L ART
DU VI TRI ER.
TROISIEME PARTIE DE L’ART DE PEINDRE SUR VERRE.
A VA N T-P R O P O S.
C^UOIQUE les Maïtrcs J^Ltriers portent encore aujourd'hui le titre de Peril tres jlir crre, ils ne s’adonnent plus a ce genre de Peinture, qui immortalifoit leurs Peres
& anoblifloit leur état; ils font prefque tous reftraints a pratiquer la Vitrerie, Regar- dons-la done ici comme indépendante de la Peinture fur Verre, & examinons ce qu’on peut appeller VArt du Vitrier.
Ce ne fera done plus dans la décoration de ces anciennes Bafiliques, confacrées au Culte du Seigneur, ni dans cette antique magnificence des Palais des Grands , que nous en adtnirerons 1’excellence; nous allons expofer les ufages plus modernes aux- quels notre Art fut employé, depuis que les Archite&es , auffi curieux d’introduire la clarté du jour, que leurs prédéceffeurs s’étoient efforcés de 1’écarter, jugerent plus con- venable de fubftituer les vitres blanches aux vitres peintes, a la toile ou au papier, dans les grands édifices comme dans les maifons particulieres. En donnant a nos habi¬tations un agrément qui leur manquoit, ils procurerent a celui pour qui elles font deP tinées le double avantage d’être moins expofé a 1’intempérie de fair , & de jouir du libre afpect de la Nature & de fes poffeffions.
C’eft cette Vitrerie familiere & domeftique, pour ainfi dire , dont nous allons nous occuper. Nous avons traité de celle relative a la Peinture fur Verre, dans nos deux Parties précédentes, & nous y avons prouvé que eet Art ne pouvoit exifter fans le fecours de la Vitrerie , dont il fait la principale branche, puifqu’il en eft le complément. Recherchons d’abord les temps ou 1’ufage des vitres blanches paffa aux fenêtres, foit dans les grands édifices, foit dans les fimples maifons: puis nous entrerons dans les détails méchaniques de la Vitrerie moderne; Art, qui, a force d’être fimplifié, eft prefque tombé dans 1’aviliflement, en defcendant du plus haut degré auquel un Art put fe vok élevé, a fétat du métier le plus pénible & le moins eftimé, le plus fragile & 1§ moins récompenfé, le plus ruineux & le moins dédommagé.
CHAPITRE PREMIER.
Des temps auxquels I’ufage des Pitres blanches pajfa aux fenêtres,
foit dans les grands edifices, foit dans les maifons particulieres
de la France, <$G y devint plus fréquent.
(«) Principes d’Archite&ure , Chapitre XXI de la Vitrerie.
(b) C’eft de ces cives ou cibles dont Jean-Marie Catane'e, dans fes Commentaires fur Pline le Jeune, dit que de fon temps, c’eft-a-dire, vers la fin du quin- zieme fiecle, on fe fervit pour chaffer des maifons, en Italië, 1’aprété des vents froids par un affemblage de plateaux de verre, ronds, réunis Sc joints enfembleavec une efpece de maftic. Sicut nofird tempeftate vitreis orbibus conglutinatis frigtts & ventos arcewius.
(r) La Maifon de Tourville , eft une des plus ancien' nes de Ia Baffe-Normandie.
(d) Journal de Trévoux, aumoïs de Novembre 1733»
(e) Geneve, 17/6, chez les Freres Crammer, iu~8°. Chapitre LXIX , pag, 170.
connüt- depuis long - temps Fufage des vitres, ii dtoit ndanmoins fort rare au quatorzieme, &que c’dtoit unluxe que de s’en fervir : & quoique ce que ce célebre Auteur ajoute immédiatement, que cet Art 9 porté par les Franqois en Angleterre en. 1180, y fut regardd comme une grande magnificence, paroiffe contraire a ce que j’ai établi (a ) fur Fexcellerice avec Iaquelle les Anglois pratiquoient des lè douzieme fiecle le double Art de la Verrerie & de la Peinture fur verre, par prdfdrence aux Francois, de qui ils le tenoient dès le feptieme fiecle ; ce qu ii en dit n’eft pas favorable a Fopinion de M. de Perin fur la frequence de cet ufage au treizieme fiecle , puifquil le regarde comme une fuite du luxe des treizieme & quatorzieme fiecles auxquels il dtoit felon lui tres-rare.
