CH AP IT R E VIII.
De la Vitrerie relativement d la Peinture fur Verre;
SC des rapports de eet Art avec la Gravure.
Nous avons jufgu’a préfent fuppofé notre Peintre fur verre aflez verfé dans la Chimie pour préparer lui-même fes couleurs; alfez inftruit pour bien difcerner les bonnes ou mauvaifes qualités des émaux colorants qu’il fe verroit quelquefois preffé d’acheter tout faits, & pour faire un bon ehoix du verre qui doit lui fervir de fond; alfez bon Def- flnateur pour rendre exa£tement & même corriger les deffins qu’on lui adminiftreroit pour les copier fur le verre : nous lui avons fourni une Bibüotheque des meilleurs livres fur la Peinture pour les confulter; nous lui avons apprêté un attelier d’un bon goüt & d’une grande propreté; nous l’avons outillé de tous les inftruments néceffaires a fon Art, avant de lui mettre la drague ou le pinceau a la main : confidérons-ie dans ce Chapitre comme Paltrier; car les premiers Peintres fur le verre étoient Peintres-Vitriers , & apprenons-lui les rapports particuliers que ce genre de Peinture a avec la Gravure ; rapports que nous avons vus , dans notre premierePartie, avoir fait, entr’autres des Goltzius & des de Ghe'm y d’aufli bons Gra-veurs que d’habiles Peintres fur verre.
Les delïins ou cartons que le Peintre Vitrier doit exécuter fur le verre étant faits} agréés, arrêtés par les parties, & même arrhés fuivant 1’ufage le plus ancien, fon premier travail eft de tracer fur ces delïins, avec un crayon alfez diftindfc, les contours de la coupe des pieces de verre & des plombs qui doivent les join- dre. II fera des différentes parties dont ils fontcompofés, un tout dans lequel le plomb & les verges de fer, qui doivent main- tenir les panneaux, ne coupent aucun des membres, en paffant au travers; cequiferoit infupportable, fur-tout dans les têtes. Gette attention ne doit pas être moins férieufe dans les frifes. La diftribution des pieces de verre qui les compofent fur la hauteur doit, même en les deflinant, être faite de maniere qu’el- les fe coupent toutes uniformément a la hau¬teur de la place oü la verge de fer doit palfer fur la fa^on de vitres, fans en déranger les accords & fans rien altérer de leur foüdité. II eft aifé de fentir qu’une fleur, ou un fruit, ne doit pas être coupé de forte qu’une moi- tié fe trouve dans une piece & 1’autre moitié dans celle qui la fuit. Enfin ii faut que le deffin de ces frifes foit affujetti a la diftribu¬tion donnée par le calibre de vitres blanches , pour la place des attaches de plomb qui fou- tiendront les verges de fer , fur 1’alignement des crochets de fer qui doivent les porter.
Cette diftribution exa&ement faite, felon les regies de la Vitrerie , le Peintre-Vitrier s’occupera de la coupe de fon verre, pru- demment choifï pour fervir de fond a fa Peinture. II fuivra 1’ordonnance des con-tours des membres & des draperies dans les tableaux, & des ornements, des cartouches ou des fupports dans les armoiries. 11 dimi- nuera fur la grandeur du panneau un jufte efpace pour Fépaiffeur du coeur du plomb, qui, fans cette attention, le rejetteroit & tiendroit le panneau trop fort pour la place qu’il doit remplir.
Les pieces ainfi détaillées & coupées, il eft important pour la grande propreté que 1’ouvrage requiert (ce que nous ne pouvons trop répéter) qu’elles foient exa&ement pur- gées de la craffe ou de la poufliere qu’elles auroient pu contra&er. Les plus fales le feront, non en les pajjant au fable; car la faleté graiffeufe des carreaux de verre qu’on y auroit déja nettoyés, ou 1’humidité de 1’eau dans laquelle on les auroit trempés, s’atta- chant au fable, le rendroit peu propre a eet ufage; mais en les nettoyant avec une eau de leflive bien épurée , dans laquelle on auroit fait détremper un peu de blanc d’Ef- pagne, que 1’on efluiera avec des linges doux & blancs de leflive. Si ces pieces n’étoïent couvertes que d’une légere poufliere, on fe conténtera de 1’enlever en halénant deffus & la refluyant avec des linges femblables. Trop d’humidité feroit couler la couleur dont on fe fert pour former le trait, & la graiffe empêcheroit qu’elle ne s’y attachat.
Les pieces ainfi nettoyées feront repré- fentées dans 1’ordre oü elles ont été coupées fur le carton êc numérotées imperceptible- ment tant fur lui que fur le verre. Par la chacune trouvera plus facilement fa place, lorfqu’après la recuiflon il s’agira de les join- dre enfemble avec le plomb pour en faire des panneaux.
