CHAPIIRE V.
MAIN-D’<EUVKE.
I Après avoir parlé des propriétés générales du verre, des ólé- i Hients qui le composent, des pots et fours dans lesquels s’opère j la vitrification, du combustible par lequel elle s’opère, nous ne I croyons pas nous éloigner de notre sujet en parlant des ouvriers 1 par lesquels s’accomplissent toutes les operations qui concourent a la production du verre. Nos successeurs pourront trouver quel-I ‘ que intérêt dans ce court exposé, et nos contemporains étrangers | a 1’art de la verrerie auront occasion de rectifier quelques idéés | fausses, quelques prójugés relatifs aux ouvriers des verreries.
I Dans toutes les verreries un peu importantes, on emploie des 7;J1
I menuisiers, des charpentiers, des forgerons, des maqons, etc. | Nous n’avons pas a nous occuper des ouvriers de ces diverses | professions. Il y a ensuite les potiers, fournalistes, tiseurs, fon-
| deurs, qui, attachés a des travaux de verrerie proprement dits, I peuvent être aussi bien employés dans une fabrique de verre a | vitres que dans une cristallerie, dans une glacerie que dans une
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1 verrerie a bouteilles. Enfin, ii y a les ouvriers qui souffient le ■J ,
| verre a vitres, ceux qui 1’étendent, les souffleurs de bouteilles, les | souffleurs de gobeletterie, de cristal, les tailleurs et graveurs de I cristaux. Toutes ces divisions sont spéciales. Les souffleurs de verre a vitres ne sauraient pas faire les bouteilles, ceux qui font
ir ’ ces dernières s’acquitteraient assez mal du soufflage des cristaux. Et parmi toutes ces categories d’ouvriers de verrerie, ceux-la seuls sont appelés verriers qui souffient le verre ou le cristal, et. pour les distinguer, on dit: verriers en cristal, en verre a vitres, en bouteilles, en gobeletterie.
II résulte de ces spécialités, du nombre limité des verreries de chaque espèce, et de 1’óloignement de ces verreries les unes des aulres, que les verriers sont une classe d’ouvriers essentielle- inent nornadcs; ils ne se disent pas Lorrains, ou Flamands, ou
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- Proveripaux; car, s’-ilssont nés dansle département de Ja Meur the, ils 1’auront peut-être quitté dans Ja première enfance pour aller avec leur familie dans le département du Nord, oü ils no seront peut-être restés que peu d’années, pour aller ensuite a GiVors ou a Rive-de-Gier. lis justifient, du resté, assez généralement ce proverbe que pierre qui roule n’amasse pas mousse; et quoique les salaires des verriers soient presque tous très-ólevés, ce n’est pas ,a majorité des verriers qui pourvoit par 1’épargne au repos des vieux jours.
jè dois dire, toutefois, qu'il y a des établissemenls ancienue-“ ment existants, oü les verriers et autres ouvriers sont nés, sont restés attachés, eux et leurs enfants, et font, pour ainsi dire, partie de la familie des maitres de verrerie. On leur a donné une
' portion de terre a cultiver, on a veillé a 1’instruction de leurs enfants, oh les a encburagés dans leurs dispositions & l'économie, 6t par une vie laborieuse ils acquièrent le repos et 1’aisance de leurs vieux jours- Le nombre d’établissements dirigés avecde telles vues paternOlles tend chaque jour a aügmenter, malgré 1’état de concurrence existant entre les maitres de verrerie qüi est üne grande cause de démoralisation; les ouvriers, souvent sollicités par des salaires plus élevés, sont moins stables, voyagenl dad¬vantage, ils perdent les habitudes d'ordre; et ce n’est pas la un des moindres fléaux qui résultent et de la concurrence et dü mor-cellement de 1’industrie. Mais gardons-nous d’entrer dans la dis¬cussion de ces questions sociales, c’est de la technologie que noüs voülons faire, et non de l’économie politique.