20, Selon Sauval (b) d’après FHiftoire de Charles VI écrite par Jean Ju venei des Urfins, ce ne fut guere que vers la fin du quatorzieme fiecle que Jean, Due de Berry, après avoir fait rebatir magnifique- ment fa maifon de plaifance de Bicêtre ( h ), & Favoir^enrichie de quantité’ de Peintures, pour dernier embelliffement 9 il y ajouta des chaffis de verre qui ne faifoient dans le temps que de commence? d orner /’Architecture. Or cette diftinftion entre la quantité de Peintures & /’émbellffement des chaffis d verre, eft trop fenfiblement ame¬nde par cet Auteur contemporain du Prince dont il dcrivit Fhiftoire, pour que nous n’y, reconnoiffions pas fous le nom de Peintures même les Peintufces fur verre , & fous celui de Chaffis de verre les vitres blanches dont Fufage ne faifoit que commeneer d orner rArchitecture.
Paffons aux monument^, Jé crois être autorifd a mettre au rang des monuments les plus anciens de vitres blanches appli- qudes aux fenêtres même des Eglifes, les fix vitraux qui dtoient encore en 1761 dans
( « ) F'oyez le huitieme Chapitre de la premiere Par- tie.
(b) Antïquités de Paris, Lïv. 7 , Chap. VII, pag. 71:
(O C’eft par corruption qu’on nomme ainfi ee Cha¬teau; on devroit plutót Ie nommer Pmcefire, du nom de Jean, Evêque de Vincefter en Angleterre, a qui ü avoit appattenu dès Fannée 1104.
la galerie autour du choeur de FEglife de Paris au-deffus de la ceincure du fan&uaire,
& que de 1’ordre du Chapitre j’ai remplacé par des vitres neuves. Ces fix vitraux étoient en vitres blanches fans aucune couverte de peinture blanche ; mais d’une ordonnance qui annoncoit le peu d’ufage ou Fon étoit pour lors de faire des vitres de cette forte. Le verre, qui en étoit tres-blanc, avoit fes furfaces ondées & raboteufes; leurs compar¬timents étoient en pieces quarrées pofées en pointes, comme la lozange, d’un très-mau- vais gout. Dans un de ces vitraux, étoit un feul panneau de verre peint, dans lequel on diftinguoit un Eccléfiaftique revêtu d’une daltnatique , qui tenant debout entre fes mains le plan en éfévation d’un de ces vitraux rempli de vitres blanches, dans le même compartiment que deffus, fembloit en faire 1’inauguration. Au bas de ce panneau étoit en lettres noires, fur un fond du même verre que le reliant du vitrau, une infcrip- tion très-dérangée dans fon contenu , dans iaquelle je retrouvai néanmoins en carac- teres du quatorzieme fiecle, (zz) Michael de Dar ene ia co cap .... us has fex -vitriarias ...
anno curieux de recouvrer, s’il étoit
>offible, la date de ces vitraux, remarqua- )les par le mauvais gout de leur ordonnance , j’eus recours a M. 1’Abbé Guiilot de Mon- joie, Chanoine de Paris, Fun des deuxlnten- dants de la Fabrique, dont les foins infati- gables , la vigilance & le bon goüt pour les réparations & Fembelliffement de la Cathé- drale , font au - deffus des éloges qu’une plume aulfi foible que la mienne entrepren- droit. Aufii-tót M. FArchivifte du Chapitre fut chargé de rechercher ce qu’on pourroit découvrir fur le nom Francois de ce Dona¬teur , fur le rang qu’il tenoit dans le Cha¬pitre , & fur le temps auquel il pouvoit avoir fait le don de ces fix vitraux. Les recherches nous apprirent qu’il y avoit eu un Chapelain de Saint Ferreol dans FEglife de Paris du nom de Michel Darancy , très- ïiche ; & qu’il avoit fait en faveur de cette Eglife un tellament en date de Fan 1358.
