CHAPITRE VI
N o u s avons dit ailleurs que Pufage de fermer les fenêtres contre les injures de Pair avec le verre étoit beaucoup poftérieur a celui de le faire avec la corne bouillie , le parchemin huilé, la pierre fpéculaire ou le papier d’Egypte (a), C’eft pourquoi nous ne nous étendrons point dans ce Chapitre fur 1’antiquité de cet ufage, mais fur PArt de le faire tel qu’il eft ufité parmi nous 9 6c ce afin de ne rien laiffer a défirer fur ce qui concerne PArt de la Vitrerie ; ce n’eft pas que nous ignorions que Pufage de garnir des chaflis de fenêtres de carreaux de papier hui¬lé n’a pas toujours été propre aux Vitriers exclufivement. A Lyon, parexemple , cette occupation fait encore de nos jours une par- tie du métier des Charpentiers qui facon- nent les bois des croifées, & les garniffent de papier , concurremment avec les Vitriers. A Paris même, vers la fin du dernier fiecle, ceux qui les garniffoient ainfi , étoient connus fous le nom de Chajfijfiers ; & le Vitrier qui réparoit ou nétoyoit les vitres des croifées de dedans des falies du Palais & dépendances, laxfToit au Chaffiffier le foin de renouveller lea doubles croifées en papier.
Les chaffis garnis de papier étoient autre-fois fort en ufage dans Paris , ou il eft trea- rare d’en trouver encore ; fi ce n’eft dans les atteliers des Peintres ou des Qraveurs. Ces chaffis tenoient les appartements plus clos & plus fourds contre le bruit du dehors. Le jour qu’ils rendoient, étoit plus uniforme, & fatiguoit moins la vue. Le foleil ne paffant point au travers des pores du papier , com-me il perce ceux du verre, ne dardoit pas fi vivement fes rayons dès le matin, & le Jour que le papier paroiffoit renfermer dans les appartements fembloit s’y perpétuer le foir avec plus de durée. Il n’y avoit point de lieux d’étude ou de Communauté Keli- gieufe qui n’eut des doubles chaffis garnis de carreaux de papier. Ges chaffis y tenoient lieu de rideaux contre Pindifcrétion de la curiofité de dehors ou de dedans.
L’ufage d’y inférer un rang de carreaux de verre parut Papproprier par la fuite a la profeffion de Vitrier ; ils demandoient dela part de ceux qui les garniffoient beau- coup de foins & de précaution. On en
jugera par leur appaieii que nous allons décrire. "
On employoit alors du papier d’Auvergne, bon , e’eft-a-dire , dont les feuilles fuffent en- tieres, fans tache d’eau & fansm^r degrat- toirs., Ces défauts qui fe rencontrent dans le papier retrié 3 le rendent impropre a cet ufage. Le papier d’impreffion eft préférable , comme moins collé : trop de colje empê* cheroit les matieres graffes & on&ueufes, dont nous verrons qu’on fe fert pour don¬ner au papier plus de tranfparence , de le pénétrer également.
A Lyon, ou lufage des chaffis a papier s’eft perpétué dans les Fabriques d’Etoffes de Soie , ou il fournit aux Ouvriers un jour plus égal que le verre ne peut faire , on nem- ploieguere que du papier de Franche-Comté. *■ Lorfque 1’on veut garnir des doubles chaf¬fis en papier, avant que de le couper, on y rapporte la mefure des carreaux, en obfer- vant de laiffer autour du vuide du carreau environ fept a huit lignes d’excédent, pour ce qui s’en doit appliquer fur le petit bois» Il n’y a guere qu’a Lyon ou les carreaux des croifées font affez petits pour qu’une feule feuille puiffe en couvrir quatre a la fois. Les mefures les plus ordinaires a Paris étoient celles qui , après avoir ébarbé les bords d’une feuille de quinze a feize pouces de haut fur vingt pouces de large , pour 1’empêcher de goder (a) , pouvoit couyrirle vuide de deux carreaux de douze a treize pouces de haut fur huit a neuf pouces de large chacun. Quant aux carreaux qui excé- doient cette mefure en largeur, on n’en pre- noit qu’un dans une feuille. Le furplus fe coupoit en bandes qui fervoient pour le col¬lage , ce qui (je crois, plus que toute autre caufe), a introduit dans Lyon .Pufage de coller les carreaux de verre, comme a Pa¬ris , pour appliquer plus utilement 1’emploi de ces bandes. ■
Le papier étant coupé , le Chaffiffier étendoit fur laz table un morceau de groffe toile d une grandeur convenable, fur lequel on arrangeoit les carreaux de papier coupé deux a deux, dt toujours fur lemême fens. A chaque tas de deux en deux carreaux , (en fuppofant le papier de la quulité que
nous avows prefcrite) on le mouilloit avec un chiffon bien doux imbibé d eau claire 9 que Pon paffoit légérement deffus , pour ne pas 1’écorcher.
