GHAPITRE IX.
Des deux manieres dont on peut tralter la Peinture fur Verre.
C E T T E manieie de traiter la Peinture fur verre, que j’appelle ici la premiere, eft celle des Peintres des deux derniers fiecles & d’une partie du quinzieme, oü eet Art quitta le détail minutieux des fiecles précédents, pour fe développer fur des pieces de verre d une plus grande étendue. Elie auroit lieu encore dans les moreeaux de grande exécution, s’il s’en faifoit, ou dans ceux qui font moins expo- fés a la vue. Voicidonc comme on y procédé.
Le Peintre fur verre pofe devant lui a plat fur la pancarte qui couvre fa table le deflin qu’il veut peindre. Il y applique la piece de verre qui doit lui fervir de fond, & 1’y retient avee ce poids de plomb, que nous avons mis au rang de fes outils, qui , rond dans fon contour, plat dans fon affiette, empêche que la piece ne fe dérange, lorf- qu’il veut retirer fur le verre le trait du deflin qu’il apperqoit au travers. Cette premiere opération fe fait ou avec la dragtte, ou avec la pointe du pinceau, ou avec une •plume ni trop dure ni trop molle, imbibée de la cou¬leur noire, tenue dans le plaque-fein incli- né a découvert pendant qu’il 1’emploie; car alors le lavis n’y doit plus furnager.
Le trait en retirant doit être plus rtourri du cóté des ombres les plus förtès , & plus délié du cóté des clairs. On doit déja fëritir dans cette opération la légéreté dé la main de 1’Eleve, & la faeilité de la touche qu’il doit avoir acquife par le traitement fréquent & bien entendu du crayon. Si faute d’avoir fuffïfamment couvert la couleur noire de lavis, pendant la ceffation de 1’ouvrage j elle venoit a fécher en tout öu en partie, il faut néceffairement la relever du plaque-fein, la rebroyer pendant une bonne heure fur la platine de cuivre avec de 1’eau bien claire , y mêler promptement vers la fin un peu de gomme arabique bien feche, fans difconti- nuer de broyer le tout jufqu’a ce que la gomme foit bien fondue & incorporée avec la couleur , qui, lorfqu’on la releve de deffus la platine > ne doit être ni trop molle ni trop épailfe. La dofe de la gomme doit être de la groffeur d’une noifette , s’il y a gros comme une noix de couleur.
Quand tous les traits d’un deflin font reti-re's , il faut laiffer fécher 1’ouvrage pendant deux jours, de maniere que s’il y avoit pour trois jours d’ouvrage a retirer, le Peintre fur verre put commencer le quatrieme jour a toucher de lavis, eu a croifer les premieres
hachures faites en retirant, ce que les Graveurs diftinguent par premieres & fecondes tailles , dont les premieres font faites pour former & les fecondes pour peindre.
Cette premiere maniere qui demande a la fois une touche ferme & libre ne s’exerco guere que dans les ouvrages plus hors de portée de la vue. On y épargne le verre dans les endroits qui doivent fervir de clairs & de rehauts, comme on épargne le vélin & le papier dans la Peinture de miniature.
Ces hachures dans les ombres fortes des draperies, & même dans les contours des membres & le gros des chairs, fe font a la pointe du pinceau garni de couleur noire. En ce cas leurs extrémités doivent toujours être plus déliées dans les chairs. Celles qui conduifent naturellement aux plus grandes lumieres , & qui doivent fervir a fixer la rondeur & le relief des chairs, fe termi- nent, comme dans la Gravure, par des points imperceptiblement liés les uns aux autres, de maniere que ces hachures & ces points, amefiés en tapant & en adouciflant vers les chairs avec lë balai, fuivent la touche du crayon du Déflinateur & le moëlleux du' pinceau du Peintre que 1’Artifte fe propofe de copier fur le verre ; ou que le tout produife fur lui 1’effet de 1’eftampe fur le papier.
On emploie aufli dans cette prémière maniere la pointe de la hampe du pinceau ou de la brojje dure, pour découvrir d’après le lavis le fond du verre, dans les endroits ou ü convient dé lê faire; & ces hachures doivent toujours fe terminer, comme celles qui font faites en chargeant la pointe du pinceau de couleur noire , en adouciflant vers les grandes lumieres. Cette maniere, qui paroit plus appartenir au feeond traite¬ment de la Peinture fur verre, fert beau- coup aufli, dans le premier, pour les rehauts de la barbe & des cheveux, que les traits noirs, adoucis par le lavis, peuvent égale- ment rendre , mais d’une maniere plus dure.
