Recettes des diffèrentes couleurs propres d teindre des maffes de
Verre; avec des Obfervations fur le Verre rouge ancien.
C E Chapitre, dans lequel je ne fuis que le copifte de Néri & de fes Commentateurs, n’a de moi que 1’abbréviation de quelques endroits qui m’ont paru trop diffus (#). J’ai taché néanmoins de n en rien retrancher d’effentiel: la citation que je donne des dif-férents Chapitres, d’ou j’ai extrait ces recet¬tes , facilitera le recours a 1’original. J’y ai joint quelques obfervations fur le verre rou¬ge , qui pourront faire plaifir aux curieux & avoir leur utilité.
Sur foixante livres de frittes, mêlez, petit a petit & a diffèrentes reprifes, une livre & demie d’écailles de cuivre préparées, aux- quelles vous aurez ajouté quatre onces de faffre préparé , le tout mis en poudre très- fine & bïen unie. Remuez fouvent cette mixtion. Si la fritte eft d’un cryftal bien purifié, la couleur fera plus brillante. Si la fritte eft moitié cryftal & moitié roquette (b) ou foude d’Efpagne, la couleur fera très-admiflible pour fa beauté, quoiqu’in-
(«) Antoine Ne'rï, Florentin, a e'crit en Italïen fon 'Art de ia Verrerie. II eft diffus & peu correct dans ïe ftyle; mats il embraffe fon objet dans toute fon étendue, avec une exactitude qui va même jufqu’au fcrupule.
Chriftophe Merret, Médecin Angloïs 8c Membre de Ia Société Royale de Londres, a donné une Traduétion Latine de 1’ouvragede Néri, avec des Notes remplies de traits curieux, les uns relatifs a Ia Botanique, les autres a l’Hiftoire Naturelle 8c a Ia Chimie.
Le célebre Jean Kunckel de Lowenftern , plus renom- mé chez les Chimiftes par 1’opïniatreté de fon travail, ï’exaétitude de fes procédés 8c l’importance de fes de'cou- vertes, que pat Ia profondeur de fa fcience 8c Ia cor- section de fon ftyle , après avoir répété, dans les Verre- ries des differents Princes qui femployerent fucceffive- ment, toutes les operations prefcrites par Nérï, nous a ïaiffé une Traduétion de fon ouvrage en Allemand, II y a joint aux Notes de Merret des Remarques d’un très- grand poids. Avant fa Traduêtion il en avoit déja paru deux autres en la même Langue, dont une de Geisfler avec des Notes , qui lui attira des injures 8c de roauvai- fes plaifanteries de la part de Kunckel.
M. Ie Baron d’Holback, qui a fenti, en bon Connoif- feur, toute 1’importance du Traité de Ne'ri, des Notes 8c des Remarques de fes deux Commentateurs, a fu me'riter les applaudiffements du Public par la Traduétion Frangoife qu’il en a donnée fous le titre d’?ln de la Ver- rerie, Vol. in-4°. Paris , 17 J2,, chez Durand, rue Saint- Jacques , & Pijjbt, Quai des Auguftins. II y a joint celle de quelques autres Traités Chimiques fur Ia compofition du Verre rouge , la vitrification des végétaux, la maniere de- faire le faffre, 8cc; êk il promet de nous donner Ia traduction des meilleurs ouvrages Allemands fur 1’Hif- toire Naturelle ,1a Mineralogie, la Metallurgie 8cla Chi¬mie.
(&) On appelle ainfi ce que nous nommons ordinaï- rement cendres du Levant. 11 en viert auffi de Tripoli 8c de Syrië qui ne contient pas tant de fels que celle qui vient de Saint-Jean-d’Acre, a dix lieues de Jérufa- lem. Diótionnaire d’Hiftoire Naturelle, de M. Valmont de Bomare, [ ou au lieu de Jérufalem, il faut lire Tyr, ]
férieure a la premiere (a}.
Porta (Liv. 6. Chap, y.) ne prefcrlt? pour faire de cette couleur un fort beau bleu célefte, qu’une dragme de cuivre cal- ciné fur une livre de verre ( b).
Cette couleur n’admet la magnéfie ou manganefe en aucune dofe.