On fuivoit pour cela i’ordre des croifées & des différents chaffis qui étoient agarnir; on les arrangeoit Pun fur 1’autre , de manie¬re que quand tout ie papier étoit mouillé, en rètöurnant le tas entier fens deffus deffous, les premiers carreaux mouillés fervoient a garnir lè premier chaffis de derriere du tas de chaffis qui étoit a recouvrir en papier.
On mettoit enfuite le papier en preffe, après l’avoir couvert d’un linge , & par- deffus le linge d’un ais que Pon chargeoit d’un poids plus ou moins lourd, a propor¬tion que le tas de papier mouillé étoit plus ou moins épaïs.
Toute faifon h’eft pas également propre a garnir des chaflis de carreaux de papier. La féchereffe pendant 1’été , 1’apreté de Pair pendant Phiver, refferrant trop vite le milieu du carreau, le fait féparer & caffer fur les bords , qui reflent plus long- temps humides , & alors tout POuvrage eft pérdu. La faifon la plus favorable eft Pautomne. De même trop d’humidité dans un temps de pluies continuelles empêchant le papier de fe tendre , en fe refferrant retarde Popération , qui confifte a le frotter avec les matieres graiffeufes , dont nous parlerons bien-töt.
Pendant que le Chajfijfier coupe & mouil- ie fon papier, un autre a foin d’enlever le vieux papier; fi ce font d’anciens chaflis a xenouveller en papier, en grattant au vif les petits bois, qui en font couverts , afin que Phuile ou la fubftance graiffeufe dont il a été oint, n’empêche pas la colle de s’y appliquer.il les broffe, pour en enlever la poufliere, & en fait un tas dans le même ordre que le papier a été coupé , afin d’éviter la confufion qui pourroit y être occafionnée par la quantité des mefures différentes.
La colle qu’on employoit, devoit être pré- parée pour s’en fervir dans le befoin. C’étoit affez ordinairement le foin de la Ména¬ge™. ,
Cette colle fe fait avec la colle de Flan- dres la plus claire; on la rompt par petits éclats , que Ton laiffe tremper a Peau froi- de. Lorfque Pon s’apper^oit qu’elle s’eft beaucoup renflée & amollie, on la fait fon¬dre fur un feu doux, en la remuant fré- quemment, de crainte qu’elle ne s’attache au fond & qu’elle ne s’y brule. La colle étant bien fondue , de faqon qu’on n’y dif- tingue plus aucun corps épais, on lui laiffe prendre un ou deux bouillons , en veillant a ce qu’eile ne monte pas par-deffus le vafe dans lequel on la fait cuire , jufqu’a ce que Pon reconnoiffe qu’elle tient au bout du doigt en refroidiffant. On s’en fert alors, en la tenant toujours cbaude fur un réchaud ; dans lequel on entretient du feu éloigné du chaffis, fur lequel on va 1’employer.
A eet effet un Ouvrier, qui eft affez ordi-nairement 1’Apprentif, s’il y en a un dans la boutique , trempant un pinceau, ou petite broffe ronde, a long manche, garnie de poils, & de groffeur d’un pouce ou environ de diametre, dans un vaiffeau oü il a verfé de cette colle chaude, l’étend également fur toutes les parties du bois que le papier doit couvrir, en commentjant par le car¬reau d’en bas & fucceffivement comme nous avons dit par rapport au collage des carreaux de verre. Alors le ChaJjiJJier , le¬vant avec Pextrémité des doigts de cha- que main une feuüle ou carreau de pa¬pier de deffus le tas mouillé , & la portant au-deffus de fa bouche, en pince légérement 1’autre extrémité entre les le- vres, oü il la retient plus élevée , pen¬dant qu’en s’inclinant vers le chaffis , il Papplique quarrément avec les deux mains fur la furface des petits bois , oü il Pétend uniformément, iachant d’entre fes levres 1’autre extrémité qu’il y tenoit renfermée : enfuite, il paffe légérement le bout des doigts par- deffus, fur-tout dans les coins 9 pour mieux Pappliquer , fans la trop gêner en 1’étendant.