On peut done inférer de ce monument que Fufage des vitres blanches, même dans les Eglifes, n’étoit pas encore fréquent dans les premieres années du quatorzieme fiecle. Si Fon examine fur-tout la nature du verre qui fut employé dans ces fix vitraux , la groffiéreté de leurs compartiments , & le mérite que ce Chapelain parut s’en faire comme d’une chofe rare, dont il voulut que la mémoire fut confervée dans le panneau , ou il s’étoit fait repréfenter, & dans 1’inf- cription qu’il y avoit fait inférer, je ferois prefque tenté de croire que les Peintres-
Vitriersquiembraffoienc alors les deux Arts, préfageant des - lörs la ruine que les vitres blanches pourroient caufer a la Peinture fut verre, ne fe prêtërent pas volontiers a les employer ; tant il répugne de fe figurer que des mains fi habiles dès le treizieme fiecle a traiter les compartiments de toutes fortes de grifailles en lacis, dont nous avons parlé en traitant de la Peinture fur verre de ce temps- la , dont la plupart des Eglifes de 1’Ordré de Saint Benoit & de Saint Bernard, & dont FEglife de Paris conferve elle-même des vitraux dans quelques Chapelles au pourtour du Choeur, ayent fi grofliérement traité les vitres blanches dont nous venons de parler.
Les Hiftorie ns & les monuments même ne nous montrant rien de favorable a 1’opi- nion de M. de Perin, recourons maintenant au temps de Fétabliffement de nos groffesVer- reries de verre a vitres. Or les premieres ne datent que du quatorzieme fiecle, fous Phi¬lippe VI & le Roi Jean. Et fi en moins d’un demi-fiecle, ils en établirent jufqu’a neuf 9 on ne doit pas s’imaginer que Fufage des vitres blanches fut déja affez accrédité, pour en être la feule caufe : car quoiqu’il paroiffe qu’on n’y fabriquoit que du verre en plats , il eft certain que tous les plats de verre qu’on y owvroit n’étoient pas de vitres blan¬ches. Les Vitriers, dans les démolitions qu’ils font journellement des vitres peintes de ce temps-la , trouvent fouvent des boudines
de verre de couleur qui avoit été ouvert en plat (a\
L’utilité & 1’agrément qui provenoient de ces Manufadures, encouragées par ces Monarques, donnerent lieu dans le quin- zieme fiecle a Fufage plus commun des vitres blanches dans les maifons, & fous Louis XI a la création de la Communauté des Maitres Vitriers.
Dès le feizieme fiecle , on perqa les bati- ments de fenêtres plus grandes que par le paffé. Francois I en donna 1’exemple, en faifant aggrandir celles du Louvre pour la réception de FEmpereur Charles-Quint. La confommation du verre, ou peint, ou blanc, fut beaucoup plus ^grande. L’Art de la Pein¬ture fur verre s’étoit, comme nous avons vu (h), beaucoup étendu pour la décora- tion des Eglifes. Ce qu’on en plaqa dans les maifons, ne confifta plus qu’en quelques tableaux fouvent d’une feule piece, pofés fur un fond de vitres blanches, dont Fufage prévalut feul au fiecle de Louis le Grand.
(a) Philippe de Caqueray, Ecuyer, fleur de Saint Immes, en faveur de qui Philippe VI, créa en 1330, la premiere de nos grofles Verreries, eft Inventeur des plats de verre en. boudine, fous le nom de Verre de France.
(b) Voyez les Chapitres de la premiere Partie, oil je traite des Peintures fur verre du dix-feptieme fiecle,
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