Sur cent livres de fritte de roquette , mettez une livre de faffre préparé, mis en poudre impalpable, & mêlé avec une once de magnéfie de Piémont préparée & bien tamifée. Expofez enfuite votre pot, peu a peu au feu du fourneau avant de le mettre en fufion; & lorfqu’il commence a y entrer, remuez fouvent le tout & laiffez bien purifier la matiere ( c ).
Porta > fur chaque livre de fritte, ne pref- crit que deux dragmes de faffre préparé. Plus on laiffe long-temps la matiere en fufion, plus elle devient belle (d).
Kunckel prétend que trop agiter la ma¬ttere lorfqu’elle eft en fufion, c’eft y occa- fionner des bulles qui s’y forment par 1’agi¬tation (e).
Le verre deftiné a recevoir une couleur verte doit être moins chargé de fels que tout autre : trop de fels 1’altere & la fait dégénérer en bleu. La magnéfie ne doit point entrer dans fa compofition.
P our y réuffir , fur cent livres de verre bien entré en fufion & bien purifié, mettez trois onces de fafran de Mars, ou crocus mar- üs) préparé & calciné felon les regies de 1’Art: remuez la mixtion; laiffez-la repofer pendant une heure ; ajoutez enfuite a cette premiere mixtion deux livres de cuivre,’ calciné a trois fois fuivant Vindication des Chapitres 24, 27 & 28 de Néri, non tout a la fois, mais a fix reprifes par portions égales. Mêlez bien le tout, & le remuez pendant quelque temps. Laiffez repofer cette nouvelle mixtion pendant deux heures,& la tenez en fufion pendant vingt-quatre, en remuant fouvent, paree que la couleur eft plus claire a la furface qu’au fond (ƒ).
(«) Néri, Chapitre XXÏX.
(6) Merret fur ce Chapitre.
O) Néri, Chap. XLIX.
(4) Merret fur ce Chapitre.
C e ) Kunckel fur ce Chapitre 8c le fuivant. (ƒ) Néri, Chapitre XXXII.
SUR VE R R
Porta dit que pour faire cette couleur, qui fera d’un verd de poireau, il faut fur une couleur d’aigue-marine déja donnée au verre, ajouter au quart de cuivre préparé, * qui eft déja entré dans la premiere couleur , un huitieme de fafran de Mars & un autre huitieme de cuivre préparé , le tout bien réuni, mis en poudre impalpable (a).
Néri, Chapitre 34, fubftitue au fafran de Mars des écailles de fer qui tombent de 1’enclume des Forgerons, bien nettoyées, édulcorées avec de Peau, broyées, féchées & tamifées, en même dofe qu’au Chapitre 32 ; ce qui donnera un verd tirant un peu plus fur le jaune.
Belle cou- Sur cinquante livres de fritte de cryftal leurde jaune £jte avec je tarfe &'cinquante autres dor‘ livres d’autre fritte faite avec la roquette & le tarfe, bien pulvérifées & réduites en poudre impalpable, mêlez fix livres de tar- tre rouge en morceaux, une livre & demie de bois de hêtre ou de bouleau, ou de cette poudre jaune que Pon trouve dans les vieux chênes, le tout bien pulvérifé & ta- mifé. Mettez la fritte & les poudres enfem- ble en fufion, fans les remuer. Cette com- pofition étant fort fujette a fe gonfler dans
les pots, veut être travaillée telle qu’elle s’y trouve fans êtreagitée, & demande en même temps d’être fouvent écumée & puri- fiée de fes fels (r).
Bernard de Paliffy, dans fon Chapitre des pierres (d), après avoir démontré que les pierres jaunes qui fe trouvent en ter re ont pris leur teinture du fer, du plomb, de 1’argent, ou de Pantimoine par 1’écoulement & la congélation d’eaux qui paffent par des terres contenant de la femence de ces miné¬raux, prétend que la diffolution & putré- faétion, jointe a la faculté falfitive de cer¬tains bois pourris en terre, détrempée en temps de pluie, amenant avec foi fa tein¬ture, donnera une couleur jaune a une pierre encore tendre & en opérera la congélation par les fels qui s’y rencontrent comme dans les minéraux; « & de ce ne faut douter, » ajoute-t-il; car je fais que le verre jaune » qui fe fait en Lorraine pour les Vitriers » n eft fait d’autre chofe que d’un bois pourri, » qui eft un témoignage de ce que je dis que »le bois peut teindre la pierre en jaune ».