S’agit-il d’armoiries, car a préfent c’eft prefque le feul objet de la Peinture fur verre,1 le Titré les voudra ou plus étendues, c’eft- a-dire d’un panneau compofé de plufieurs pieces;
pieces; ou d’une feule piece quarrée, ronde ou ovale , qui eft la förme la plus ordinaire. Le degré d’élévation auquel elles doivent être placées, & ceci a lieu pour tout autre fujet, prefcrira auPeintre fur verre la maniere de peindre qu’il doit y employer; car nous allons lui faire voir qu’il y a deux manieres de repréfenter les objets fur le verre , après lui avoir montré Fefpece de confanguinéité qu’a fon Art avec la Gravure.
Le travail du Peintre fur verre, avant Fapplication des émaux colorants & leur recuiffon au fourneau , fe borne a une grifaille de blanc & de noir* c’eft-a-dire de lumieres & d’ombres, comme celui du Gra¬veur après 1’impreflion. L’application des couleurs eft au premier ce que Fenluminure eft au fecond.
Entre les trois manieres de graver foit au •vernis a, l'eau-forte, foit au burin , foit en maniere noire , quoique la Gravure au vernis ait avec la Peinture fur verre 9 dans la maniere d’opérer, quelques reflemblances qui s’écar- tent dans Feffet, ce que le Graveur emporte du vernis avec la pointe ou 1’échoppe don- nant les ombres par Fopération de 1’eau- forte , comme ce qu’il en épargne donne les clairs ; le rapport que je dis exifter entre la Gravure & la Peinture fur verre fera parfaitement établi, fi nous Fappliquons finguliérement a la maniere noire.
Pour prouver ce que nous avancons , analyfons ce que nous en apprennent Abra¬ham Boffe (a), le célebre Artifte (M. Cochin) auquel nous fommes redevables de la nou¬velle édicion & du Supplément dé FOuvrage de Boffe, & d’après eux F Encyclopédie & le Diétionnaire portatif de Peinture de Dom Pernetti , au mot Gravure.
Le cuivre étant préparé pour cette maniere de graver, c’eft-a-dire étant rempli de traits fans nombre qui fe croifent les uns fur les autres en tout fens avec un outil que les Graveurs nomment berceau , ou, comme ils
(A) De Ia -maniere de graver a 1’eau-forte & au burin , & de la gravure en maniere noire , par Abraham Broffe, nouvelle edition, Paris, i74j, chez C. A. Jombert.
ARTIE. I4Ï
difent, la planche étant grainêe} il faut que Fépreuve qu’on en fait tirer a FimprelTion rende un noir égal d’un beau velouté bien moëlleux; car c’eft de Fégalité & de la fineffe de ce grain que dépend toute la beauté dé cette gravure. C’eft enfuite au Graveur a def- finer ou a calquer fon fujet fur le cuivre avec la craie blanche , fur les traits de laquelle il peut repaffer la mine de plomb ou Fencre de la Chine pour le mieux fentir. On efface avec le gratoir de ces traits ou tailles autant qu’il en faut pour faire paroitre les jours ou les clairs du deffin qu’on y a tracé, en ménageant néanmoins ces traits de facpn qu’on en atten- drifle feulement quelques-uns, ce qui fert dans les demi - teintes ; qu’on en efface entiérement d’autres pour les clairs; & qu’on ne touche pas du tout aux autres quand il s’agit des maffes & du fond. Cette maniere eft la même chofe que fi on deffinoit avec du crayon blanc fur du papier noir. On com¬mence d’abord par les maffes de lumiere & par les parties qui fe détachent généralement en clair de deffus un fond brun ; on va petit a petit dans les reflets ; enfin on prépare généralement le tout par grandes parties: on le reprend enfuite, en commen^ant par les plus grandes lumieres.
Il faut prendre garde fur-tout de ne point trop fe preffer d’ufer le grain ; car il n’eft pas facile d’en remettre quand on en a trop óté, fur-tout dans les lumieres. Mais il doit refter par-tout une légere vapeur de grain, excepté fur les luifants.
C’eft ici, a proprement parler , je veux dire dans Fexpreflion du méchanifme de la Gravure en maniere noire que nous venons de donner, que fe trouve celte de la feconde maniere de peindre fur verre , par oppofi- tion aux deux autres Gravures, au vernis & au burin, oü la pointe, 1’échoppe & le burin dans la premiere font la fonétion du pinceau du Peintre fur verre chargé de la couleur noire.
L’Eleve en Peinture fur verre , avec le fecours de ces notions , fentira bien mieux le méchanifme aótuel de fon Art, que je vais confidérer fous ces deux txaitements.
PEINT. SUR VERRE. II. Part.