CH AP I TRE VII.
Du Méchanifme de la Peinture fur Verre acluelle; SC d’abord
de l’Attelier SC des Outilspropres aux Peintres fur Verre.
JE me fuis aflez étendu dans les Chapitres précédents fur la compofition & vitrification des émaux colorants, aduellement en ufage dans la Peinture fur verre; fur le choix des creufets & la forme des fourneaux propres <1 cette vitrification; &, a Poccafion de la préparation & de Pemploi de ces émaux, j’ai parlé des différents mortier s & pilons de fonte, de marbre ou de verre, des tam'ts de foie, des platines de cuivre rouge ou pierres dures a broyer, comme porphyre, écaille de mer; des molettes de caillou dur, ou de bois garni d’une plaque d’acier ou de fer ; des amajjettes de cuir > de fapin ou d’y voire; des godets de gres pour chaque couleur, &c: je paffe maintenant a ce qu’on peut regarder plus particuliérement comme les outils du Peintre fur verre, après néan- moins que nous lui aurons trouvé une place convenable pour fon attelier.
De ï’Atte- Cet attelier doit être placé en beau jour,
! fur verre.' ^ans un ^eu ne n* bumide, ni expofé a un air trop vif, ou a la grande ardeur du foleil. Trop d’humidité empêcheroit les pie¬ces de parvenir au degré de ficcité néceffaire pour les charger dans le befoin de nouveau lavis ou des émaux colorants, & conduire 1’ouvrage a fa perfe&ion. La trop grande ardeur du foleil, comme le trop grand hale, nuiroit a tout le travail de PArtifte. Lors de la recuiffon, dont nous parlerons en fon lieu, fi le fourneau étoit conftruit en endroit humide, les émaux noirciroient a la calcina-tion. A un trop grand air , le feu prendroit dans le commencement & dans fa continuité un degré de vivacité trop prompt qui feroit caffer les pieces dans le fourneau, avant qu’elles euffent pu parvenir a la fufion des émaux. Enfin le voifinage des aifances, ou de quelque lieu infeéfc ou mal fain, peut, comme 1’humidité, ternir le brillant des cou- leurs, ouempêcher même qu’elles ne fe lient
PRINT, SUR VERRE. II. Part,
ou ineórporént avec le verre qui leur fert de fond.
L’attelier du Peintre fur verre étant placé avec les précautions fufdites, donnons-lui des outils. \'
Le premier eft une table de fapin, emboi- De Ia tabUs tée de chêne a chaque bout, folidement éta- blie fur quatre pieds, entretenus fur la lar- geur, a chacun des bouts, par une traverfe, *
& par une autre, dans le milieu fur la lon-gueur , affemblée dans celles des bouts, qui ferve d’appui aux pieds de PArtifte ; le tout de bois de chêne. Je voudrois encore que le deffus de cette tabk fut le même que celui des tables dont feftervent les Deflinateurs dans PArchite&ure civile & militaire , c’eft- a-dire, queleMenuifier, au lieu d’affem biet les deux planches de devant, dont la derniere ne doit point porter plus de trois a quatre pouces de large, laiffat entre elles un vuide de demi-pouce depuis une emboïture jufqu’a Pautre. Ce vuide ferviroit a y gliffer & tenir fufpendue fous la table la partied’un grand deflin, dont le Peintre ne doit prendre ie trait & le retirer fur le verre que fuccefli- vement, & a le remonter a fur a mefure fur la table, a chaque rangée de pieces qu’il veut retirer. C’eft le vrai moyen de conferver un deflin propre & fans rifque de contra&er de faux plis, ou de s’effacer par le frotte- ment du ventre ou de la manche du Peintre*
Cette table ne peut être trop étendue en longueur, a caufe des différents fervicea que PArtifte doit en tirer. Quant a fa lar- geur, on doit la reftraindre a deux pieds & demi au plus. Sa longueur eft propre a étendre Pouvrage pour le faire fécher, foit qu’il s’agiffe du premier trait avec la couleur noire, dans les morceaux les plus hors dé vue; foit qu’il s’agifle des différentes cou- ches de lavis dans les morceaux les plus délicats; fóie qu’Ü faille enfin laiffer fécher
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les couïeurs qui ont été couchées fur 1 ou- vrage , avant de les empoëler.
