CHAPITRE XVI.
Etat de laPeinturefur Verre aux dix-feptieme SZ dix-huitieme fiecles.
Nou s avons avancé ailleurs que traiter des meilleurs temps de la Peinture fur ver¬re , c’eft annoncer le dépériffement dont elle eft menacée. Bernard de Paliffy, Peintre fur verre, & par conféquent dïgne d’être cru fur ce qu’il raconte de 1’état de ce genre de Peinture, dès la fin du feizieme fiecle , va juftifier notre affertion,
« Ii vaut mieux, dit-il (a), qu’un hom¬» me, ou un petit nombre d’hommes, faffent » leur profit de quelque Art en vivant honnê- »tement, que non pas un grand nombre » d’hommes , lefquels s’endömmageront fi »fort les uns les autres , qu’ils n’auront » pas moyen de vivre, finon en profanant les » Arts & laiffant les chofes a demi-faites, JO comme Pon voit communément de tous »les Arts aüxquels le nombre des Ouvriers » eft trop grand. . . . ».
L’Art de la Verrerie & celui de colorer le verre, fi célebre depuis quatre fiecles & plus , vers la fin du feizieme « commencoit » a tomber fur-tout dans lePérigord , le Li- »-moufin, la Xaintonge, l’Angoumois, la » Gafcogne , le Béarn & le Bigorre. Les » verres qui en provenoient étoient, continue¬» t-il, méchanifés en telle forte qu’ils étoient » vendus & criés dans les villages par ceux » mêmes qui orient les vieux drapeaux & la » vieille féraille, tellement que ceux qui les »font & ceux qui les vendent travaillent » beaucoup a vivre. L’état de Vefrier eft » noble , maïs plufieurs font Gentilshommes » pour exercer ledit Art qui voudroient être » roturiers & avoir de quoi payer les fubfides » des Princes , & vivent plus méchanique-
» ment que les Crocheteurs de Paris
» L’Art des Emailleurs de Limoges eft de¬» venu fi vil, qu’il leur eftdevenu difficile d’y » gagner leur vie au prix qu’ils donnent leurs 55 oeuvres fi bien labourés & les émaux fi bien » fondus fur le cuivre qu’il n’y avoit peinture » fi plaifante. Les Imprimeurs ont endommagé »les Peintres & les Pourtrayeurs (b}, Les » hiftoires de Notre-Dame, impriméeshie » gros traits après Pinvention d’un nommé » Albert (c), vinrent une fois a tel mépris a
» caufe de Pabondance qui en fut faite, qu’on » donnoit pour deux liards chacune defdites » hiftoires , combien que ia pourtrai&ure fut » d’une belle invention ».
La Peinture fur verre êclaVitrerie égrou- verent le même fort. Paliffy nous apprend qu’il ne fe détermina a les quitter pour faire des vaifieaux de terre émaillés & autres chofes de belle ordonnance , que paree que déja, c’eft-a-dire, vers Pan 1^70, elles tomboient en difcrédit dans la Xaintonge. « J’entrai, dit-il (a ), en difpute avec ma » propre penfée, en me remémorant plufieurs »propos qu’aucuns m’avoient tenus en fe » mocquant de moi lorfque je peindois des » images (&). Or voyant qu’on commencoit » a les délaiffer au pays de mon habitation , » auffi que la Vitrerie n’avoitpas grande re¬» quête.... je vais penfer ... paree que »Dieu m’avoit donné d’entendre quelque » chofe de la pourtrai&ure ... a chercher les » émaux pour faire des vaifieaux de terre »(entreprife que fon peu de fuccès le mit » bientót dans la néceffité d’abandonner ). » En effet, après de grands frais, perte de »temps, confufion & trifteffe (c), il avoit » vu qudl ne pouvoit rien faire de fon inten- »tion, & tombant en nonchaloir de plus » chercher le fecret des émaux & Pur-tout de » 1’émail bianc ; car touchant les autres cou- »leurs (dont il connoifioit la préparation » pour lifreinture fur verre qu’il pratiquoit) »je ne m’en mettois, dit-il, aucunement en 30 peine; il prit relache pendant quelque ia temps & fe remit a peindre fur verre».
On ne fera plus furpris que du temps de Palifiy 1’Art de la Verrerie & celui de la Peinture fur verre fuffent déja fi fort déchus dans la Xaintonge & dans toutes les autres Provinces adjacentes & ultérieures, fi 1’on confidere que le nouvel établiffement des Gabelles & les troubles de Religion y avoient occafionné dès le milieu du feizieme fiecle , & y occafionnerent encore dans la fuite des mouvements féditieux & turbulents.
Les guerres qui s’allumerent en France êc dans la Flandre, préparées fous le regne de
(a) Difcours admirable de Ia nature des Eaux Sc Fon¬taines ... . du Feu, desEmaux, 8cc. Paris, 1580, chez Martinle jeune, devantle Collegede Cambray,pag. 270.
