’elle fait au Peintre , en qui, pour être exa£h, eile fuppofe une grande corredion de deflin, beaucoup d’in- telligence, de juftefle & de précifton, pour bien rendre les différentes inclinations & les paflions cara&ériftiques des perfonnes xepréfentées, de maniere qu’au premier coup d^ceil on puiffe y reconnoitre celles que Ton a connues ; combien de fatisfa&ion & d’inftruc- tion même ne nous fournit pas cette fcience !
Dans un Portrait bien rendu, nous re- trouvons la figure de ce Monarque, qui par fa valeur étendit les limites de fon Royaume, ou repoufla la violence d’un ennemi qui vouloit s’en emparer; & aflurant ainfl le bonheur & le repos de fes fujets, voulut encore leur laifler fous les yeux de pieux monuments de reconnoiflance envers 1’au- teur de tout fuccès , & les confacrer a 1’em- belliflement de fes faints Temples.
Nous y reconnoiflons ce Prélat, diftin- gué par fes enfeignements comme par fon exemple , qui nous donna les idéés les plus relevées du culte du a 1’Etre fuprême.
Nous y admirons la resemblance de ce Magiftrat défenfeur des Loix, ami de la Juftice & de 1’équité , qui tira tant de mal- heureux des dangers que leur avoient fufeité des adverfaires mal intentionnés.
Nous y conudérons celle de ce bienfaiteur de tout état, aufli précieux a la poftérité par fes bienfaks, que par fa magnificence dans la décoration du Temple 'du Seigneur.
Cette maniere d’honorer les hommes qui fe font rendus utiles a 1’Eglife & a i’Etat, fut obfervée chez les Anciens dans les Pein- tures en mofa'ique qui ornoient les Temples des Chrétiens des le 3e. fiecle ; elle paffa fur les vitres peintes dès les premiers temps dela Peinture fur verre, puifque nous avons remarqué qu’on vok encore aujourd’hui a Saint Denys, le portrait de 1’Abbé Suger dans des vitres du 12e. fiecle, & a Saint Yved ceux du Comte & de la ComtelTe de Brains, dans des vitres du même temps.
On a ordinairement regardé ces monu¬ments, comme un témoignage fincere de la reconnoiflance des fideies envers les faints Pontifes, les Empereurs , les Rois, ou aütres fondateurs de ces faints Temples; ou comme un effet de leur complaifance chre- tienne dans 1’oftrande qu’ils faifoient a Dieu de ces faints lieux, lorfqu’ils les faifoient placer eux-mêmes ; quelquefois même en ce cas, comme un acle de vanité, ainfl que M. 1’Abbé Fleury le reproche a Acace, Patriarche Arien de Conftantinople.
Quels que foient ces motifs, on ne peut favoir trop de gré a ceux qui nous ont con¬fer vé ces monuments, C’eft dans ces portraits que nous puifons les connoiflances les plus
utiles fur le Coftume des fiecles antérieurs au nótre. Ils font des garants plus furs des marques diftinétives de la dignité des perfon- nes qufils repréfentent que les livres mêmes qui en traitent.
Je n’ai pas de peine a croire que les Cha- noines ou Comtes de Saint Jean de Lyon portoient des foutanes violetes dès le i3e. fiecle > lorfque je les vois ainfi repréfentés fur des vitres de ce temps.
Je concois bien plus aifément que nos Evêques fe mettoient a la tête des armées, lorfque je vois dans les anciennes vitres de Saint Sauveur de Bruges , d’un cóté les fix Pairs Eccléfiaftiques revêtus des pieces de leur blafon , portant un long manteau rejetté en arriere , la mitre en tête & l’épée nue a la main ; de 1’autre les fix Pairs Sécu¬liers fous le même vêtement , diftingués feulement des premiers par d’autres bonnets que les leurs (<3). J’apprendrai que eet ufage n’étoit point encore aboli dans le quinzienae fiecle, tant que 1’on confervera ces vitres peintes de PHótel de Ville de Bourges, ou parmi les portraits de Charles VII, de Re¬naud de Chartres, & de Jacques Coeur, paroiflent les fix Pairs Eccléfiaftiques vêtus en militaires (b).
Si je veux reconnoitre les différents por¬traits des Dues d’Orléans , la nature des ornements royaux qui revêtoient la majefté de nos Rois, & les marques diftinêtives des Princes du Sang Royal, depuis Charles V.
jufqu a Francois I. inciufivement, je trou- verai le tout parfaitement rendu dans les vitres peintes de la Chapelle d’Orleans, aux Céleftins de Paris (a), Ou peut-on encore reconnoitre plus furement cette re fie m- blance dans les vifages , ces marques de dignité dans les habillements, que dans celles des Cordeliers de la même Ville, de la Sainte Chapelle de Vincennes, &: de beaucoup d’autres Eglifes du Royaume , fur-tout a Nantes & a Angers (b), qut font du même temps ? Ne jouiroit-on pas encore des mêmes avantages dans 1’Eglife de 1’Hopital des Enfants Rouges a Paris, ou étoient peints fur les vitres les portraits de Francois I, de Marguerite Reine de Navarre fa foeur, fondatrice de cette Hópi- tal, & du Préfident Briqonnet, chargé pen¬dant le fiege de Pavie de veiller a la conf- tru&ion de cette Eglife > fi ces vitres du feizieme fiecle, dont Sauval (<?) releve la beauté, & qui avoient déja beaucoup fouf- fert de fon temps , n’avoient é:é en plus grande partie remplacées par des vitres blanches ?
Ainfi la pofiérité découvrira la forme des habits des Magiftrats du fiecle oü j’écris, dans les portraits de familie dont a été ornée, au commencement de ce fiecle, la frife peinte fur verre de la Chapelle de Sainte Anne en PEglife Paroifliale de Saint Etienne-du-Mont a Paris.
(a) Monum. de Ia Monarchie Fr an 5. par DomMont- faucon , tom. 3. p. 7^. PI, 10.
(&) Manufcrits de M, f Abbé Lebceuf.
(c) Defcrip. de Par. par Germain Brice, tom, 2. (&) Monum. de la Monarchie Frang. Loc.Jiip, cit, (4) Antiq. de Paris, tom 1. $94,