La hauteur de cette table, oü ie Peintre travaille le plus ordinairement aflis, doit être de deux pieds un quart du deflus de la table au Tol, & le fiege de dix-huitpouces de hauteur ; c’eft-a-dire, qu’elle doit être une fois & demie plus haute que le fiege. Cette table doit être pofée au niveau des feiïêtres. Le jour le plus favorable eft celui qui vient a la gauche du Peintre. II doit la couvrir, vers Fendroit oü il travaille, d’un carton d’une bonne épaifleur & d’une jufte étendue} tel que celui que les Deflinateurs & les gens de plume nomment pancarte.
Avant de commencer unouvrage, Ia table doit être garnie i°, d’un plaque-fan. G’eft ainfi qu’on nomme un petit baflin de plotnb ou de cuivre, un peu ovale, dans lequel on dépofe la couleur noire, lorfqu’elle a été broyée, de fa^on qu’elle foit plus ramaffée vers le bord que dans le fond, & que, quand le plaque-fein eft un peu incliné felon Fufage, la couleur paroiffe féparée du lavis, qui doit y furnager, lorfqu’ayant ceffé 1’ouvrage on le pofe a plat; car fi on laiffoit fécher cette couleur, elle ne feroit plus de fervicé, a moins qu’on ne la rebroyat de nouveau.
Le plaque-fein de nos Récollets, Peintres fur verre, avoit dans Fendroit ou Fon dépofe la couleur noire, une bafe concave pour la retenir & Fempêcher de couler, lorfqu’ils en travailloient, & pour laiffer place a Peau gommée. II y avoit en outre fur les bords dudit plaque-fein, en largeur, de petites entailles pour y loger leur pinceau, lorfqu’ils cefloient de s’en. fervir.
La table de notre Artifte doit, en fecond lieu , être garnie d’une drague pour retirer avec la couleur noire , dont on Fimbibe, le trait du deflin qui eft fous le verre. Cet outil eft compofé d’un ou deux poils de chevre, longs d’un doigt au moins, attachés & liés au bout d’un manche cómme un pinceau. La main qui en fait ufage doit être fufpen- due, fans aucun appui, au-deffus du verre, pour prendre le trait du deflin des fa naif- fance jufques dans fes contours , avec la' précifion du crayon le plus facile & le plus léger.
La drague étoit autrefois bien plus en ufage qu’a préfent, & ne fervoit pas peu a éprouver la jufteffe & la légéreté de la main d’un Eleve , dont les premiers exercices étoient de retirer avec cet outil, les con¬tours des figures au premier trait, avant de leur donner les ombres avec le pinceau. On y a fubftitué le bec d’une plume ni trop dure ni trop molie, ou la pointe du pinceau.
Les pinceaux d’un Peintre fur verre doi- vent être compofés de plufieurs poils de gris étroitement liés enfemble du cóté de leurs racines & ajuftés dans le bout du tuyau d’une plume remplie vers le -haut par un manche de bois dur, auquel ce tuyau fert comme de virole. II y a beaucoup de chóix dans ces pinceaux. Ceux dont tous les poils réunis forment mieux ia pointe, font les meilleurs. Pour les éprouver, on les palfe fur les levres, on en humeéte un peu le poil avec la falive. Ceux qui a cette épreuve s’écartent plutót que de faire la pointe, ne font pas bons. Un pinceau ne doit fervir que pour une couleur. On ne peut apporter trop de foin a les tenir bien nets avant de s’en fervir. On les trempe a cet effet dans un verre, plein d’eau bien claire, qui n’ait pas contraété la moindre graiffe. On les y dégorge en les preffant avec le bout du doigt fur le bord du verre ou gobelet qu’on change d’eau, jufqu’a ce qu’elle ne montre plus la moindre teinte de couleur. On laiffe le pinceau qui ne fert qu’a la couleur noire tremper dans le lavis, tant que le Peintre a occafion de s’en fervir, de peur qu’en féchant il ne durciffe. Ces pinceaux doivent avoir le poil auflï long que ceux dont les Deflinateurs fe fervent pour laver leurs defllns.