Cette maniere de. teindre le verre en jaune
( a) Merret fur ce Chapitre.
(Z?) Voyez fur Ia compofition de cette fritte les Chapitres II, III, IV, V, VI Sc VII de Néri, avec les Notes de Merret, Sc les Remarques de Kunckel.
Néri dit au Chapitre II, que le Tarfo efi une efpece de rnarbre très-dur très-blanc , que 1’on trouve dans Ia Tofcane au-deflus & au-deffous de Florence. Voyez 1’obfervation de M. le Baron d’HoIback , a cefujet.
(c) l'oysz le Chapitre XLVI de Néri , corrigé par Kunckel.
(d) Difcours admirable de Ia Nature des Eaux Fontaines, Paris, i$8o,pg. 131.
E. II. PARTIE.
eft encore a&uellement en ufage dans la Bohème , ou le verre jaune que nous en tirons, qui eft d’une trés-belle couleur d’or, eft fait de la fciure d’un certain bois qui y croit abondamment. Je tiens ce fait de feu M. Heller & Compagnie, Marchands de Cryftaux & de Verre en tables de toutes couleurs, de Bohème, qui en tiennent un fort beau Magafin au Village de S. Cloud pres Paris.
Sur cent livres de verre de cryftal & fur Belle cou- cent autres livres de fritte de roquette, }f“rOu rou^e* enfemble deux cents livres, qu’on mêlera couleur de avec foin , bien. pulvérifées & tamifées, feu* ajoutez une livre de magnéfie ou manganefe de Piémont, préparée comme il eft prefcric au Chapitre 13 de Néri, & une once de faffre préparé, pulvérifé , tamifé & réuni a la manganefe. Mêlez le tout bien exac- tement: rempliffez votre pot petit a petit, paree que la manganefe fait gonfler le verre.
Quatre jours après, lorfque le verre fera bien purifié & qu’ii aura pris couleur a UH feu continuel, vous pourrez 1’employer.
Cette couleur eft une de celles qui de- mandent de la part du Verrier toute 1’in- telligence poffible, pour augmenter ou di- minuer la dofe des poudres colorantes, felon qu’il veut faire fa couleur plus ou moins foncée ( a ).
Kunckel contredit ici formellement Néri,
& dit qu’il s’en faut de beaucoup que les dofes de faffre & de magnéfie ci-deffus indiquées donnent une couleur de grenat; que pour réufïir dans cette compofition, il faut quelque chofe de plus (que Kunckel ne dit pas), & qu’après les expériences réitérées qu’il a faites de ce que Néri prefcrit ici, il na pu avoir qu’une couleur de rubis fpinel ( b ).
Haudicquer de Blancourt, au lieu d© deux cents livres de fritte pour fuppor- ter la mixtion colorante dofée par Néri , n’en prefcrit que cent livres (c).
Sur chaque livre de fritte de cryftal faite avec . ,cou'
le tarle (a) , maïs avant qu il entre en fufion, ou d’améthy- prenez une once de la poudre qui fuit, & la mêlez. Compofez cette poudre d’une livre de magnéfie de Piémont & d’une once & demie de faffre. Mêlez avec foin ces deux matieres après les avoir réduites en poudre. Joignez-les a la fritte de cryftal.
N’expofez votre pot que petit a petit au fourneau. Faites fondre & travaillez ce verre auffi-tót qu’il eft purifié & qu’il a pris
( a ) Néri, Chap. XLVII.
(& ) Remarques de Kunckel fur ce Chap.
(<;) Art de Ia Verrerie d’Haudicquer de Blancourt,
Chapitre LXIIÏ.
(d) Voyez fur Ia compofition de cette fritte Ia note (b) de la colonne précédente.
la couleur défirée : on peut en augmentant ou diminuant la dofe de la poudre, temr la couleur plus foncée ou plus claire, ce qui depend de 1 experience ou de 1 intelli¬gence du Verrier (#)•
Porta (Liv. 6. Chap, y ) n’admet qu’une dragme de magnéfie pour mieux imiter I’amdthyfte. ( b ).