Dans le premier, comme dans le feeond traitement de la Peinture fur verre, il eft d’ufage de coucher d’un lavis très-léger de rouge ou carnation le revers des pieces fur lefquelles 1’Artifte aura peint des têtes ou d’autres membres. Cette couche doit être égale par-tout. Elle fe fait en tapant fur ce lavis encore frais avec le balai de poil de gris.
Lorfque le lavis de carnation eft fee, fi
le Peintre fur vetre veut mieux faire fentir le ton naturel des chairs, dans les têtes fur- tout ou la jufteffe on 1’irrégularité des pro¬portions doivent exprimer la beauté, la lai- deur 6c les cara&eres des paffions ; le gout dü deflin le conduira ou a charger fur le revers de quelques traits noirs, ou a empor- ter, avec la pointe de la hampe du pinceau, la partie de lavis de carnation, qui lui paroi- tra devoir mieux faire fortir ces effets dans les clairs & dans les luifants.
Il faut aufliqu’il prenne garde de donner & ce lavis de carnation un ton trop rouge. Pour éviter eet inconvénient, il eft bon qu’il en faffe des effais fur de petits morceaux de verre. Il les introduira petit a petit dans le feu domeftique pour les faire recuire & en fentir 1’effet après la recuiffon, qui eft cenfée faite lorfqu’ils font devenus bien rouges au feu.
Le fecond traitement de la Peinture fur verre ayant quelque chofe de plus délicat que le premier, on s’en fert par préférence dans les morceaux plus expofés a la vue, comme dans les payfages, les grifailles, & même dans les lointains des grands vitraux. Ses effets pour le tendre font les mêmes que ceux de la Gravure en maniere noire.
En effet le Peintre fur verre, après avoir bien purgé, comme nous avons dit ailleurs, fa piece de verre de toute graiffe, humidité & poufliere, la couvre en entier d’une teinte de lavis plus ou moins foncée, felon que le fujet qu’il fe propofe de peindre doit être plus ou moins chargé d’ombres. En ce cas il doit effayer fa teinte ou fur un morceau de papier, ou fur un morceau de verre, pour en fentir 1’effet. Lorfqu’il fera fee, il doit coucher de lavis le plus promptement qu’il lui eft poflible, & fe fervir des plus gros pinceaux ufités pour layer fur le papier a 1’encre de la Chine. On étend ce lavis fur toute la fuperficie du carreau de verre avec un des plus longs balais de poil de gris, avec beaucoup d’égalité, & en halénant continuel- lement deffus, fur-tout dans les grandes cha- leurs, ou lorfque 1’air eft plus vif. Ce carreau de verre eft la planchegrainéè du Graveur. On ne pourra mieux comprendre la reffemblance des autres opérations qu’en fuivant exa&e- ment ce que j’ai rapporté dans le Chapitre précédent du méchanifrne de la Gravure en maniere noire, que je ne fais ici que copier par attribution au fecond traitement de la reinture fur verre.
Quand le lavis eft bien fee, e’eft-a-dire au bout de deux jours, le Peintre fur verre ayant pofé devant lui, a plat, fur la pancarte, le deflin d’après lequel il veut peindre, y applique la piece ou carreau couché de lavis, avec les précautions que nous avons indi- quées, crainte qu’il ne fe dérange. Enfuite il efface de ce lavis avec la brojje dure, ou la
pointe de la hampe dü pinceau , autant qu’ii en faut pour, faire paroitre les jours & les clairs du deflin qu’il appetqoit a travers le verre, en ménageant le lavis de facon qu’il ne faffe que 1’adoucir avec la brojje dans les demi-teintes , qu’il 1’efface entiérement pour les plus clairs & les luifants, & qu il le laiffe en entier quand il s’agit des maffes d’ombres*
Cette premiere opération flnie, on cou- che pour la feconde fois toute la piece d’urt lavis plus fort, ft la premiere teinte eft fob ble; ou plus foible, ft la premiere teinte eft forte. On la laiffe fécher pendant deux autres jours. On recommence les opérations comme la premiere fois, ceft-a-dire en commencant par les lumieres & les parties qui fe détachent généralement en clair de deffus un fond plus brun : on va petit a petit dans les reflets : enfin on prépare légérement le tout par grandes parties jufqu’a ce que 1’effet de ce tout fe faffe fentir*
C’eft alors que le Peintre fur verre ceffartt d’être affujetti a fuivre & copier ftri&ement le deflin quil n’a pris jufqu’a préfent qu’au travers du verre , peut rendre fa touche plus ferme & plus favante, en y appliquant ce gout de deflin dont il aura cóntra&é 1’heu- reufe facilité par une ancienne & continuelle application a cette partie de fon Art. C’eft: alors que tenant fa piece un peu élevée devant lui fur une feuille de papier blanC qui fait réfleter tout 1’ouvrage, les yeux portés de temps a autre fur fon deflin qu’il tient a cóté de lui, il peut, en commencant toujours par les plus grandes lumieres , conduire fon ouvrage a fa fin Mais le dé fir d’avancer ne doit jamais lui permettre de s’empreffer a óter du lavis dans les clairs, de facon qu’il en emporte trop ; car outre qu’il lui feroit trop difficile d’en remettre, celui qu’il y remettroit après coup pourroie n’avoir pas la teinte néceffaire.