Les chaffis, amefure qu’ils font garnish doivent être mis a Pabri contre la trop grande féchereffe , comme nous avons déja dit, ou contre une trop grande humidité 3 de maniere que la colle & le papier féchent enfemble avec plus de lentcur que de pré- cipitation.
Sitöt que le Chaffiffier connoiffoit que fort ouvrage étoit bien fee, il prenoit ordinai¬rement de Phuile d’oeillet , qu’il préfé- roit comme la plus blanche & de meilleure odeur; puis la verfant dans un godet, il y trempoit un linge bien doux, qu il prome». noit légérement fiir toute la furface du car-reau , & même fur le papier qui recouvre les petits bois. Cette huile donne aux car¬reaux de papier une tranfparence plus claire que celle qui lui eft propre, en même temps qu’elle lui communique plus de force & de xéfiftance contre Pintempérie de Pair.
On fe fervoit encore a eet effet de fuif de mouton le plus blanc, que 1’on faifoit fondre a un feu modéré dans une terrine , dans laquelle on trempoit un linge doux que Pon promenoit de la main droite fur le papier, pendant que la gauche tenoit au-deffous du carreau , a une diftance fuf- fifante pour échauffer le papier, fans le brü- ler, un réchaud de feu qui fervoit a faire fondre ce fuif & a 1’étendre également.
Quelques perfonnes a qui 1’odeur de Phui- le ou du fuif devenoit incommode, vou- loient que leurs chaffis fuffent cirés. Au Heu
lieu de fuif 9 le Chaffiffier fe fervoit de fain- doux fondu avec la cire vierge mêlés par moitié y qu’il étendoit fur le papier de la meme maniere qu’il faifoit pour le fuif de mouton.
Il eft encore une autre faqon de garnir des chaffis de carreaux de papier huilé, qui, en la pratiquant en faifon convenable , eft beaucoup plus prompte. Geux qui en avoient 1’ufage 3 commen^oient par frotter d’huile fur une toile cirée , étendue fur la table, les carreaux de papier, en épar- gnant les bords, qui devoient s’appliquer fur le bois : ils les mouilloient enfuite par le cóté oppofé a celui qu’ils avoient frotté d’huile ; ils les appiiquoient fur le chaflis; après les avoir laiffés pendant quelques heu- res en preffe. Sitöt qu’iis étoient fees, il n’y avoit plus a y retoucher , & on en po- foit les chaffis en place*
Les perfonnes les plus économes, lorf- que les carreaux de papier de leurs doubles chaffis étoient d’une dimenfion plus étendue que 1’ordinaire, faifoient attacher dans les angles des petits bois, avec de petits clous d’épingle a tête, de menues ficelles, fou- vent des cordes a boyau, qui traverfant Tétendue du carreau en fautoir , étoient en outre retenues fur le carreau de papier par des bouts de bandes de papier appliqués en lozange fur le carreau par une légere ini' preffion de colle-forte.
Gette mince garniture de chaffis , qui expofée a la pluie , au foleil & aii vent ƒ ne pouvoit réfifter a leurs attaques plus d’une année, & par conféquent devoit être renouvellée tous les ans, occafionnoit plus de dépenfe que le lavage ordinaire des car' reaux de verre collés ou maftiqués ; öc e’eft, je crois, ce ,qui n’a pas peu con- tribué a en profcrire 1’ufage de la part des plus ménagers. Par rapport a d’autres moins fages , & fe&ateurs des modes, le recueil* lement que 1’ufage des carreaux de papier fembloit perpétüer , n’entrant point dans le gout de frivolité, de diffipation, ou de luxe qui les animoit, ils les ont fait difpa* roitre , comrae ils ont fait a Pégard des vb tres peintes, & des vitres en plomb, objets principaux de ce Traité hiftorique & pratique de la Peinture fur verre & de la Vitrerie ( * ).
( *) Extrait dtt Supplément a la Gazette $ Utrecht du 14 becembre 177 5 • De Madrid le ao Novcmbre.Cc ftecle offriral a la poftérité plufieurs découvertes utiles a l’humanite & aux Beaux-Arts. L’Efpagne y brillera ainfi que les autres Contrees de 1’Europe. Depuis long-temps on a perdu le feeret de donner aux Peintures fur le Verre ce feu, ce coloris & cette durée que 1’on admire encore fur les vitres de plufieurs anciens batiments. Ce feeret» s’il eft perdu, vient d’être remplace par un autre noii moins admirable; celui de peindre le Verre au feu $ avec toutes fortes de couleurs, 8c avec autant , ft ce n’eft pas plus , de perfection qu’anciennement. Un Peintre nomm© Don Manuel Moreno Aparicio, des en-; virons de Tolede, a découvert ce feeret; 8c les expe¬riences que 1’on a faites , prouvent que cette Peinturé refiftera également a 1’eau 8c aux intempéries de Fair*
Addition d la Page 2 nJ.
