CHAPITRE IX.
Maniéré de faire un Criftal des plus parfaits.
PRENEZ de la Fritte de Criftal, faite avec loin , fuivant les réglés qui ont été prefcrites au commencement de cet Ouvrage ; mettez-la dans un creufet où il n'y ait eu aucune couleur ; car les vapeurs métalliques , dont prelque toutes les couleurs fe tirent, rendent le criftal pale & def- fe&ueux. Si vous voulez faire un criftal blanc, brillant & tranfparent, ajoutez à la fritte que vous aurez mife dans le creufet, autant de magnéfie que la grandeur du creufet lemblera l’exiger ; ce que l’expérience doit apprendre aux Verriers. Par magnéfie, j’entens colle de Piémont, préparée de la façon que j’indiquerai par la fuite. Pour chauffer le fourneau , il faut un bois dur & fec, tel que le bois de chêne; car un bois tendre feroit languir le feu : de plus, il eft néceffaire de l’attifer continuellement pour qu’il donne de la flam¬me , & pour éviter la fumée ; cette précaution contribue beaucoup à la beauté du criftal. Lorlque la fritte eft bien en fufion , il faut la retirer du feu pour la verfer dans une grande cuve de terre remplie d’eau froide , ou dans des vailfeaux de bois qui foient bien propres. On en fait l’extinc¬tion dans l’eau, afin que le fel alkali s’en fepare ;
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parce que ce fel fait tort au criftal qu’il rend obl- cur & nébuleux, & que le criftal le poulie vers fa furface , lorfqu’on l’a travaillé. On remet en- fuite la fritte dans un autre creufet bien propre, & on la fait pafler par plufieurs eaux, afin que le criftal foit purifié de tout fel. Toute cette opéra¬tion dépend de l’expérience de l’Ouvrier. On fait cuire la fritte lavée , pendant cinq ou fix jours, en obfervant de ne la remuer avec du fer que le moins qu’il ferapolfible ; car ce métal com¬munique toujours un peu de la couleur noire au criftal. Lorfque le criftal eft devenu clair, il faut Voir fi l’on y a mis alfez de magnéfie : s’il étoit en¬core un peu verdâtre, on y en remettroit davan¬tage, en obfervant d’employer toujours celle de Piémont, comme on le pratique à Murano, lori- qu’on veut faire un beau criftal ; en effet , celle qu’on apporte de Tolcane & de l’Etat de Gênes , contient plus de fer & noircit toujours l’ouvrage; c’eft pour cela que les Verriers donnent la préfé-rence à celle de Piémont : mais il ne faut s’en fervir qu’avec précaution & en petite quantité ; car elle donne au criftal une couleur de lie de vin, qui avec le tems le fait tirer fur le noir, & en diminue l’éclat. Après avoir remis de la ma¬gnéfie , il faut faire recuire le criftal, jufqu’à ce qu’il ait pris une couleur claire &. brillante. C’eft le propre de la magnéfie, lorfqu’elle eft mile dans une jufte proportion , d’ôter au criftal la couleur Verte & de lui donner de l’éclat. Je répété donc
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qu’il faut ne la mettre que petit à petit, cîe peur de gâter le criftal: l’on ne peut guerre en fixer la dofe ; cette connoiflance dépend de le habileté de l' Ouvrier. Après être parvenu à faire un crif¬tal tel que vous le délirez, hâtez-vous de lui donner la forme & d’en faire les ouvrages que vous vous êtes propofés, en obfervant cependant que le feu,qui doit être moins violent que lorfque l’on fait du verre-commun , foit firtout clair, de bois fec & fans fumée. Il faut que les outils de fer dont fe fert l’Ouvrier, foient propres & bien polis , & ne jamais remettre dans le creufet où eft la matière du criftal, le verre qui eft refté au bout de la canne & que l’on appelle cols i ce verre lui communiqueroit une couleur de fer & la gâte- roit. On a foin de le ramafter dans un creufet particulier qui fert à préparer le verre commun , deftiné à des ouvrages de moindre conféquence. Voilà la méthode que j’ai toujours fuivie pour faire le criftal,
Notes de Merret fùr le Chapitre IX.
La magnifie eft la caufe de la diverfite' des couleurs dont les unes font plus foncées & les autres plus claires ; ainli que le faffre , elle ne diffère que par la qualité. Il y en a de plus riche en couleur, d’autre plus pauvre & d’autre qui tient le milieu. Les Verriers les plus expérimentés ne peuvent diftinguer ces efpéces que par l’épreuve du four¬neau. Ne voit-on pas outre cela que les matières prennent des couleurs différentes , quoique préparées de la même juaniere ôc avec les mêmes ingrédients, luiyant la nature des creufets
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creufets dans lefquels on les fait fondre ? Il faut donc que le Verrier ne mêle fes couleurs que petit à petit & par in¬tervalle fans fuivre ni poids ni niefure ; attentif feule- nient à remuer la matière du verre , & ne confultant que les yeux fur la couleur: fi elle eft trop claire, il ajoutera de ces matières jufqu’à ce quil obtienne celle qu il de¬mande.