Kunckel fe regie pour la beauté de cette couleur fur la meilleure ou la moins bonne qualité du faffre qui la charge a proportion de ce qu’il eft plus foncé, Il enfeigne que c’eft de 1’habileté a trouver la dofe conve¬nable que depend le plus ou le moins de reflemblance de cette couleur avec Vamé- thyfte (c).
Prenez des fragments ou groifils de verre de plufieurs couleurs: joignez-y de la magné¬fie & du faffre , mais moitié moins de la premiere fubftance que de la feconde. Lorf- que le verre fera bien purgé , vous pourrez le travailler : il prendra une couleur de noir luifant & fera propre a toutes fortes d’ufa-
Ses* . . .
Autre. Sur vingt livres de fritte de cryftal & autant de fritte de roquette, ajoutez quatre livres de chaux de plomb & d’étain , le tout ; bien pulvérifé & tamifé. Jettez ces mélanges dans un creufet ou pot déja chaud, avant de le mettre dans le fourneau. Lorfque le verre fera bien purifié , ajoutez y fix onces de la poudre fuivante. Prenez pour faire cette poudre égaies parties d’acier bien calciné & pulvérifé,& de ces écailles de fer qui tombent fous t’enclume des Forgerons, également pulvérifées & tamifées, réunis avec 1’acier. Lorfque vous aurez mêlé fix onces de cette poudre a votre verre en fufion, comme elle eft fujette a faire gonfler le verre, remuez bien le tout, & le laiffez pendant douze heu- res au feu avant de travailler votre verre (d). '
Kunckel, après avoir faitl’éioge des deux compofitions précédentes, prétend qu’en laiffant le mélange de la derniere plus de douze heures au feu , la couleur en devien- dra plus tranfparente & fera plus brune que noire (e).
J’ai omis quelques recettes prefcrites par Néri pour faire du verre de plufieurs cou¬leurs, comme de blanc de lait, de fleurs de pêcher & de marbres, paree que ces couleurs n’étant point tranfparentes & n’é¬tant utiles qu’a faire des vafes de verre de ces différentes couleurs, elles ne peuvent
(a) Néri, Chap. XLVIII.
(b) Merret, fur ce Chap.
( c) Kunckel, fur ce Chap.
(d) Ne'ri, Chap. LI & LIT,
( « ) Kunckel, fur ces Chapitres.
entrer dans 1’ordre de celles qui font propres aux Peintres fur verre : ainfi je paffe aux différentes recettes pour teindre des maffes #de verre de couleur rouge,
Cette couleur demande des foins fi vigi- Couleur Jants & mérite tant d’attention a caufe des r°uge fon altérations qu’elïe prend au feu & de 1’opa- e’ cité qu’elle peut y contrader, que Kunckel femble avoir abandonné Néri fur eet article.
Il feroit a fouhaiter que 1’on put découvrir quelque*jour la recette.de la compofition qu’il y a fubftituée, & de laquelle il a obtenu, dit-il, un rouge qui imite le rubis, Celle de Néri opére, fuivant fa remarque,une couleur rouge fi foncée, qu’a moins qu’on foufflat le verre très-mince on ne pourroit en diftin- guer la couleur (a ).
Volei néanmoins Vindication de la com-pofition de cette couleur fur la recette qu’en donne Néri.
Prenez vingt livres de fritte de cryftal une livre de groifils ou morceaux de verre blanc, deux livres d’étain calciné. Mêlez le topt enfemble : faites-le fondre & purifier.
Lorfque tout ce mélange fera fondu, prenez parties égaies de limaille d’acier pulvérifée & caicinée & d’écailles de fer bien broyées.
Mêlez ces deux fubftances , & les réuniffez enfemble en poudre impalpable. Mettez-en deux onces fur le verre fondu & purifié. Ce mélange le fera gonfler confidérablement.
