CHAPITRE IV,
Recettes des Emaux colorants dont on fe fert dans la Peinture fur
Verre acluelle; avec la maniere de les calciner, <3C de les
préparer d ètreportés fur le Verre que Von veut peindre.
Des étnaux JE mets au rang des Emaux propres a pein-
dont^on fe ^re ^ur verre > ceux dont Kunckel dit (a') que fert dans la. les fecrets lui ont coüté beaucoup de peines
terreaSuel- & de dépenfes dans fes voyages en Hollande, ie. & lui ont été communiqués par ceux qui tra-
vailloienta la Fayence, & qui} jufques-la, en avoient fait des myfteres. Car, en même temps qu’il déclare qu’entre ces différents fecrets il y en a de eommuns aux Peintres fur verre & aux Ouvriers en Fayence, il ajoute que les uns & les autres peuvent compter fur ces fecrets avec d’autant plus de fureté 9 qu’il les a vus pratiquer tous de fes propres yeux ,
& qu’il en a effayé un très-grand nombre avec , fuccès. J’ai d’ailleurs appris de mon pere que travaillant de Peinture fur verre au com¬mencement de ce fiecle pour les frifes & ar- moiries des vitraux de FHótel Royal des
Invalides, il fit connoiffance avec M. Trou, alors Entrepreneur de la Manufadure de Fayence & Porcelaine de 'Saint - Cloud; qu’ils firent fur les différents fecrets de leurs entreprifes des effais réciproques de leurs Emaux particuliers avant de s’en communi- quer les recette^, & que le fuccès fut auffi prompt & auffi heureux fur Fune & 1’autre matiere. <
Mais aux recettes de Kunckel, je joindrai celles enfeignées parFélibien, Haudicquer de Blancourt & autres, celles qui m’ont été tranfmifes en héritage , que je nommerai mes
fecrets de familie 9 enfin celles que ces Récoï- lets Peintres fur verre 9 dont j’ai parlé dans ma premiere Partie (a)rapportent dans leur Manufcrit > précieux fur-tout pour la mani-pulation qui y eft déduite avec étendue & clarté.
II eft bon d’obferver d’abord que les ma- Des mafie-
tieres néceffaires pour la compofition des res ciul ,en" TS , r rr o. 11 trent dans
Emaux colorants dont on le lert actuelle- ieUr compo- ment dans la Peinture fur verre , font tres- analogues & même quelquefois femblables a celles que nous avons indiquées dans les Cha- pitres précédents. On y emploie les pailles ou écailles de fer qui tombent fous les enclu- mes des Forgerons; mais on préfere celles qui tombent fous le marteau des Maréchaux; le fablon blanc dit d’Etampes, ou les petits cailloux de riviere les plus tranfparents , tels que ceux de la Loire; la pierre a fufil la plus mure, c’eft-a-dire, la plus noire ; la miné de plomb ; le falpêtre; la rocaille dont nous avons donné la préparation (£), mais quï nous vient de Hollande toute préparée. Cette compofition n’entre dans les matieres nécef- Lires pour nos Emaux, qu’en qualité de fon-dant. On peut ranger dans la même claffe la glace de Venife, les ftras & les criftaux de Bohème. *
Entre les fubftances minérales qui fervent a colorer ces Emaux, on compte 1’argent 9
(a) Livre II, de la feconde Partie, ajoutée par Kunc¬kel a 1’Art de Ia Verrerie de Ne'ri , pag. 407, de Ia Traduction de M. le Baron d’Holback.
PEINT. SUR VERRE. Ii. Part.
(a) Voyez au Chapitre XVII de la premiere Partie da ce Traité, Partiele des Freres Maurice öc Antoine.
(b) Ci-devautChapitre III,pag. 106,
Ff _
114 DART DE LA
le harderic ou ferret d’Efpagne, le péri- gueux ou la magnéfie ou manganefe, 1 ochre calcinée au feu, le gïP^e °u P atre transpa¬rent , les litharges d’or & d argent, qui font les fcories ou écumes provenants de la puri¬fication de ces métaux par le plomb.
Entrons a préfent dans le détail de nos recettes, & commencons par la couleur noire.
Les recettes de Kunckel pour la compofi- tion de cette couleur, étant les mêmes que celles qu’il a enfeignées pour colorer une table de verre en noir, je paffe a celle qui a été prefcrite par Félibien.
Prenez des écailles de fer , broyez - les bien pendant deux ou trois heures au plus fur une platine de cuivre avec un tiers de rocaille; puis mettez la couleur dans quel- que vaiffeau de terre verniffée ou de fayen- ce , pour la garder au befoin. Ce noir eft fujet a rougir au feu. II eft bon d’y mettre un peu de noir de fumée en le broyant avec de Peau claire, ou plutót un peu de cuivre brulé ou d’rf’i uflum, avec la paille de fer; car le noir de fumée n’a pas de corps (0).
La recette donnée par M. de Blancourt , ne differe de celle-ci que dans la di£tion. Mais en voici une autre un peu différente 9 prefcrite par mes fecrets de familie.
Prenez quatre portions de rocaille jaune,
& deux de pailles de fer; broyez le tout fur une plaque de cuivre un peu convexe pen-dant quatre heures au moins, puis mêlez y, en broyant, quelques grains de gomme d’A- rabie, a proportion de la quantité de cette couleur que vous voudrez préparer.
Nos Religieux Artiftes étendent davantage la manipulation de ces Recettes, dont ils admettent les fubftances & les dófes. Ils veu- lent d’abord que parmi les écailles que 1’on xamaffe fous 1’enclume du Serrurier ou du Coutelier, on choififfe les plus lu’ifantes & les plus minces, en prenant foin de ne les pas écrafer: les plus groffes n’étant point affez brülées, feroient trop dures a piler & a broyer. Nétoyez-les, difent-ils, bien foi- gneufement fur une affiette, pour en féparer routes fortes d’ordure & de faleté; pilez-les enfuite dans un mortier de laiton bien net & qui n’ait contraÖé aucune graiffe. Pour maintenir le mortier dans eet état, ils con- feillent, avant de s’en fervir, d’y piler (tant pour cette couleur que pour d’autres) des morceaux de vieux verre que 1’on. y réduit en poudre, de frotcer 1’intérieur du mortier de cette poudre, & de 1’effuyer prompte- ment avec un linge blanc. Les écailles étant réduites en poudre, on les paffe au travers d’un tamis de gaze de foie. On pile de nou-
(a) Félibien, Principes d’Architecture, ötc. Paris,
, 254. •
PEINT URE
veau le réfidu , que 1’on paffe de même. Plus les écailles font réduites en poudre fine 3 moins elles font dures a broyer.