Le manche ou la hampe en eft quelquefois pointu. En ce cas un pinceau peut fervir a deux fins, puifqu’il fert d’un bout a retirer le trait, ou a charger d’ombres, & de 1’autre a éclaircir.
Entreces pinceaux, celui qui fert a coucher de jaune eft ordinairement beaucoup plus fort & plus long de poil & de manche, paree que cette couleur claire, étant ren- iermée dans un pot de fayence ou de plomb de fept a huit pouces de profondeur, oü on la tient toujours liquide, & voulant être toujours agitée lorfqu’on 1’emploie, il faut que ce pinceau puiffe aifément en atteindre le fond öt mélanger continuellement Fargent broyé qui en fait le corps avec Fochre détrem* pée qui lui fert de véhicule. D’ailleurs ce pinceau veut être plus plein de cette couleur qui fe couche plus épaifle que les émaux, & que la pointe du pinceau fert a étendre avec d’autant plus de fécurité qu’elle fe couche du cöté oppofé au travail.
La brojje dure eft un outil compofé d’une trentaine de poils de fanglier, étroitement liés & ferrés autour de fon manche, qu’ils excedent de la longueur de deux ou trois lignes au plus. II fert a enlever légérement le lavis de deffus la piece dans les endroits oü le Peintre auroit a former des demi-tein- tes, ou même des clairs dans les endroits plus fpacieux oü 1’on eüt épargné le verre, dans le cas oü la piece n’auroit pas été couchée de lavis dans fon entier. La hampe ou man¬che de cet outil peut aufli être pointue & fervir a éclairer de petits efpaces, comme les mufcles, la barbe, les cheveux, &c.
Le balai eft le même outil que les Graveurs nomment le pinceau , & dont ils fe fervent pour óter de deffus leurs planches les parties
ou raclures de vèfnis qu’ils enlevent avec la pointe ou Yéchoppe,
Get outil fert dans la Peinture fut verre a enlever de deffus Fouvrage les parties feehes du lavis qui ont été cnlevées avec la hampe du pinceau ou la broffe pour les clairs. Il fert encore a adoucir le lavis dans les charges de demi-teintes , öu même lorf- qu’on couche une piece entiere de lavis, a
' en étendre uniformément la furfaee. On en a
de plus longs & de plus courts. Les plus longs fervent a ce dernier ufage & les plus courts a former en tappant ces points que le Graveur tire de fa pointe. On doit avoir bien foin de fécher légérement le balai, en le frottant fur la paume de la main, fitót que 1’on s’en eft fervi > de peur que le lavis venant a s’y fécher , le balai ne s’endurciffe : car alors , en le paffant fur le lavis frais, il gate- roit Fouvrage en Fécorchant. II en eft de ces balais comme des pinceaux; ils nedoivent
'1 fervir que pour une couleur. On peut en
’ avoir de différentes groffeurs, fuivant les
différents ufages qu’on veut en faire dans
les ouvrages plus ou moins fpacieux. ftelabrof- On appelle broffe a dé coucher Fochre y une
fe a décou’ brofle de poil de fanglier, telle que font celles dont on fe fert pour nettoyer des peignes. On en fait ufage pour broffer öt enlever de deffus le verre recuit ce qui y eft refté de la terre de Fochre qui a fervi de véhicule a Fargent pour faire la couleur jaune. Comme cette terre pourroit n’être pas entiérement dépouillée de toutes les particules d’argent auxquelles elle a été mêlée, on la conferve après qu elle eft enle- vée , pour la mêler & rebroyer avec de nou- vel argent, lorfqu’on fait de nouveau jaune: auquel cas, ff la quantité de Fochre déja recuite étoit un peu étendue, on pourroit mettre la dofe d’ochre un peu plus forte dans la compofition d’un nouveau jaune, en y mêlant de la nouvelle,
Le Peintre fur verre doit encore avoir fur fa table quelques feuilles de papier cou- rantes, toujours prêtes fous fa main , pour couvrir fon ouvrage contre la pouffiere & même pour pofer fur fa piece, lorfqu’il tra- vaille, de peur que Fhumidité ou la féchereffe de la main n efface ou n écorche Fouvrage déja fait. II fe fert auffi d’un poids de plomb pefant environ trois livres pour arrêter a propos la piece de verre fur le deffin d apres lequel il peint, & Fempêcher de fe déranger lorfqu’il en retire le trait.