Laiffez le tout en fufion pendant cinq ou fix heures de temps, afin qu’il s’incorpore par- faitement. Prenez garde de ne pas mettre . une trop grande quantité de la poudre indi- quée ; elle rendrolt le verre noir, au lieu de lui donner cette couleur d’un rouge foncé qui doit néanmoins être très-tranfparente.
Lorfque vous ferez parvenu a lui donner la couleur défirée, prenez environ fix dragmes
ufium préparé & calciné a trois fois.
Mêlez cette poudre dansle verre en fufion ,
& la remuez plufieurs fois. Des la troifieme ou quatrieme fois votre matiere paroïtra avoir pris un rouge de fang. Enfin après de fréquentes épreuves de votre couleur, fitót que vous la trouverez teile que vous la demandez, mettez-vous promptement a la travailler; autrement le rouge difparoitroit,
& le verre deviendroit noir. Pour obvier a eet inconvénient , il faut que le pot foit toujours découvert. Quand le verre aura pris une couleur de jaune obfcur, c’eft le moment qu’il faut faifir pour y ajouter la dofe pref- crite uftum. Pour lors votre verre de- viendra d’une belle couleur. Il faut encore que la matiere ne s’échauffe pas trop dans le pot, & qu elle ne demeure pas plus de dix heures dans le fourneau. Si dans eet intervalle la couleur venoit a difparoitre,
(a) Remarques de Kunckel, furie cinquante-huitieme Chapitre de Ne'ri,
on
'on Ia rétabliroit en y ajoutant de nouveau de la poudre d’écailles de fer (a)*
ftougeplus Prenez de la magnéfie de Piémont réduitè claic & Plus en poudre impalpable : mêlez-la a une quan- tianfparent. ^ga|e nitre purifié. Mettez calciner ce mélange au feu de réverbere pendant vingt-quatre heures ; ótez-le enfuite; édul- eorez-le dans Peau chaude; faites-le fécher; féparez-en le fel par des lotions répétées: la matiere qui reftera, ferade couleur rouge. Ajoutez-y un poids égal de fel ammoniac: humeélez le tout avec un peu de vinaigre diftillé; broyez-le fur Ie porphyre, & le laiffez fécher. Mettez enfuite ce mélange dans une cornue a long col & a gros ventre. Donnez pendant douze heures un feu de fable & de ïublimation : rompez alors la cornue; mêlez ce qui fera fublimé avec ce qui fera refté au fond de la cornue : pefez la matiere ; ajoutez-y en fel ammoniac, ce qui en eft parti par la fublimation. Broyez le tout, comme auparavant, après 1’avoir imbibé de vinaigre diftillé ; remettez-le a fublimer dans une cornue de même efpece; répétez la même chofe jufqu’a ce que Ia magnéfie refte fon¬due au fond de la cornue.
Cette compofition (plus propre aux pates & aux émaux qu’au grand verre) donne au cryftal & aux pates un rouge tranfparent femblable a celui du rubis. On en met vingt cnces fur une once de cryftal ou de verre. On peut augmenter ou diminuer la dofe felon que la couleur femblera Pexiger. II faut fur- tout que la magnéfie foit de Piémont & bien choifie (£).
Kunckel trouve ici une faute confidérable dans la tradudtion Latine de PItalien de Néri, en ce qu’elle prefcrit vingt onces de magnéfie préparée, fur une once de cryftal ou de verre. Après avoir confronté avec cette traduction Latine deux autres tradudions Allemandes de fon Art de la Verrerie , dont une pref¬crit une once de magnéfie préparée fur une once de cryftal ou de verre, & 1’autre une once de magnéfie fur vingt livres de cryftal ou de verre , il donne la préférence a cette derniere recette , comme au vrai fentiment de Néri. II trouve même cette derniere dofe trop forte. II croit qu’une demi - once de manganefe fuffit, & qu en fuppofant le fuccès de Popération, on aura une couleur très- agréable. II ne s’agit que de la bonne pré- paration de la magnéfie, conformément a fenfeignement de Néri, pour en obtenir une belle couleur de grenat. II affure même qu’il eft en état d’en montrer qu il a obtenue de cette maniere (c ).