Quant a la rocaille, après avoir obfervé que c’eft elle qui, comme fondant, fait pé- nétrer & attire a foi les couleurs, ils veulent qu’on la pile comme les écailles de fer, 6t qu’on la réduife en poudre aufïi fine.
Après avoir mêlé ces poudres, il faut les broyer avec de 1’eau bien claire & bien nette fur un bajfin ou platine de cuivre rouge. lis fe fervoient, pour broyer, d’une molette faite d’un gros caillou plus dur que le marbre, qui s’ufe trop vite fur le cuivre; ou ils avoient une molette de bois dont le deffus'étoit garni d’une plaque d’acier ou de fer, d’un demi- pouce au moins d’épaiffeur. Pour que la cou¬leur ne put gagner le bois en broyant, cette plaque 1’excédoit de quatre a cinq lignes, & elle étoit retenue dans cette emmanchure par une vis qui paffoit a travers de lune & de 1’autre, & étoit bien rivée & limée au niveau de la plaque. Pour raffembler la couleur, a mefure qu’ils la broyoient, ils avoient une amajjette de cuir fort & maniable. La corne , difent ils, ne vaut rien a eet efïet, paree qu’elle fait tourner la couleur. Ils n’en broyoient jamais beaucoup a la fois, paree qu’elle fe broie mieux en petite quantité. Pour connoitre fi elle étoit affez broyée, ce qui demande au moins trois grandes heures, ils en mettoient un peu fous la dent; s’ils la trouvoient douce, c’étoit figne qu’elle étoit affez broyée: mais lorfqu’elle eiwit encore fous la dent, ils continuoient de broyer juft qu’a ce qu’elle fut devenue tres-douce.
Sur une quatrieme partie du poids de ces? poudres bien mêlées enfemble & broyées fur la platine, ils prefcrivent, en broyant, fur la fin, 1’addition, comme d’un pois a man¬ger , de gomme d’Arabie bien feche & très- blanche, & moitié autant de fel marin que de gomme , ce qui la tient féchement, & la rend plus aifée a broyer. On ne doit broyer cette addition de fel & de gomme, que juf- qu’a ce qu’elle ne crie plus fur la platine.
Si vous voulez, ajoutent-ils, avoir tou- jours de la couleur noire prête a employer, broyez-la fans gomme, puis la mettez fécher fur un morceau de craie blanche , qui en retirera 1’eau. Serrez-la promptement; & lorfque vous voudrez 1’employer , vous la repilerez & la rebroyerez avfcc de 1’eau claire pendant peu de temps , y ajoutant, a la fin , la gomme & le fel comme deffus. Vous la leverez enfuite de deffus la platine avec 1’amaffette, & la ferez tomber avec un liteau de verre, qui 1’en détachera, dans ie plaque- fein de cuivre ou de plomb', plus fur fon bord que dans le fond; puis vous verferez fur cette couleur du lav'13 ou eau de gomme, dont voici la préparation.
Prenez fix ou fept grains de gomme d’A-
SUR VERRE. II. pARfiÉ. tij?
abie bien feche £ mêlez-y fix ou fept gouttes d’urine & de votre couleur noire autant qu’il en fera befoin pour re.ndre ce lavis fort clair. Pour bien faire , il faut que la couleur noire foit dans un petit baflin de plomb, toujóurs couverte de ce lavis, afin qu’elle ne fe deffe- che pas fitöt. Ge lavis fert pour la premiere ombre & la demi-teinte (a).
Mes fecrets de familie fubftituent, a la place des fix ou fept gouttes d’urine, fix ou lept grains de fel 9 ce qui eft plus convena¬ble & plus propre, dans le cas oü font les Peintres fur verre tfappointer ou preffer leurs pinceaux fur le bord de leurs levres, pour les tenir pointus.
3Nos Récollets, fans donner la dofe de la gomme, difent d’en piler & de la broyer tant foit peu, de la mettre dans une bou- teille oü Ton fera entrer telle quantité d’eau que 1’on voudra , plutót moins que trop. Pour la garder toujours , ajoutent-üs, il faut 1’entretenir d’eau, finon elle fe fécheroit & deviendroit comrae du favon, quand il fau-droit s’en fervir pour broyer, & dès-lors fe trouveroit hors de fervice.
Il ne faut employer au furplus la gomme dans aucune couleur, que lorfque la couleur eft fuffifamment broyée.
Quand vous voudrez travailler 9 conti- nuent-ils, panchez le plaque-fein, afin que Peau gommée s’incline toujours vers le bas; mouillez enfuite votre pinceau dans 1’eau; trempez-le dans la couleur épaiffe; effayez-en fur un morceau de verre; adouciffez - la avec le balai. Lorfque vous voudrez reconnoitre fi votre couleur eft feche , vous paflerez la langue deffus. Si a la troifiemc fois la cou¬leur ne s’efface pas , travaillez - en; fi elle s’efface, remettez-y de l’eau de gomme. Si elle ne tenoit pas encore, il faudroit y faire diffoudre gros corame un pois de borax de roche.
Enfin ils terminent eet article par répéter quil ne faut jamais tant broyer de noir a la fois, & qu’il vaut mieux recommencer plu- fieurs fois, paree que cette couleur, qui eft la principale de toutes par le deflin qu’eile exprime feule, & qui fert de fond a toutes les autres, s’emploie mieux lorfquelle eft fraichement broyée.
Les Recettes enfeïgnées par Kunckel (£) pour faire les couvertes blanches , quoique mifes au rang des Emaux communs aux Pein- tres fur verre & aux Fayenciers, ayant fingu- liérement trait a la Fayence & a la Peinture en émail, je les paffe ici fous filence, êc me contente de celles qui fuivent.
Prenez du fablon blanc ou d’Etampes, ou de petits cailloux blancs tranfparents; met-
(«) Félibien , ib. pag* 15*8.
( b ) Act de Ia Venetie du baron d’Holback, pag, 41c*
tez-les rougit au feu dans une cuiller de fer t jettez-les enfuite dans une terrine d’eau froida pöur les bien calciner , & réitérez plufieurs fois; faites-les fécher : pilez-les bien dans un mortier de marbre avec un pilon de mêmè matiere ou de Verte ; broyez-les fur le cail- lou ou fur le marbre, pour les réduire en poudre impalpable. Mêlez a cette poudrê Une quatrieme partie de falpêtre ; mettez le tout dans un creufet : faites bien calciner. Pilez de nouveau; faites calciner pour une troifieme fois a un feu plus vif que celui des calcinations précédentes. Retirez le tout du creufet, & gardez-le pour le befoin.