ReVenons done a 1’état actuel de la condition du verrier. Nous dirons que leur salaire, quoique généralement assez élevé, diffère assez sensiblement pour les diverses spécialités de verreries, sans que ces différences soient en rapport avec les difficultés et le mé¬rite du travail. Ainsi, le verrier qui produit toütes ces formes si variées, si élégantes dü cristal, ne gagne pas autant que le Verrier l qui soufflé du verre a vitres, qui cépehdantiravaille chaque sepiaine s<
pendant un moindré nombre d’heures. C’est que ces dérniérs ont j joui, jusque dans ces derniers temps, d’uu privilége qu’ils s’é- | taient eux-mêmes attrihué, ét qu’ils ont su se maintenir pendant | ün temps assez long. 5
Quand nous ferons 1’histöriqüe du verre a vitres, nous dirons que g
la fabrication dè ce verre au moyen de cylindres fendüs et dóve- g
loppés, qui était celle décrite par le moine Théophile au douzième ou treizièrae siècle, avait cessé d’être pratiquée en France et ne s’était maiiitenue qu’en Allemagne, en sorte que, quand on voulut dans le siècle dernier renouveler celte fabrication, on dut faire venir' en Lorraine des ouvriers d’Allemagne. D’autres verreries qui imitèrent la verrerie de Saint-Quirin, laquelle avait donné rim- pulsion a cette fabrication, firent aussi venir des souffleurs alle- mands. Ces souffleurs, pour maintenir cétte industrie dans leurs families et n’en pas déprécier les salaires, s’entendirent entre eux pour ne pas faire d’apprentis et n’enseigner que leurs propres enfanls. II n’y eut a eet égard aucun engagement écrit, aucun central, que laloi, d'ailleurs, n’eut pas reconnu, et, toutefois, ja¬mais acte authentique ne fut plus rigoureusement observé pen¬dant un siècle. De cette espècé de ligue, d’ailleurs, les raaitres dc verrerie, peu nombreux alors, profitaient aussi, puisque cette industrie ne pouvait prendre de développement en dehors d’eux, et c’est ainsi que le soufflage du verre a.vitres se trouva concentre dans un certain nombre de families dpnt les noms, encore aujour- d’hui, attestent 1’origine. Nos souffleurs de manchons sont des 'J’heber, des Zeller, Stinger, Schmidt, Singer, Wieclil, Walker, Lober, etc., etc. Après plusieurs générations, la ligue tacite entre ces oqvriers était aussi rigoureusement observée que dans le principe. Tous les souffleurs d’une verrerie, il y a raoins de vingt ans, eussent cessé le travail si le maïlre eut voulu faire des ap-prenlis qui ne fussent pas de leur sang t et comme, dureste, de tels . r - ' ' ' J '
apprentissages eussent été très-dispendienx, ce privilege se main- tint. Maïs peu a peu, el surlout en Belgique, quelques aides- souffleurs se hasardèrent a souffler des manchons, en trèrent dans d’autres verreries comme souffleurs. Ces derniers eurent moins de repugnance a former des élèves; c’est ainsi que des corniaux1 commencent a se mêler en assez grand nombre aux ouvriers de race. Comme, d’ailleurs, la con'sommation du verre s’est accrue dans une immense proportion, qu’on a cessé en France, en Bel¬gique et dans presque toule 1’Allemagne, de souffler du verre a vilres en plateaux, qu’en Angleterre même celte dernière fabrica¬tion a été en grande pariie remplacée par le verre en manchons, Ie salaire de ces souffleurs est encore, de nos jours, plus élevé que On appcile ainsi les verders qui ne sent pas du sang.
celui des autres verriers; et nous n’avancerons saus doute pas mi fait étonnanl en disant que c’est partni ces verriers, dont le salairo est le plus élevé, qu’on rencontre généralementle moins destruc¬tion, les intelligences les moins développées. Cette ignorance a tenu en grande partie a ce qüe les ouvriers verriers faisaient tra- vailler leurs enfants des leur bas age comme gamins, et quo les heures de travail ne s’accordaicnt généralement pas avec celles de Pécole.