DANS la defcription que nous avons don- ftée des tire-plombs Allemand & Francois,
& des plombs qui en réfultent, nous n’a- vons pas fait mention d’un autre tire-plomb & des plombs qu’on y tire, qui n’eft pas encore eonnu en France , 6c qui eft fort en ufage en Allemagne. Nous n’avons dc- crit jufqu’a préfent> que des plombs de fix lignes de largeur, tout au plus ; mais il s’agit préfentement de faire voir qu’on peut tirer d’autres plombs , qui ont jufqu’a dix lignes de largeur , & qui contiennent le long de leur axe un gros fil de fer.
Le plomb dont il s’agit fe fait en deux pinces femblables; elles portent une cham- brée quarrée d’un cóté, & une demi-ronde de 1’autre. On fent bien que lorfqu’on tire ce plomb , il eft néceffaire qu’une roue du tire- plomb ait fa circonférenee quarrée > & i’autre plus épaifte, & demi-ronde; 1’une de ces chambres eft pour recevoir le verre, & I’autre le gros fil de fer. Lorfqu’on a ainfi tiré la quantité de verges de plomb dont on peut
PEINT. SUR J^ERRE, III, Part<
TART DU
roues doivent être plus petites de diame- tre de toute Ia quantité que FépailTeur du gros fil de fer jointe avec les coeurs des deux moitiés de la verge peut exiger. Les coulïinets doivent porter des moulures convenables.
Lorfqu’on a ainfi repafTé la verge de plomb dans Ie tire - plomb monté comme nous venons *d’en donner 1’idée , elle eft alors fort belle , bien unie, bien blanche & trés- folide y attendu que cette derniere opération . Fa faconnée Óc a bien ferré le gros fil de fer. On fuppofe qu’on a bien dreffé au- paravant le gros fil de fer, qui doit être tiré exprès pour cela, afin qu’il fe trouve de la groffeur convenable , a la largeür de la verge qu’on fe propofe de faire.
On doit avoir plufieurs lingotieres pour fondre les verges de plomb de la dimen- fion: proportionnée a la force & a la lar- geur des verges que 1’on doit pafler dans le tire-plomb ; il faut en dire de même des coulïinets & des roues. Il eft néceflaire d’en avoir de toutes les formes & dimen- flons convenables a Fouvrage qu’on veut faire. On fait de ces verges, depuis fix lignes jufqu’a dïx de largeur, Dans celles-ci le fil de fer effc bien
les premieres.
VI TRIE R.
lieu de la verticale : cela depend de la direc¬tion & du jugement du Vitrier. Lorfqu’on a ainfi alfemblé les quatre parties & qu’on les a foudées, on les recouvre des deux cótés d’une piece de cuivre qu’on a cou- pée & même cifelée avec un étampe fur une maffe de plomb ; on Fétame fur le deffous „ on la perce par la face étamée fur Faffemblage , & par la feule applica¬tion du fer a fouder , fuHifamment chaud , on foude ces deux lames de cuivre min¬ces y qui non-feulement couvrent la diffor- mité de Faffemblage, mais encore fer¬vent d’ornement.
Bien fouvent on n’eft obligé de faire aucun affemblage : on met tout en une piece les verges de plomb, lorfque les croi¬fées ne font pas bien larges. On voit des vitres ainfi conftruites, qu’on pofe dans une feuillure de la croifée , & on recouvre cette feuillure d’un chafïis affez mince, de fer, qu’on fait tenir avec des vis & des écrous. Chacun peut fuivre fes idéés la-def- fus.
On ne peut rien voir de plus avantageux , de plus folide ni de plus propre, que des vitres montées avec ces fortes de verges de plomb. Elies donnent plus de jour, ne pour- riffent ni ne fe gatent jamais. Les croifées coütent beaucoup moins, attendu que ce qu’on appelle petits bois , eft bien plus cher & ne dure pas long-temps. Comme la mode préfente eft de faire toutes les vitres a grands carreaux , ces verges de plomb y feront très-propres. Lorfqu’on re- garde ces vitres en dehors , la blancheur Óc la propreté de ces verges font plaifir a voir ; elles décorent beaucoup les fenêtres. Du refte on peut les ajufter dans les croifées foit de bois ou de fer.
Tin de la troijïeme Ear tie.