Pour vous en fervir a peindre, vous en prendrez une once; vous y ajouterez autant de gypfe, après i’avoir bien Cuit fur les char- bons, de maniere qu’il foit très-blanc, 6c qu’il fe mette en poudre, & autant de ro-caille. Vous broyerez bien le tout enfemble fur une platine de cuivre un peu creufe , avec une eau gommée, & cela jufqu’a ce qu’elle foit en bonne confiftance pour être employée dans la Peinture, & votre blanc fera préparé (0).
Cette Recette de M. Haudicquer de Blancourt, eft conforme a celle donnée par Félibien (£)» M. 1’Abbé de Marfy (ó-)ne demandeque deux calcinations.
Mes fecrets de familie difent de prendre } pour faire cette couleur, deux portions de cailloux blancs, que Ton aura fait calciner au creufet, & éteindre dans l’eau froide ; deux portions de petits os de pieds de mou- tons brülés & éteints de même, & deux portions de rocaille jaune, de broyer le tout comme le noir, & d’y mêler de la gomme d’Arabie.
Dans un cas preffant oü le temps néceffaire pour la préparation de ces compofitions manqueroit, on peut employer pour le blanc* en Peinture fur verre, la rocaille jaune feule , en la bröyant finement, & la lavant a plu¬fieurs reprifes après 1’avoir broyée. Ce blanc,’ a la vérité, ne fera pas d’une fi grande blan¬ch eur ; mais il ne fera pas fans effet. Je l’aï vu pratiquer ainfi par mon pere, lorfque le blanc plus compofé lui manquoit, ainfi que le loifir d’en préparer. Quelquefois pour donner a la rocaille plus de blancheur, il y ajoutoit moitié de fon poids de gypfe, brülé & blanchi comme on a dit, c’eft-a-dire, fur deux onces de rocaille une once de gypfe , qu’il broyoit enfemble fur 1’écaille de met auffi long-temps que le noir & de la même maniere.
Nos Artiftes Religieux n’emploient, pour faire le blanc, que la rocaille toute pure
(a) Haudicquer de Blancourt, Chap. CCI1I de fon Art de Ia Verrerie.
(b) Félibien, Principes d’Architecture > pag. 1f4-
(c) Di&abr, de Feint. & d’Arehit, Paris, 1746, pag;
pilée & broyée, non fur un baffin de ou¬we , ce qui changeroit le ton de la couleur, mais fur une table de glace ou de gros verre de Lorraine, d’environ un demi-pouee d é- paifleur, montée a-plomb fur un chaflis de boïs, & cimentée avec le platre, Leur mo- lette étoit de verre, telle que les UJJoires dont les Blanchiffeufes fe fervent pour re- paffer certaines pieces de linge. Cette cou» leur, difent-ils, eft fujette sf noircir au feu, a moins qu’elle ne foit couchée fort déliée.
Quant a leur maniere de préparer ïa ro¬caille , ils ne font qu’ajouter au fable blanc, ou aux cailloux luifants & tranfparents, trois fois autant de mine de plomb rouge, & une demi-fois de falpêtre rafiné, & ils ne font paffer le tout qu a une calcination a un feu vif de cinq quarts - d’heure feulement, a caufe de la quantitd de mine de plomb qui y entre pour en hater la fufion. Ils connoiffent qu’elle eft fuffifamment liqudfide, lorfque le filet de matiere, qu’ils tirent du creufet avec le bout d’une verge de fer quand il eft re- froidi, paroit glacial & uni.
Ils ajoutent une obfervation, qui eft plus de pratique pour les Emailleurs que pour les Peintres fur verre, afin de donner a la ro¬caille toutes fortes de couleurs.
Pour la rendre blanche, ils y mettent, lorfqu’elle eft calcinde, un peu de cryftai pulvdrifd,
Pour lui donner une couleur verte, ils vuident le creufet fur du cuivre jaune.
Pour la rendre rouge, fur du cuivre rouge.
Noire, fur du marbre noir.
Pour la rendre entidrement verte , ils jet- tent , en fondant dans le creufet, une pincde de paille de cuivre rouge.
Pour la rendre d’un violet foncd, un peu de pdrigueux.
Plus noire , un peu de paille de fer.
Bleue , un peu d’azur en poudre.
Enfin ils recommandent les cailloux blancs prdpards & calcinds, par prdfdrence au fable blanc, non-feulement paree que ce dernier ne fe trouve pas par-tout comme eux , mais encore paree que ceux-ci lui donnent une furface plus glaciale & plus liffe ; & parmi ces cailloux, ils veulent qu’on choififfe les plus luifants & les plus tranfparents , qu’il ne s’y trouve pas de veines rouges ou noires, & qu’ils ne tiennent pas de la nature des pierres a fufil.
Pour faire le verd, preilez j fuivant Kunc- kel , une partie de verd de montagne {a},
(a) Le verd de montagne eft la même fubftance que M. Valmont de Bomare ( Did. d’Hift. Natur.) de'figne fous le nom d Ochre de cuivre , qu’il dit être un cuivre dif- fous & précipité dans 1’inrérieur de la terre, ou on la trouve en pouffiere ou en morceaux. 11 y en a beaucoup dans les montagnes de Kernaufen en Hongrie. On sen fert paxticulie'rement pour peindre en verd d’herbe.
une partie de limaille de cuivre , une partió de minium, une partie de verre de Venife; faites fondre le tout enfemble au creufet, vous aurez un très-beau verd : vous ferez même le maitre de vous en fervir fans 1’avoir fait fondre.
Ou prenez deux parties de minium, deux parties de verre de Venife, une partie de limaille de cuivre; faites fondre ce mélange, broyez & vous en fervez.
Ou prenez une partie de verre blanc d’AI- lemagne , une partie de minium, une partie de limaille de cuivre; faites fondre ce mé¬lange ; broyez enfuite la mafte : prenez deux parties de cette couleur, & y ajoutez une partie de verd de montagne; broyez de nouveau, vous aurez un très-beau verd (a).