Qu’il nous soit permis de faire justice ici de ce préjugé assez répandu, qu’autrefois 1’état de verrier anoblissait ou n’était exercé que par des gentilshommes verriers. J’ai fait beaucoup de recherches pour me procurer les moyens de dire a ce sujet quelque chose de satisfaisant, sans pouvoir y parvenir. Hau- diquer de Blancourt dit bien, en parlanl du travail du verre et du cristal: « Les ouvriers qui travaillent a ce bel et noble art sont tous gentilshommes, et ilsn’en regoivent aucun qu’ils ne le con- naissent pour tel. » A eet égard, eet auteur ne mérite pas plus de créance que pour d’autres assertions de son livre. Toulefois, ce qui donnelieu a 1’erreur de Haudiquer de Blancourt, e’est qu’effec- tivement des geutilshommes avaient obtenu des privileges pour établir des grosses verreries (verreries a bouleilles), priviléges portant qu’ils pourraient exercer eet art sans déroger a leur no¬blesse. Antoine de Brossard, seigneur de Saint-Martin et de Saint- Brice, écuyer de Charles d’Artois, comte dJEu, prince du sang royal, obtint de ce prince, en 1453, « une concession de verrerie dans tout son comté d'Eu pour travailler ou faire travailler au gros verre, avec promesse de n’en souflrir établir aucune autre dans son comté. » M. de Brossard, en marianl safille a M. de Ca- queray, lui donna en dot la moitié de son droit, et c’est ainsi que M. de Caqueray devint genlilhomme verrier. Quelques autres fa¬
milies nobles, telles que les Vaillant, les Virgile, les de la Mairie, de Sagrier, de Bongard, ohtinrent de semblables priviléges. Mais . ce privilege consistait a ne pas déroger et a pouvoir exercer celte industrie sans concurrence, dans un certain rayon. Quelques membres de ces families nobles, so trouvant sans fortune, ont pu honorer et ont en effet konoré la canne du souffleur; et, dans ce cas, ces messieurs arrivaient au four l’épée au cötê; mais ce n’est qu’accidentel et local; dos gentilshommes ont pu être^et ont été verriers, mais tous les verriers n’élaient pas gentilshommes.
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Il esl un autre préjugé assez généraleraent répandu, relatif a 1’insalubrité de la profession de verrier. On croit qüe ces oüvriers, exposés a une grande chaleur, et ayant souvent et longtemps les yeux fixéssUr le four incandescent, sur le verre en fusion, nieurent jeunes et deviennent aveugles: cela est tout a fait inexact. La sa- lubrhé des ateliers ést incontestable, fair y est conslainment re- nouveló par le fait de la combustion et du lirage. Les vapéurs sül- fureuses ou arsenicales qui pourraient provenir de la houille oü de la composition du verre, sont emportées par lé courant. Res- lerait done Ie rayonnement du calorique comme cauëe délétère et que ne peuvont supporter les personnes qui viennent accideïi- tellement dans une verrerie, mais auquel les verriers et autres personnes employées dans 1’usine s’habituent aisément, et qui n’entralbe jamais d?état morbide. Les verriers transpirent beaü- coup, mais comme ils travaillent au milieu d’un air constamment cn mouvement, ils ne söuffrent pas comme les moissonneurs ex¬posés au soleil par une journée calme. Je n’ai jamais appris qu'ün verrier pres du four soit tombé anéanti par la chaleur ainsi que cela arrive a ceux-ci.
Cette transpiration abondante les force seulement a user sou¬vent dune boisson légèrement acidulée ou mieux un peualcooli-. sée, comme de 1’eau avec très-peu de vin, de I’eau et de la bière; du vin pür ou même de la bière pure les mettrait bientót hors d’état de continuer leur travail. C'est une justice qüe nous sommes heu- reux d’ailleurs de rendre aux verriers en general, aussi bien a ceux qui soufflent le verre que le cristal et les bouteilïes: il est presque sans exemple de voir arriver un ouvrier ivre a son travail, ou de voir un verrier s’enivrer pendant son Iravail, et si quelque cas rare se présente, qu’un verrier soit sujet a faire exception, ii est méprisé par ses camarades meines. Je ne parle ici que de la France. II n’en est pas tout a fait ainsi dans d autres pays, en An- glelerre, par exemple. II y a des verreries oü les verriers entre eux
s’imposent des amendes qui frappent celui qui arrive au travail quandil est déja commencé, ou qui dans la suite dutravail devien- drait incapable dë le continuer pour cause d’ivresse. Les verriers ont en general un assez grand respect d’eüx-mêmes, et ce Senti¬ment louable a d’excellents résultats dans la bonne tenue des ate¬liers et la bonne confection du travail. Ce témoigna'ge, que nous nous plaisons è leur rendre après avoir pendant pres dé qua-
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rante ans vécu avec eux, nous a fait perdre de vue un iustaut ce que nous avions a dire en faveur de la salubrité de leur travail.