La pointe de la hampe du pinceau, out celle d’une aiguille inférée au bout du man¬che de la broffe dure , lui fervira pour éclaï- rer les plus petites parties fur lefqueiles il ne doit point refter de lavis. Dans les parties les plus larges,elle fervira a attendrir & adou- cir, & la pointe du pinceau chargée de la couleur noire fournira les maffes d’ombre qui demanderont plus de force, de la même maniere que le Graveur au vernis abandonne la pointe & 1’échoppe pour recourir au burin & entamer le cuivre dans les coups de force que 1’impreflion de 1’eau-forte auroit pu ne pas rendre a fon gré.
Enfin le Peintre fur verre doit toujours conferver dans les chairs une légere vapeur de ce lavis de carnation, qui, comme nous 1’avons dit dans le premier traitement, fert avec les rehauts a en exprimer la rondeur & les reliefs.
L’ART DE LAPEINTURE
Nos Artiftes Récollets deflinoient le fujet qu’ils devoient peindre fur verre fur un papier bleu clair avec un crayon blanc ou charbon fin. Ils fuivoient dans les ouvrages les plus élevés & les moins en vue notre premiere maniere de traiter la Peinture fur verre. Leur verre étant coupé & bien net, ils 1’appliquoient fur le deffm, ils en reti- roient les principaux traits fur le verre & ombroient par hachures & demies-teintes fondues a la pointe du pinceau au lavis de noir, plus clair & plus adouci vers les extré- mités dansles draperies, &c. & dans les chairs, avec ce même lavis mêlé d’un peu des fon- drilles de leur carnation, qu’ils rebroyoient enfemble, en y ajoutant deux ou trois grains de fel & peu de gomme 9 ces couleurs étant déja gommées.
Quant aux ouvrages plus délicats & plus expofés a la vue, ils retiroient d’abord les traits fur le verre appliqué fur le deffin, Lorfque ces traits étoient fees, ils cou¬choient le revers de la piece d’un fond de lavis de la couleur noire, fort déüé, le plus promptement & le plus uniment qu’ils pou- voient, en 1’étendant avec le balai. Ce fond étant fee, ils y traqoient, en 1’enlevant, avec
la hampe du pinceau , ou une plume da corbeau non fendue, le trait qu’ils avoient tracé en noir de 1’autre cóté; puis effacoient ce premier trait, en nettoyoient la place & continuoient leur ouvrage fur ce fond , de la maniere que nous avons dit, en enlevant 1e lavis dans les clairs pour donner les rehauts,' & en portant dans les ombres un lavis plus fort pour donner du relief a la Peinture. Dans ces mêmes ouvrages, ils travailloient les chairs a la carnation toute pure, cou- chée fort claire & bien adoucie avec le balai, & couchoient le revers de la piece d’un lavis de blanc. Lorfque ce travail étoit fini, ils le laiffoient fécher pour y appliquer enfuite le coloris.
Si ces ouvrages étoient de pure grifaille , c’eft-a-dire, s’ils ne devoient pas être colo* rés de différents émaux, ils couchoient fur le revers de la piece un lavis de leur couleur rouffe, fi la grifaille devoit être de cette teinte, ou de leur couleur blanche, fi la grifaille devoit être blanche , en 1’étendant & adouciffant avec le balai,. comme le lavis de noir. Ils ne couchoient jamais de lavis le derriere des pieces qui devoient être colo- rées, ce qui auroit terni 1’éclat du coloris.