Suivant Félibien, le verd fe fait en pre- nant de l’<ey uftum ou cuivre brülé une once , de fable blanc quatre onces, de mine de plomb une once: on pile le tout enfemble dans un mortier de bronze; on le met pen¬dant environ une heure au feu de charbon vif dans un creufet couvert : on le retire; lorf- qu’il eft refroidi, on le pile dans le même mortier ; puis y ajoutant une quatrieme par- tie de falpêtre; on le remet au feu jufqu’a trois fois, & on 1’y laiffe pendant deux heu- res & demie ou environ. On tire enfuite la couleur toute chaude hors du creufet; car elle eft fort gluante & mal-aifée a avoir. Il eft bon, avant 1’opération, de lutter les creu-; fets avec le blanc d’Efpagne , paree qu’il s’en troyve peu qui ayent la force néceflaire pouc réfifter au grand feu qu’il faut pour ces cal-cinations (£).
La Recette donnée par M. de Blancourt, admet les mêmes matieres, mais a des dofes différentes. Prenez, dit-il, deux onces d’^s uftum, deux onces de mine de plomb, 6c huit onces de fable blanc très-fin; pilez 6c broyez bien le tout dans le mortier de bron¬ze ; ajoutez-y une quatrieme partie de foil poids de falpêtre, les broyant & les mêlant bien enfemble. Mettez le tout dans le creu¬fet , couvert & lutté , au même feu , pen¬dant pres de trois heures; ótez enfuite votre creufet du fourneau ; tirez-en tout aufli-tót la matiere avec une fpatule de fer rouge, paree qu’elle eft fort gluante. Tout le fecret, remarque-t-il, pour bien faire cette couleur, dépend de la calcination des matieres, & d’avoir des creufets luttés d’un trés - bon lut (c), paree qu’ils reftent pendant long- temps expofés a un feu vif (d).
Selon mes fecrets de familie , on dolt, pour faire cette couleur , prendre un poids
O) Art de la Verrerie du Baron d'HoIbacfc ypag, 420. (è) Félibien, Princip. d’Architect.pag. a$7.
(c) Vcye% Ie Diétionnaire de Chimie , déja cité au mot Lut.
(d) Art de la Verrerie d’Haudicquer de Blancourt, Chap. CCIX.
de
SUR VE R R
He rhinë de plomb y un poids de pailles de cuivre‘, & quatre poids de cailloux blancs: faire d’abord calciner le tout fans falpêtre , laiffer refroidir y piler au mortier de. bronze y calciner une feconde fois en ajoutant une quatrieme partie de falpêtre, laiffer refroidir de nouveau, piler encore, recalciner une troifieme fois en mettant de nouveau falpê¬tre , le broyer pour s’en fervir.
Ou prenez un poids de mine de plomb rouge ou minium, un poids de limaille de cuivre jau¬ne, que vous ferez premiérement calciner dans unfour de Verrerie ou de Fayencerie. Vous pilerez enfuite & pafferez par un tamis bienfin; puis vous prendrez quatre fois autant de cail¬loux calcinés & pilés trés-fin.Vous mettrez le tout enfemble dans un creufet de terre bien net & le ferez calciner pendant deux heures a un pareil fourneau, aprèsTavoir tamifé par un tamis fort fin : vous pilerez & tamiferez de nouveau ; vous y mêlerez une troifieme partie de falpêtre ; vous ferez recalciner le tout encore deux heures : vous pilerez & tamiferez de nouveau; puis y ajoutant une huitieme partie de falpêtre , vous calcinerez votre compofition pour la quatrieme fois , óc vous verrez merveille.
Cette recette fort ufitée par mes aïeux, très-voifins de la Fayencerie de Rouen, & par mon pere dans celle de Saint-Cloud 9 effc très-fondante.
L’expérience qui nous apprend que le mélange du jaune & du bleu donne une couleur verte , a fourni aux Peintres fur verre 1’idée d’employer quelquefois ces deux couleurs pour en faire des verds de différents tons , & fur-tout du verd de terraffe : voici comment ils s’y prennent. Après avoir cou- ché du cóté du travail (c’eft-a-dire , du cóté ou le defïin, fes ombres & fes clairs font tracés fur le verre avec la couleur noire ); après avoir couché, dis-je, la couleur bleue quils veulent rendre verte, ils couchent. de jaune fur le revers de la piece de verre, c’eft-a-dire, fur le cóté oü elle n’eft point travaillée, 1’endroit quils veulent faire pa- roitre verd. Cet ufage donne, après la re- cuiffon , des différentes nuances de cou¬leur verte, a proportion que 1’une ou 1’au- tre de ces deux couleurs ont été couchées plus ou moins épaiffes.
Nos Récollets fuivoient exa&ement pour Ia couleur verte le premier des procédés que je viens d’indiquer d’hprès mes fecrets de familie : voici ce quilsy ajoutent. Pour don- ner le verd a vos feuillages ót le rendre un peu plus gai & plus tranfparent, couchez de jaune foible derriere le travail , c’eft- a-dire , fur le cóté oppofé a la peinture : pour avoir un verd foncé , couchez de jau¬ne plus fort.
Kunckel s’étant beaucoup étendu dans fes
PEINT. SUR VERRE. IJ, Part.
(A) Voyez ci'defliisj fag. 208 , la maniere de Ie pre¬parer.
(£) Art de la Verrerie du Baron d’Holback, pagi 4x2.
Haudicquer de Blancourt, Chap. CCVI.
(d) Félibien, Princ. d’Archif. pag- 157.
Gë
n8
le pourpre & le violet fe font de meme que le verd , en changeant feulement la pad¬ie de cuivre en d’autres matieres; favoir pour 1’azur ou le bleu en fanre , pour le pourpre en périgueux ( a); & pour le vio¬let en faffre & périgueux, a mêmes dofes, autant de 1’un que de 1’autre (b)'.
Mes fecrets de familie en difent davanta- ge, & donnent fur cette couleur les trois recettes fuivantes.
Prenez trois onces de bleu d’émail, du meilleur qu’on tire de la Saxe par ia Hollan¬de; ajoutez-y une once & demie de foude de Genes ou d’Angleterre ( qui néanmoins nous vient meilleu're d’Alicante en Efpagne ) : mettez le tout calciner a un fourneau de Verrier, de Fayencier ou d’un Potier de terre. Les calcinations réitérées rendront eet émail plus fondant. On peut en ufer com- me au verd, quoique deux calcinations puif- fent fuffire pour rendre cette couleur fon¬dante.