(è) Par les Imprimeurs, Païiffv entend ici les Gra¬veurs d eftampes, comme par le mot Pourtrayeurs, il entend les Deffinateurs.
( c) Je ne fais fi Pabfly veuf parler d'Albert Durer* ou dun autre Albert Aldegraf, ne' en Weftphalie, da-
ciple de Durer, qui avoit faifi Ia maniere de graver de fon Maitre, Sc s’eft fait une grande reputation.
O) Difcours admirable ci-defliis cité, pag. 2,71.
(b ) Ces propos étoient fans doute unq fuite des pro-
grès que Ia Religion prétendue réformée faifoit dans <cette Province , comme nous Ie verrons bientót.
) Difcours admirable ci-deffus cité > pag. 277,
SUR VE R R E. I. PARTIE; é3
images 9 a la décadence d’un Art , dont Charles IX confirma encore lui-même les privileges, maïs dont il paroit que fesSuc- cefleurs ne firent pas un grand cas.
Les temps de troubles & de divifions dans les Etats, fur-tout lorfqu’elles font inteftines, n’orjt jamais été favorables aux Sciences & aux Arts. II n’y a que celui de la paix, qui puifle engager les plus grands Princes a fo- menter l’émuiation entré les Savants & les Artiftes. C’eft alors que ceux-ci s’empreflent a l’envi d’attirer les regards des Souverains fur les productions de leur génie & de mé- liter les récompenfes auxquelles il leur eft au® naturel d’afpirer qu’il eft glorieux & intéreflant pour les Souverains de les répandre avec magnificence.
les mor- La confidération qu’on avoit eue pour les p?intuieCfur Peintures verre afïoiblie par leur multi- verre de tude , les grandes entreprifes de Peinture fur grande exe- verre devenues plus rares par les malheurs donnés: ex- des temps; le verre coloré devint inutile ; tinóhon des ies Verriers fe virent'contraints d’éteindre verre coloré. ce grand nombre de lours qui pouvoit a peine fufïire un fiecle auparavant a la quan- tité confidérable d’ouvrages dont les Peintres-
Les Pein- Vitriers étoient chargés. Les émaux inventés
obligés defe pa* Jean de Bruges, perfeCtionnés en France
faire une par Pinaigrier, devenus fufceptibles de ces
Sdepdn- nuances de détail par ces Chimiftes Hollan-
dredepetlts dois (a) auxquels Néri, Florentin, s’affocia
tableaux par a commencement du dix-feptieme fiecle , les emaux. r
Francois I, & continuées fous les regnes fuivantsjces guerres cTautant plus défaftreufes que la Religion fembloit leur fervir de pré- texte, ne contribuerent pas peu , jointes au déchainement des Huguenots contre les
fuffirent aux Peintres fur verre pour colorier en petit les fujets fur lefquels ils s’exercerent. A peine reconnoit-on dans les ouvrages de Peinture fur verre des vingt ou trente pre-
mieres années de ce fiecle 1’ufage du verre en table colore aux Verreries. A me ure que
cé qu’il avoit donné un excellent Traité : i°, Qu’Ifaac e'tabli a Anvers y avoit déja acquis une grande reputa¬tion en 1609 : 3% Qu’il s’y rendit très-utile a tous ceux qur employoient les Emaux» & par conféquent aux Pein- rreWur verre, Flamands , qui fe diftinguerent le plus dans les commencements du dix-feptieme fiecle, par la beauté de leur colons : 4% Que Neri déja célebre a Florence dans FArt.de la Verrerie en 1601 , avoit quitté fa patrie pour fe rapprocher d’lfaac Hollandus, & fuivre auprès de lui, a Anvers, fes procédés dans 1’Art d’imiter les pierres précieufes, d’oü il, retourna a Florence pour y faire imprimer fon Traite Itahen fur l’/iF? de let Verrerie, chez les Giauti, en 1612, in-4 t edition que M. de Bure regarde comrae 1’originale de cet Auteur, a laquelle néanmoins les Savants ont pre- féré la traduction Latine : y°» Enfin que 1 Art d Email- ler a la lampe pofledoit d’habiles Artiftes dès le fei¬zieme fiecle Sc dans le dix-feptieme.
ce fiecle s’avanca , ces morceaux de grande execution , dont il formoit les draperies de différentes couleurs, céderent la place aux tableaux de chevalet, s’il eft permis de s’ex- primer ainfi en traitant de la.Peinture fur
verre.
Les Artiftes des derniers temps de ce fiecle s’étant fait en confluence une maniere de travailler différente de celle des fiecles pré- cédents ; e’eft de cette maniere} qui eft celle des Peintres fur verre aêtuels , dont nous traitons principalement dans notre feconde Partie. Rentrons ici dans le détail, en pjar- lant, comme nous avpns fait relativement au feizieme fiecle, des noms & des ouvrages des plus habiles Peintres - Vitriers des dix-* feptieme & dix-huitieme fiecles.