Haudicquer de Blancourt prefcrit vjngt onces de cette magnéfie fufible fur une livre
de matiere en bonne fonte, ajoutant plus óu moins de magnéfiê jufqu a ce que la matiere foit au degré de perfection de la couleur du rubis (a )>
Je mets a Pécart les préparations des couleurs de rouge fanguin & de rofe dont on peut teindre des maffes de verre. Elles font plus dans Pordre des émaux & des pates que dans celui des verres a yitres.
On peut voir fur ces préparations les Chapitres 121 , 122, 124, 12^ , 127 &
128 de Néri. Je me contente de rapporter la recette qu’il donne au Chapitre 125?, a caufe de ce qu’elle a de plus précieux, quoique ie fuccès, comme Paffure Kunckel, en foit très-difficile & rare (b).
On diffout de 1’or dans de Peau régale Rouge tranf- que 1’on fait évaporer enfuite. On réitere cette opération cinq ou fix fois, en remet- tant toujours de nouvelle eau régale après chaque opération, ce qui donne une pou¬dre que Pon fait calciner au creufet jufqu’a ce qu’elle devienne rouge. Gela arrive au bout de quelques jours. Cette poudre mêlée peu a peu dans un cryftal ou verre en fufion & purifiée par de fréquentes extin&ions dans Peau, donne une fort belle couleur de rubis tranfparente au verre.
Merret remarque que Libavius (Livre 2. de fon premier Traité, Ghapitre 3j)femble avoir rencontré jufte en conjetlurant que cette couleur pourroit fe faire avec de 1’or.
Voici les termes de Libavius rapportés par Merret ( c): « Je penfe que 1’on pourroit » bien imiter la couleur du rubis, en mêlant »avec le cryftal une teinture rouge d’or » réduit en liqueur ou en huile par la dif- » folution ». La raifon qu’il en donne, c’eft que les rubis fe trouvent le plus fouvent dans les endroits ou il y a de 1’or; ce qui rend probable, felon lui, que Por s’y change en pierres précieufes.
Le favant, mais trop myftérieux Kunckel, n’ofe pas ici démentir Néri. Mais, fans fe mettre a découvert, il fe contente de dire qu’il faut quelque chofe de plus que ce qu’indique Néri pour que Por puiffe donnet au cryftal ou au verre une couleur qui tienne de celle du rubis.
Faites diffoudre de Por dans de 1’eau régale, Rouge cou- étendez la diffolution jaune qui en proviendra oe^r pourpre dans une grande quantité d’eau claire & pure: de CaiHus. ajoutez enfuite acemélangeune quantité fuffi- fante d’une diffolution d’étain, faite auffi par 1’eau régale & faturée (d) par plufieurs fois. II tombera quelque temps après au fond du
(a) Art de la Verrerie d’Haudicquer de Blancourt* Chap. CLXX.
(b ) Kunckel, fur le Chap, CXXIX de Néri.
( c) Merret, fur ce Chap,
xfd) Voy&L le Didionnaire de Chimie, par M, Mae- -Joker, Paris, 1766 , au mot Saturation.
Cc
Grummer dans fon Traité Sol non fine vefie KéfutStiOft ( *), s’efforce pour réfuter le fentiment 4e ce feu. d’Orfchall, a prouver par des expériences GrumLe^ que la couleur pourpre ne vient pas de For feul; qu’on peutla tirer de tous les autres métaux, & que c’eft a la magnéfie revivifiéa par 1’acide nitreux qu’on en eft redevabie.
Nous allons extraire de eet ouvrage ce qui me paroit faire le plus a mon fujet, fauf a 1’expérience qui eft le plus fur guide en matiere de Chimie, a s’affurer de la vérité des faits que Grummer rapporte, & a lui appliquer a lui-même la regie qu’il propofe en tête de fes opérations: Fide yjèd cui, vide.
11 convient d’abord que la grande beauté des émaux, que les Orfévres & les Email- leurs tirent de leur poudre d’or brune, avoit excit^ fa curiofité, & que, voulant fe mettre au fait de la préparation de cette couleur, il y avoit procédé de la maniere fuivante.