Autre, Prenez du fel Gemtne (c) , trois onces du bleu d’émail de Hollande , envi¬ron la quatrieme partie de falpêtre 6c au¬tant de borax. Mettez le tout bien pilé & mêlé enfemble calciner dans un creufet : vous le laiflerez refroidir; vous pilerez de nouveau dans le mortier de bronze; vous y ajouterez une quatrieme partie de falpêtre, autant de borax, & ferez calciner une fe- conde fois; ce qui fuffira.
Autre, Prenez une livre d’azur ou bleu de Cobalt (d), une quatrieme partie de fal¬pêtre , une femblable partie de cryftal de Venife ( auquel on peut fubftituer celui de Bohème), une fixieme partie de mercure (e),
(a) Le périgueux, ou pierre de Périgord, en Iatin Lapis Petracorius, eft une fubftance métallique ou pierre pefante , compa&e, noire comme du charbon , difficile a mettre en poudre, qui relfemble beaucoup a Faimant tant par fa couleur que par fa pefanteur. Elie a été ainft nommée parmi nous , paree que la premiere a été trou- vée en terre perdue a deux lieues de Péroufe dans Ie Périgord. Elie eft a tous égards une forte de manganèfe, & la mêrne que les Anciens nommoient magnéfie , qu’ils confondoient même avec Faimant, a caufe de leur ref- femblance. La manganèfe fe trouve en plufieurs mines en Angleterre 8c dans le Dauphiné. On en apporte auffi d’Allemagne. La meilleure vient du Piémont, quoiqu’il y en ait auffi du cöté de Viterbe, qui eft parfaitement bonne. 11 eft encore une forte de périgueux, qui eft la plus ordinaire, mats poreufe, d’un noir jaunatre, facile a caffer 8c difficile a mettre en poudre, qui n’eft qu’u- ne efpece de fcorie de fer ou de raacherer. Cette der- niere n’eft nullement propre a notre preparation. Diél. de Trév. 8c d’Hift. Natur.
(b) Cette obfervation de Félibien, peut fervir de fupplément a Fomiffion que nous avons remarquée dans ie Chapitre précédent,pag. 109, avoir été faite par Kun¬ckel , des recettes propres a colorer des tables de verre nud en violet 8c en pourpre fondant.
( c) Voyez fur le fel Gemme, qui eft un foffile, M. Valmont de Bomare, au mot Sel, dans fon Diêtionn. d’Hift. Natur.
(d) Le cobalt ou faffre font une même chofe. Foyez Ia maniere de le préparer dans FArt de la Verrerie de JVï- le Baron d’Hoiback , pag. 589 & fiiiv.
(e) Le Mercure s'amalgame (s’allie) très-bien avec Ie bifmuth. J^oyez fur les propriétés du Mercure, le Dic- tionnaire de Chimie de M. Macquer aux mots Mercure t Amalgame, Alliage.
autant d’étain de glace ou bifmuth (d)5 & autant de bon borax de Venife. Faites calciner le tout a un feu tres vif, pendant deux ou trois heures, & vous aurez un très- beau bleu & très-fondant. ■
J’ai vu mon pere tirer des effets mer- veilleux de ce bleu, dont il tenoit le feeree de fes aïeux.
Nos Artiftes Religieux ont des recettes pour cette couleur qui leur font propres.
Prenez, difent-ils, une once de mine de plomb rouge, fix onces d’azur en poudre grofliere & foncée {b}, & deux onces de fal¬pêtre rafiné »
Ou quatre onces d’azur d’émail (c), & une once d’aigue-marine (</) .•
Ou fix onces d’azur de mer (e), deux on¬ces de falpêtre rafiné, & demi-once de borax de Venife :
Ou deux onces d’azur d’émail (ƒ) , autant d’aigue-marine , & une once de falpêtre :
Quelque recette que vous choififiiez, pi-
(a) Le bifmuth ou Fétain de glace eft un demi-mé- tal ou un métal imparfait. On en trouve beaucoup en Saxe, dans les mines de Sehnéeberg8c de Freyberg, ainft que dans toutes les mines d’oü Ton tire le cobalt. La vraie mine de Bifmuth contient i°, beaucoup d’arfenic; 2f°, une partie femi-métallique ou réguline; 30, une ter¬re pierreufe 8c vitrifiable, qui donne une couleur bleue au verre. Le bifmuth facilite confidérablement la fonte des métaux qu’il divife 8c pénétre. Lorfqu’il a été fon- du avec eux, ces métaux deviennent plus propres a s’a- malgamer avec le mercure ou vif-argent. Quand Ie bif¬muth eft en fonte , il produit, ainft que le cobak, qui 9 comme lui, a pour bafe une terre bleue propre a faire le bleu d’émail, des vapeurs d’une odeur arfénicale , très-fenfible 8c très-dangereufe dans fa preparation. Voyez fur ce mot les Diéh d’Hift. Nat. 8c de Chim. 8c FEhcyclop.
(3) Cet azur eft le même que le Jmalt, exaétement vitrifié, éteint dans Feau 8c pulvérifé, plus connufous le nom d’a?ur a pottdrer.
(c) C’eft ce même azuren poudre plus fine, qu’on nom me auffi azur fin.
(d) Cette recette ne paroir pas bien claire dans 1’em- ploi qu’elle prefcrit de 1’aigue-marine. Si par ce terme nos Récollets entendent la pierre précieufeque nous connoif- fons également fous ce nom, & fous celui de Béril; on ne retrouvera pas dans ce procédé Fefprit de pau- vreté des enfants de Saint Francois : car ils auroient pu fe procurer une couleur bleue, par des moyens auffi sürs 8c infiniment moins difpendieux. II n’appartenoit qu’a un Abbé Bénédiétin , tel que Suger, de faire broyer les faphirs dans Ia preparation du verre bleu, dont il enrichit les vitraux de FEglife qu*il fit reconftruire en Fhonneur du faint Patron de fon Abbaye , la plus au- gufte du Royaume, comme peutêtre la plus riche. II paroit que nos Religieux, Peintres fur verre, ont em¬ployé ici métaphoriquement ce terme, en Fentendant» non de la pierre précieufe> dite aigue-marine ou béril, maïs de ces verres, émaux ou pates de couleur d’aigue- marine, dont il eft parlé dans 1’Art de Ia Verrerie de Néri, pages 79 , 8$ , 90, itfi, 100 8c 107, de Ia Tra- duétion de M. Ie Baron d’Hoiback. D’ailleurs par 1’in- dication que nos deux Artiftes donnent a Ia fin de leur manuferit de la demeure des Emailleurs les plus accré- dités de leur temps a Paris pour la vente de ces cou- leurs toutes faites, on peut foup^onner que, peu verfés dans la Chimie, ils en achetoient toutes préparées plus qu’ils n’en apprêtoient eux-mêmes.