Nos Récollets avoient deux embraffures ou pinces de bois faites d’un même morceau , avec une chainette a couliffe, plus groffe par un bout que par Fautre. Cet outil, dont je n’ai jamais vu de modele , leur fervoit a tenir deux pieces enfemble, lorfqu’ils reti-
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roient le trait d’après le deffin, pour n’en point déranger les contours.
La grande propreté qu’exige la Peinture fur verre femble encore prefcrire a FArtifte qui s’en occupe, de meubler fon attélier & armoires dans lefquelles les pieces déja linies au noir foient foigneufement préfer- vées de la poufliere. Elle nuiroit a la pro¬preté qui leur convient pour recevoir avec fuccès les différentes couleurs qu’on doit y coucher pour terminer Fouvrage , & les empoëler lorfqu’elles feront feehes.
Ges armoires ferviront encore a renfermer, d’une part les émaux en pains, ou en poudres, dans des caffetins féparés & marqués fuivant leurs différentes couleurs ; de Fautre les dif¬férents godets ou elles ont été détrempées , fans jamais les laiffer découverts. II peut fe fervir a cet effet de couvercles de carton qui emboétent bien juftement fes godets & fon plaque-fein.
II fera bien auffi de tenir proprement renfermés dans une de ces armoires fes def- ffns & fes cartons , afin que, fi par la fuite des temps il venoit a fe caffer quelques pieces, il retrouvat les deflins ou cartons qui ont fervi è Fouvrage, pour les renou- veller dans un parfait accord. II pourroit y raffembler & conferver de même quel¬ques bóns morceaux de Peinture fur verre * comme des têtes, des mains, des pieds, des fleurs, des fruits, de petits payfages, qui fe trouvent facilement dans un temps ou Fon démolit plus de vitres peintes qu’on n’en conferve. Ces morceaux, s’ils font de bons Maitres, feront pour lui d’excellents modeles qu’il ne peut trop avoir fous les yeux pour en imiter la bonne maniere.
Enfin pour ne rien omettre de ce qui peut ici contribuer a Fextrême propreté que notre Art demande, Ie Peintre fur verre pourroit tenir dans une de ces armoires une petite fontaine de fayence pleine d’eau bien nette * une cuvette , un effuie - main , quelques linges blancs pour effuyer les gouttes d’eau ou de couleurs qui pourroient tomber fur fa table.
Au moyen de ces armoires dreffées avec góut, répétées avec fymmétrie par des mor¬ceaux de lambris amovibles qui ferviroient a mafquer fes fourneaux, s’il en avoit deux, le Peintre fur verre, ainfi pour vu dans fon attelier de tout fon néceffaire pour fon tra¬vail, pourroit s’en faire un lieu très-propre, oü Fordre & la netteté donnant le ton, il travailleroit avec ce parfait contentement qui fait que la main, d’accord avec le génie & le bon gout, conduit toutes chofes a la perfe&ion.