11 avoit fait diffoudre de For dans de F eau Premiere régale, il en avoit précipité la folution avec Experience, Fhuile de tartre, il avoit mêlé la matiere précipitée dans une grande quantité de verre blanc de Venife, il avoit mis le tout en fufion; en fuivant ce procédé, il affure qu’il eut un fort beau verre pourpre ou couleur de rubis. Le fuccès le détermina a une feconde expérience.
II prit des petits morceaux de verre blanc Seconde ou cryftallin, exadement pilés, auxquels il ExPenencc,i joignit un peu de borax (b)$ il mit le tout dans un creufet; il y ajouta un peu de folu¬tion d’or dans 1’eau régale ; il fit fondro doucement cette compofition , & obtine par ce procédé un verre pourpre ou couleur de rubis.
Encouragé par ce nouveau fuccès , il Troifieme entreprit la vitrification de Fargent, qu’il E3CPerience* fit diffoudre dans 1’eau-forte jufqu’a fatura- tion $ il y verfa de Fefprit d’urine jufqu’a la ceffation de 1’effervefcence; il fit bouillir ce mélange ; il en obtint une feconde diffo-lution de la plus grande partie de Fargent qui avoit été précipitée ; il humeéta des morceaux de verre pilés, mêlés d’un quart de borax calciné avec la folution ; il fit fondre ce mélange a un feu modéré, & obtint un beau verre pourpre ou couleur de rubis. L’opération devenoit moins cou- teufe; il voulut 1’effayer fur d’autres métaux.
II fit diffoudre du plomb dans de Fefprit Quatóeme de nitre; il précipita 1a folution avec une Experience, quantité fuffifante d’efprit de fel ammoniac , fans qu’il fut befoin d’une feconde folution dans le diffolvant, comme a Fargent; il prit ■
ce Traité au rang de ceux que ce Savant a : il eft a Ia page $43 , & eft precede d’un autre
qui a pour titre , Heliofcopium videndi fine vefle fol&m Chimicum.
. (b) Vdyez (ut le Borax Sc fes propriétés , les Dic- tionnaires de Trévoux , d’Hiftoire Naturelle & de Chimie.
qu’elle vient plutót d’une tutte fubftance riche en couleur. Nous allons le voir dans le procédé fuivant ou Ü enfeigne a prépa- rer une belle couleur de pourpre & dé rubis par le moyen du nitré.
Prenez, dit-il, des morceaux de verre blanc ou de verre tendre de Venife, qui produitle même effet, a volonté; redui fez» les en poudre; mêlez-y un quart, un hui» tieme, ou encore moim de nitre purifié; vous pourrez auffi y joindre un peu de borax calciné, pour en rendre la fufion plus aifée. Faites fondre ce mélange d’une maniere convenabie ; vous obtiendrez un verre pourpre de la couleur des plus beaux rubis, qui ne le cédéra en rien a tous ceux qu’on auroitfaits fuivant les procédés ci-deffus.
Grummer s’attache ici a répondre aux différentes difficultés que peuvent lui propo- fer ceux qui fe font imaginés jufqu’a préfent que c’eft de For que procédé la couleur pour¬pre. II garantit le fuccès de fes expériences contraires a ceux qui paroitroient en douter$ en leur répliquant que ces mêmes expérieiv ces cent fois réitérées en un jour ne manque* roient jamais. .
C’eft, prétend - il, a la magnéfiequi eft contenue & cachée dans le verre blanc ou lé verre tendre de Venife , reffufcitée & rani* mée par un fel magnétique qui contient une teinture analogue, que cette cou’eur pour- .pre eft donnée.
'b Après s’être étendu fur les propriétés dé la magnéfie dans Ia vitrification , il paffe a d’autres objections fondées fur les expérien¬ces dans lefquelles il n’eft point entré dé nitre. On peut confulter fa réponfe dans fon ouvrage même (a), enfuite de laquelle il paffe a la dixieme expérience.