( e ) IJazur de mer doit être pris ici pour ce qu’ils ont nommé plus haut aigue-marine; car cette couleur tire fur celle de 1’eau de la mer , iorfqu’elle eft calme 8c apper§ue dans Féloignement.
(ƒ') Uazur d’émail fe dïftingue de Vazur de mer, en ce que Kunckel dit du renverfement des dofes des fub- ftances du premier de ces azurs au fecoad. Woyez 1’En- cyclopédie au mot Bleu d’émail.
lez, tamifez , calcinez une bonne fois a feu vif, & broyez fur la table de verre avec la molette de verre, comme au blanc.
Pour faire le violet, prenez une once de faffre, une once de périgueux bien pur & bien net, deux onces de mine de plomb, & huit onces de fable fin. Broyez toutes ces matieres dans un mortier de bronze, pour les réduire en poudre la plus fine que vous pour- rez ; mettez ces poudres dans un bon creu- fet, couvert & lutté , au fourneau a vent, & leur donnez bon feu, pendant une heure, puis retirez votre creufet. Lorfqu’il fera re- froidi, vous en broyerez la matiere dans le même mortier; vous y ajouterez la quatrie- me partie de falpêtre en poudre, procédant au furplus, comme il a été indiqué ci-devant par M. de Blancourt pour le verd (a).
Selon mes fecrets de familie, prenez un poids de pierre de périgueux avec autant de faffre que vous mettrez dans un creufet: fai- tes fondre; pilez enfuite la matiere ; ajou- tez-y un tiers pefant de falpêtre; calcinez ie tout quatre ou cinq fois a un feu vif, en ajoutant a chaque calcination le même poids de falpêtre.
Suivant nos Récollets, prenez une once de périgueux le plus clair & le plus luifant; car le noir vaut moins; autant de mine de plomb rouge, & fix onces de fable ou de cailloux calcinés. Suivez au refte tout ce qu’ils ont dit ci-devant pour la couleur verte. Ajoutez-y feulement une quatrieme calcina¬tion avec une fixieme partie de falpêtre.
Quand vous emploierez, difent-ils, le violet, fi vous le voulez un peu couvert, couchez-le fort épais: il n’eft pas alors fi fu- jeta noircir.
Si vous voulez, ajoutent-ils, avoir du violet très-haut en couleur, quand vous en ferez a la derniere calcination , partagez toute la couleur vitrifiée par les trois pre¬mieres calcinations en deux parties égales; calcinez-en une pour la quatrieme fois avec la dofe ordinaire de falpêtre : partagez cette moitié en quatre autres parties; ajoutez-y une quatrieme partie d’azur déja calciné 5 recalcinez de nouveau avec une huitieme partie de falpêtre; mêlez, pilez, tamifez & broyez comme a la couleur bleue.
Enfin, continuent-ils, fuppofé que vous manquiez de violet, & de temps pour en préparer, couchez fur votre travail de 1’azur un peu clair, & par derriere le travail cou¬chez de la carnation toute pure, ce qui vous donnera un violet foncé.
Pour faire la couleur pourpre, prenez, fuivant mes fecrets de familie , une portion
(a) Haudicquei de Blancourt, Art de Ia Verrei ie, Chap. CCVHI.
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fuivre de Ia même force que fi on vouloit fondre. Alors le verre fefondra&fe corpon- fiera fi bien avec le creufet qu ïl fera capa- ble de réfifter au feu beaucoup plus de temps qu’il n’en faut pour la cuiffon de la matiere. Mais tout dépend de faire cuire les creufets a un feu très-violent qui reflerre les pores de la terre, & la rend compare comme le verre; encore mieux fi, au fortir de ce grand feu , on jette du fel commun en abondance fur les creufets, qui les rend polis comme le verre , & capables de retenir les efprits dans le feu (a).
M. Rouelle, dont les Cours de Chimie qu’il fait a Paris depuis plufieurs années font, de 1’aveu même des Etrangers , ce qu’il y a jamais eu de mieux en ce genre, a éprouvé que les petits pots de grès dans lefquels on porte a Paris le beurre de Bretagne, & qu’on trouve chez tous les Potiers, fous le nom de Porj d beurre étoient les plus excellents creu¬fets qu’on put employer; qu’ils pouvoient remplirles défirs de plufieurs Chimiftes, qui, ayant des prétentions fur le verre de plomb, fe font plaints de n’avoir point de vaifleaux qui puflent le tenir long-temps en fonte (£).
C’eft aufli le fentiment de M. Macquer , qui, examinant la difficult^ de fe procurer pour les différentes operations de Chimie des creufets plus durables , dit que des creu¬fets ou pots de terre cuits en grès réfiftent mieux aux matieres vitrefcentes & d’un flux pénétrant, comme le verre de plomb ( c ),
D’autres Chimiftes ont encore employé des creufets doubles, c’eft-a-dire, un creu¬fet juftement emboité dans un autre creufet, pour expofer a un feu long-temps conti¬nué des melanges cUffieilea a contenir. M. Pott, qui a traité expreffément de la bonté des creufets, a eu recours avec fuccès a eet expédient.
Au refte les qualités effentielles d’un bon creufet font; i°, De réfifter au feu le plus violent fans fe fendre ou fans fe caffer; 20, II ne doit rien fournir du fien aux matieres qu’on a a y mettre; 30, II ne doit pas être pénétré par ces matieres, ni les laiffer échap- per a travers de fes pores, ou a travers des trous fenfibles que ces matieres fe prati- quent dans fon paroi ou dans fon fond.
C’eft un excellent ufage de lutter les creu-fets en dedans & en dehors avec un lit de craie délayée dans 1’eau, d’une confiftance un peu épaiffe.
vitrification de nos émaux : mais tous les Peintres fur verre n étant pas a portée de s’en fervir a caufe de leur éioignement, volei la defcription d’un fourneau a vent, d’après M. de Blancourt, avec lequel ils pourront faire telle vitrification qu’il leur plaira, ayant foin d’ailleurs de bien lutter & couvrir les creufets (a).