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Nous ajouterons que les verriers ont seulement des precautions a prendre en raison de leur abondanle transpiration, qui pourrait être brusquement arrêtée, surtout en hiver, quand ils quittent leur travail. Aussi ne manquent-ils pas de se couvrir alors suffi- samment pour se garantir de 1’air extérieur. La chaleur du four agit seulement d’une manière sensible sur quelques ouvriers ayant
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une peau plus délicate, et dont le nez et la joue qui se présentent au feu sont légèrement excoriés et rouges, mais la santé n’en est nullement. altérée ; et je puis altester que non-seulement il n’y a aucune maladie qui soit spéciale aux verriers, ce qu’ont reconnu tous les médecins qui, a ma connaissance, leur ont donné des soins, mais ils jouissent généralement d’une bonne santé. J’en ai contiuun grand nornbre ayant exereé leur étal jusque dans un age avancé, un grand nombred autres qui n’avaient cessé dé souffler que paree qu’ilss’élaient acquis par leurs économies la faculté du repos, et dans ma longue carrière de verrier je n’ai connu qu’un souffleur devenu aveugle dans sa vieillesse par suite d’une cata- racte.
Une seule chose est a regretter dans le travail des verriers, c’est 1’êge trop précoce oü les enfants commencent a servir les verriers comme gamins: le développement physique et intellecluel de ces enfants ue peut que souffrir de celte vie irrégulière, oü parfois le jour est consacréau sommeil, tandisqu’il faut travailler de nuit; Decertaines constitutions en sont altérées. Puis on ne peutguère demander è des enfants qui ont passé une partie de la nuit au four, d’aller a 1’ócole pendant le jour. II y en a, en consequence, bon nombre d’illetlrés. On arrivera, je I’espère, a retarder de quelques années Pad mission des enfants au travail des fours, et a régler ce travail de manière a ne souffler le verre que le jour, ce qui, d’ailleurs, sous bien des rapports, sera dans 1’intérêt du raaïlre de verrerie. Les lois sur le travail des enfants et sur 1’in- struction primaire, une plus grande sollicitude de 1’autorité et des chefs de fabrique, ont déja am ené de grandes modifications A eet état de choses regrettable.
J'ai parlé des verriers proprement dits. Il y a ensuite, ainsi que nous 1’avons dit, les ouvriers qui sont spécialement attachés aux verreries, tels que potiers, fondeurs, tiseurs, etc., qui nesont pas rétribués par un salaire aussi éievé, et dónt Vimportance cepen- dant est bien grande. Nous avons déja dit quels soins demandait ]a fabrication des pols, quelles ruineuses consequences pouvaient résulter de pots mal confectionné3. Un bon tiseur, un bon fondeur sont aussi des ouvriers préciehx> et non comtnuns. Un bon tiseur peut avec une quantilé moindre de combustible porter le four a une temperature plus constante et plus élevée. Dü soin et de 1’in- telligencedufondeur a opérersesrenfournements en temps oppor- lun résultera la bonne réussite de la fonte. Ils contribuent done tous dans une proportion non minime au succes ou a 1’insuccès des operations. Ces ouvriers, généralement plus modestesque les ver- riers, on t aussi des habitudes plus économiques, et, quoique avec des salaires eommunéruent peu supérieurs a la moitié de ceux des venders, elevent aussi honorablement leur familie, tout en déta- chant encore une parcelle de ce modeste salaire pour 1’épargnéi,
En lerminant ce chapitre, nous devons dire que, dans la plupart des verreries, les administrateurs peuvent être signalés par leur sollicitude éclairée pour le sort de leurs coopérateurs a tous les degrés. Cette sollicitude s’élend a une salie d’asile pour le pre¬mier age, a 1’inslruction et a la inoralisation des enfants, a la s a- lubrité des ateliers et des habitations, a 1’approvisionnenient è. bon marché des ménages, aux soins médicaux, a I’épargne et a la prévoyauce pour la vieillesse. J’ajouterai que ces oeuvres, très- louables en elles-mêmes, ne sont pas d’ailleurs étrangères au succes de 1’entreprise.