II y démontre que la précipitation ou Ia folution de. For, quand on la joint a du verre dans lequel on n’auroit pas fait entrer origi- nairement la magnéfie, ne donne point de couleur pourpre. Faites, dit-il, du verre fans magnéfie: on peut fe fervir pour cela Experience, de pierres a fufii pilées & mêlées avec une partie égale de fel de tartre ou de potaffe ; on fait fondre fuffifamment ce mélange ; on le tire enfuite du pot, & on le verfe pour en former des pains , tels que ceux de verre tendre de Venife, On le pile dans un mortier de fer bien net, on le tamife avec foin. Ce verre préparé de la maniere qu’on vient de décrire porte a Fextérieur la même apparen- ce que celui dans lequel la magnéfie eft entrée : mais fi I on vient a Femployer de 1’une des manieres qui ont été indiquées, foit avec or, foit fans or , jamais il ne fera polfible d’obtenir une couleur pourpre de rubis.
(a) Voysz les pages $5? 8c 5*54 de 1’Art de la Ver* rerie de M. le Baron d’Holback,
Pour prouver aux curieux que dans les compofitions de cette couleur avec 1 or , ce même or ne fe vitrifie point 9 maïs ne fait que fe mêler au verre, il prétexte la diflipation qui fe fait peu a peu de la couleur dans un mélange de cette efpece a un degré de feu trop a&if ou de trop de durée, L’or, dit-ii, commence d’abord a former une pel- licule a la fur face de la matiere fondue, & enfin tombe au fond du creufet. II ajoute que la même chofe arrivera a la compofition du verre qu’ii vient d’indiquer, avec cette dif- férence qu’étant dépouillé de la magnéfie , il ne fe colorera point du tout.
De ces procédés clairs & circonftanciés qu’il vient de donner, il fe flatte que chacun pourra conclure que la couleur pourpre du verre ne doit point fon origine a la réduélion de 1’or qu’on y auroit mêlé au commencement de 1’opération, maïs a la magnéfie qui étoit entrée dans la compofition du verre.
J’ajóute iel quelques obfervations fur le verre rouge , que je dois a 1’expérience que j’ai acquife par les réparations dans différentes Eglifes, de plufieurs vitraux de vltres peintes anciennes & modernes: & après avoir remar- qué, avec les plus habiles Maïtres dans 1’Art de la Verrerie que j’ai confultés, que, pour donner au verre différentes couleurs & les nuances que 1’on défire, il faut fouvent eflayer fa matiere, augmenter ou diminuer les dofes des ingrédients colorants, hater ou arrêter l’a&ivité du feu; après avoir fur-to ut fait obferver que la couleur rouge demande plus de foins, d'intelligence & d’expérience qu’au- cune autre, comme plus fujette a noircir & a prendre une opacité qui lui öte fa tranf- parence, ou enfin a perdre fa couleur qui s’efface totalement a un trop grand feu ; je dis i°, qu’entre les verres rouges des plus anciens vitraux il s’en trouve peu de celui que les Peintres fur verre nomment irnpro- prement verre naturel, terme qu’ils ont adop- té pour diftinguer un verre teint dans toute fa maffe de celui qui n’eft coloré que fur une furface, &dont nous traiterons dans le Cha- pitre fuivant: 20, que pour peu qu’il s’en trouve, il eft plus mince de plus de moitié que le verre des autres couleurs : 30, que deux morceaux de ce verre rouge naturel appliqués 1’un fur 1’autre préfentent a la vue une couleur plus noire que rouge. J’en augure que la difficulté du fuccès dans la teinture des maffes de verre en rouge porta les Peintres Vitriers a faire, ou par eux-mêmes ou par les Venders, 1’effai d’un émail rouge fondant, qui , réduit en poudre impalpable & détrem- pé a 1 eau , étoit étendu & couché avec art fur le verre deftitué de couleurs, par le fecours du pinceau ou de la broffe, en autant de couches que la nuance défirée le demandoit; que ces tables ? ainfi enduites de ce vernis
a prouver qu*on faifoit du verre de couleur dans nos Verreries de France, même a la fin du dernier fiecle.
J’ai confervé deux tables de ce. verre de couleur d’environ un pied de fuperficie cha- cune, Tune bleue , 1’autre verte , que mon
pere fit venir de Rouen après le décès du fien.Elles montrent aflez par leur contexture d’un verre dur & épais, & leur furface ondée & raboteufe , combien 1’Art de la Verrêrie dans ce genre étoit déchu de 1 (kat ou il étoit dans le feizieme fiecle.