Ce fourneau doit être fait de bonne terre a creufet. Plus il fera épais, plus il fera en état de réfifter a un très-grand feu & d’en entretenir la chaleur. M. de Blancourt dit qu’on peut donner a ce fourneau , par le feu de charbon, tel degré de chaleur qu’on vou- dra, pourvu qu’il ait cinq a fix pouces d’épaif- feur. Mais comme il veut qu’il ait une gran¬deur raifonnable; comme d’ailleurs , il ne prefcrit rien de fixe fur cette grandeur , voici la proportion la plus exacte que j’ai cru pouvoir lui donner.
Je fuppofe le fourneau a vent de forme ronde: je lui donne trois pieds & demi de hauteur fur feize a dix-fept pouces de diame- tre dans oeuvre. II faudra qu’il ait un pied d’intervalle depuis le cendrier > qui doit être élevé pour attirer plus d’air, jufques & com- pris la grille , & deux pieds & demi du def- fus de la grille jufqu’au deflous de l’extrémi- té du couvercle. La grille doit être de la même terre que le fourneau, paree que le fer, fi groffes que fuflent les barres qui la compoferoient, eft fujet a fe fondre a la grande chaleur. Le couvercle aufli de même terre & en voute bien clofe. AJOwuröir 9 c’eft-a-dire , lefpace qui fe trouve depuis le bas du couvercle jufqu’a la grille , contien- dra un pied neuf pouces de haut. Vers le mi-lieu de 1’ouvroir, on pratiquera une porte de forte tóle, par laquelle on puifle met¬tre & óter les creufets & introduire le char¬bon dans 1’ouvroir. Par conféquent le cou-» vercle, en forme de dome, aura dans fon milieu dans oeuvre neuf pouces de haut , non compris la cheminée qui lui fert de cou- ronnement, & qui doit être pratiquée de facon qu’on puifle y ajufter des tuyaux de tóle plus ou moins, a proportion qu’on vou- dra tirer plus ou moins d’air. Si 1’on veut avoir beaucoup d’air par le bas du fourneau , M. de Blancourt veut qu’on ajufte avec de bon lut de terre grafie, a la porte du cen- drier, un tuyau de pareille tóle , qui fe ter- mine par une efpece de trompe.
Ce fourneau ne peut faire qu’un bon effet^ lorfqu’on veut calciner & vitrifier une por¬tion un peu confidérable de couleurs: mais dans le cas ou il s’agiroit d’en préparer une moindre quantité, on peut y fubftituer un fourneau portatif, tel que celui que je vais décrire.
Il y a quarante ans au moins que mon perè ayaiït pris avec un Milanois des engage-ments pour lui montrer PArt de peindre fur verre & Papprêt des couleurs qui y font propres, je fus chargé de procéder en leur préfence aux différentes opérations pour la calcination des émaux colorants; je me fervis d’un petit fourneau de fufion, fait en terre a creufet par un Fournalifte de Paris, de forme ronde , d’environ quinze a feize pou- ces de hauteur, onze pouces de diametre & deux pouces d’épaiffeur hors d’oeuvre. Ce fourneau avoit deux anfes pour la facilité du tranfport. II avoit une forte grille de même matiere, élevée a trois pouces du cendrier. II étoit percé de quelques trous dans fon contour, furmonté de fon couvercle en do-me, dans lequel étoit pratiquée une porte de même terre, amovible, par oü 1’on in- troduifoitle charbon pour Pentretien du feu, & pour retirer, quand la fufion étoit faite , le creufet du fourneau avec des tenailles ou pinces de fer qu’on faifoit rougir par le bout. Le tout réulfit afouhait, en fuivant les indications de mes fecrets de familie, les feulesqui étoientconnues demonpere, pour les avoir expérimentées plufieurs fois. J’ob- ferverai néanmoins qu’a la vitrification des fubftances colorantes pour le verd, il fe fendit deux creufets par Peffervefcence de la compofition qui fe répandit dans Pouvroir öt coula dans le cendrier, cette couleur s’éle- vant plus que le blanc, le bleu , le violet & le pourpre.
Je me fouviens aulïi d’avoir vu mon pere vitrifier ces mêmes émaux en introduifant le creufet qui contenoit la compofition dans la cafe d’une forge de Fondeur (a).
Nos Artiftes Récoliets, après avoir re- marqué qu’il eft plus avantageux, pour ceux qui en ont la commodité , de calciner les couleurs a la Verrerie qu’au feu de char¬bon , paree qu’elles en fortent plus belles & plus glaciales (liffes), ajoutent:
Ce feroit encore mieux faire d’imiter les anciens Peintres fur verre. Ils avoient a eet effet des creufets d’un grand pied de hau¬teur : ils mettoient leurs compofitions dans ces creufets fans y mêler de falpêtre; ils les introduifoient dans un four achaux, d’environ trois toifes de haut, rempü de pierres cal- caires; ils les pla^oient vers le milieu du four , a diftance d’un pied Pun de Pautre; ils les couvroient d’un fort carreau de terre cuite ; ils les flanquoient, dans le vuide qui fe trouvoit entre chacun d’eux & tout au- tour, de pierres a chaux bien ferrées les unes
(d) On appelle Café cette boete ou four rond ou quarré, d’un pied de diametre, & profond a peu pres d’autant, oü les charbons allume's font arrange's autour du creufet du Fondeur , Sc re§oivent ie vent d’un foti¬ll et double qui y porte 1’air en deffous.
PEINT. SUR VERRE. II, Pan.
contre les autres. Ils ne mettoient gueres que deux rangs de ces pierres au deffus des creu-fets , de peur que la pefanteur des pierres ne les fit caffer. Le feu ayant été, comme il doit être, pendant vingt-quatre heures a la fournaife, leurs couleurs devenoient parfai- tement belles & glaciales*
Lorfqué le four étoit refroidi & les pre-miers rangs de pierres retirés, ils en ótoient les creufets Ót les caffoient pour en avoir la couleur qui étoit extrêmement belle , li Pon en excepte le deffus, qui reftoit cou¬vert de 1’écume dont on n’avoit pu la purger. Cette maniere eft des plus commodes, pare© qu’en une feule fois on calcine plus de cou¬leurs que Pon n’en pourroit employer en fix mois quand on en travailleroit tous lés jours. On avoit foin de laiffer dans chaque creufet au moins un pouce & demi de vuide, de peur que la couleur venant a fe gonfler, ne fe répandit dans le feu.
On ne connoiffoit pas encore vraifemblable- ment au temps oünos Récoliets travailloient, les fourneaux de nosFournaliftes deParis,pour faire calciner les couleurs; car ils enfeignent dans leur manuferit la maniere d’en conf- truire un dans la cheminéè, que nous ne rapporterons point, puifque nous avons plus qu’eux la facilité d’ufer de ces fourneaux de Chimie, qui fe trouvent par tout ou cette Science eft cultivée.
[ A tous ces fourneaux, PEditeur fe fait un devoir d’ajouter la defcription de celui dont fon pere & lui-même fe fervent pour vitrifier leurs émaux, Ils en doivent Pidée a 1’efprit d’économie dans la main-d’oeuvre, qui doit entrer dans le plan de tout Artifte intelligent, tant qu’elle n’altere pas la bon¬té de fes réfultats. C’eft un fourneau quarré , bati en briques, portam deux pieds de lar- geur fur chaque face, & ayant deux pieds & demi de hauteur; les murs ont fept pouces d’épaiffenr. On obfervera que la bafe de ce fourneau elt voutée jufqifa la hau¬teur de dix pouces, & que le mur qui fépa- re cette voute du refte du fourneau a fept pouces d’épaiffeur, ce qui fait depuis le fol du laboratoire, ou eft conftruit le four¬neau , jufqu’au fol intérieur du fournea# , une hauteur de treize pouces; ainfi 1’inté- rieur ou capacité du fourneau a en dedans oeuvre dix-fept pouces de hauteur, dix pou¬ces de largeur dans toutes les faces. Cette capacité du fourneau fe divife en deux par¬ties , dont 1’inférieure, que dans tout autre fourneau on appelleroit le Cendrier, porte trois pouces de hauteur; la eft une grille quï a onze pouces de diametre en tout fens , afin qu’ayant un pouce de fcellement a chaque face , il refte dix pouces qui font le diame¬tre jufte du fourneau. Cette grille differe des autres pieces de fourneau du même nom; i°, en ce quelle eft foxmée de barreaux
ur le verre , on brife la maffe avec un marteau; on en prend la quantité que Pon juge a propós, a proportion de Pouvrage que Pon a entrepris; on la pile dans un mortier de fonte ; on la paffe au tarnis de foie, & on la broie fur une pierre dure comme le porphyre, ou Pécaille de mer dont la dureté ne fournit aucun mélange de leurs fubftances aux matieres broyées. En broyant chaque couleur, on la détrempe avec eau fimple bien nette, jufqu’a ce qu’elle foit en bonne confiftance pour être employée, c’eft-a-dire ni fi molle qu’elle coule, ni fi dure qu’on ne puiffe la détremper avec le doigt.
Tous ces émaux ne doivent pas être broyés trop fins : il faut quils le foient a un tel degré , que, fi on les laiffoit fécher , ils tinfient plus de la confiftance d’un fable tres-fin que d’une poudre impalpable.
Quand chaque couleur eft broyée, on la leve de delfus la pierre avec Pamaffette pour la mettre dans un godet de grès bien net. Il eft bon d’en avoir plufieurs pour chaque couleur.
Avant d’indiquer la raifon & la maniere de procéder au trempis de ces couleurs, je prie le Le&eur de fe rappeller que je n’ai point admis au rang des émaux propres a la Pein- ture fur verre ceux dans lefquels Kunckel fait entrer le tartre qui donne beaucoup d’obfcurité aux compofitions ou il entre, par Pabondance de fes fels. On peut dire la même chofe des cinq ématfx colorants fujets a des calcinations précipitées par le falpêtre. L’abondance de fon fel, que la violence du feu le plus ardent ne peut confumer entiére- ment, venant a fe mêler a la couleur, lui óteroit aufii beaucoup de fa tranfparence, Óc la mettroit même dans le cas de noircir au feu. C’eft pourquoi fitót qu’on a mis la cou¬leur broyée dans le godet, on commence par la détremper avec le bout du doigt dans 1’eau claire, affez long-temps pour bien mêler le tout. On la laiue un peu repofer ; on la décante en verfant la partie la plus claire par inclination dans un autre godet , & ainfi fucceffivement jufqu’a ce qu’ayant raflemblé dans un feul & même godet tout ce qui s’eft précipité vers le fond des pre¬miers , la derniere eau dans laquelle on Paura lavé refte claire & fans aucun mélange appa¬rent de fel cru. C’eft ce que j’ai appellé le Trempis. On peut aiors laifler furnager cette derniere eau fur la couleur qui eft reftée dans le fond du godet, jufqu’au moment ou Pon voudra i’employer a colorer les diffé- rentes places auxquelles elle eft deftinée, de la maniere que je Pindiquerai dans le Chapitre du coloris.
Chacune de ces couleurs s’emploie a Peau gommée. On met de cette eau dans le godet avec la couleur qu’on veut en détremper, &:
S U R V E R
on la délaye exaöement avec cette eau du bout du doigt bien net.
On ne peut recommander avec trop de foin aux Peintres fur verre de tenir toutes ces couleurs foigneufement renfermées con- tre les approches de la pouffiere. C’eft fou- vent d’ou déffend une grande partie de la beauté de leur travail. Chaque Peintre fur verre devroit en cette partie être un Gerard Dow (a}.
Dans le manufcrit de nos Récollets, la préparation des émaux colorants par le broiement & les lotions répétées eft la même que nous venons de décrire, a ce qui fuit prés.
On ne doit point, y eft-il dit, broyer les émaut trop clairs. Il faut, après qu’ ils ont été broyés, les couvrir d’eau bien nette & les laifler repofer en eet état un jour &
(a) Voyez au Chapitre XVII de notre premiere Par- tie , 1’article de Gérard Dow.
R E. II. PARTIE. ia3
une nuit. Le lendemain, après avoir ren- verfé doucement 1’eau qui furnageoit, on y en remet d’autre, que Ton fait tourner a Fentour & par-defius la couleur, pour la mieux laver , & enlever les ordures blanchatres qui font delfus. On doit répéter ces lotions jufqu’a quatre ou cinq fois pour chaque couleur,. en confervant a part dans des godets féparés ce qui fe feroit précipité de la couleur après ces différentes lotions, pour fe fervir de ces réfidus de couleur , après de nouvelles lotions , faites comme les précédentes. La couleur étant bien égouttée , on verfe de 1’eau de gomme par- deflus, fans la détremper, ni mêler. On fe contente d’en détremper un peu au bout du pinceau avec Peau gommée, pour faire ce que nous nommons ailleurs eau de blanc, de bleu , &c. qui doit faire fur le travail la premiere afliette de chacune de ces couleurs, avant d’y en coucher de plus épaiffe, fuivant le befoin.