Le fourneau demande un bois fec. Neri recommande par¬tout l’ufage du bois de chêne comme le plus propre à en¬tretenir le feu & adonner une flamme durable. Ferr. 1m- peratus, Livre 14. Chapitre 16. dit que » les Verriers, 35 lorlqu’ils travaillent, préfèrent une flamme vive & forte 3> à une grande flamme , & fe fervent de bois de frêne dont 3> la flamme en s’élevant vers la voûte du fourneau fait fen- * tir fa force aux creufets ». Il eft certain que le frêne donne tm feu très-clair , mais de peu de durée : fi l’on n’a pas foin de l’entretenir fans ceffe , la matière n’entre point en fufion & ne devient point propre à être travaillée. Came- yarius vante avec raifon l’ufage du bois de Genevrier, mais d faudroit pouvoir s’en fournir en quantité. Je ne com¬prends point ce que Pline entend lorfqu’il dit que le verre fe cuit avec un bois ieger & fec , ni comment Plutarque a pu dire que le Tamarifque eft le plus propre à faire du verre ; car il eft impoflible avec ces fortes de bois de produire un feu tel que le verre le demande. Je ne puis m’empêcher de parler ici d’un effet du feu dont il eft fait mention dans les Médecins Arabes & dans leurs Commentateurs : ils prétendent que le verre calciné , fi on y mêle de l’éponge brûlée, eft un remède contre la pierre des reins & de la Veflie, & guérit les ulcères extérieures ; mais la maniéré
’ils indiquent pour brûler le verre ne vaut rien : tout le ftionde fait que le feu le plus violent & le plus durable, ^ent le verre en fufion , mais ne peut jamais le réduire en chaux ou en poudre. L’Auteur ait qu’il faut é’eindre le Verre dans l’eau, de peur qu’en le travaillant il ne vienne à pouffer fon fel vers la furface : ce fel alcali que les Fran¬çois nomment Juin ougraijje de verre > & les Anglois pat
contra&ion fandever, efttout blanc, a un goût nitreux & fe difToi.it facilement à l’air & à l’humidité. Nos Verriers ne font point dans l’ufage de faire l'extinction de la ma¬tière du verre dans l’eau pour en féparer le fel ; mais iis le ramaffent avec des cuilliers, lorfqu’il nage fur la furtace de la matière: en effet, fi l’on n’avoit pas foin d’ôter cette écume, le verre deviendroit moins propre à être travaillé, plus fragile & moins flexible. Un creufet qui contient deux cens livres de la meilleure mâtierè , donnera jufqu’à cinquante livres de fel alcali : moins le fel dont on fe fera fervi fera fort & moins les cendres feront âcres ; plus on aura de fel alcali: la différence en quantité donnée parles compofitions, va jufqu’à une cinquième ou fixiéme partie. Si la compofition eft de verre commun & que les cendres foient mauvaifes, les Verriers feront obligés, à caufe de la grande quantié de fel alcali qui fe formera , de remettre des cendres dans le creufet jufqu’à.cinq & fix fois, pour qu’il foit plein de matière. Tant qu’il y aura du fel alcali, ilne faudra pas jetter de l’eau froide dans les pots, pour empêcher le bouillonemennt du verre. Si l’on avoit cette imprudence, les creufets & le fourneau fe rompraient avec violence. Le fel alcali aide auffi à la fufion des métaux. Si dans la préparation du crocus mctallorum l’on en mêle un peu avec l’antimoine & le nître, il augmentera la quantité du crocus & facilitera la féparation des fcories : ce fel fe trouve abondamment en France, & les Habitans s’en fer¬vent au lieu de fel commun pour préparer leurs alimens. Sa diffolution verfée dans les allées des jardins, tue les vers & détruit les mauvaifes herbes. On appelle cols, les reftes de verre qui s’attachent aux cannes de fer: On a foin de les détacher chaque fois, avant que- de tirer de nou¬velle matière du creufet. On met ces reftes à part, on les broyé, & en les mêlant avec d’autres matières, on n’en peut faire qu’un verre commun, quand même ils vien¬draient de la meilleure matière.
Remarques de J. Kunckel fur le Chapitre I X.
L’Auteur enfeigne dans ce Chapitre la façon d’emploier la magnifie, Sui n’eft autre chofe , comme il a déjà été dit, que ce que les Verriers appellent en Allemand Braunftein. On pourroitla nommer favonde 'verre. On peut avoir à bon marché celle qui fe rrouve dans le Hartz, dans la Mifnie, en Bohême, & elle n’eft inférieure en rien à celle de Piémont, dont parconféquent nous pouvons aifément nous pafler en, Allemagne. Si on mêle la magnéfie à un verre qui eft verdâtre ; après Qu’elle fera fondue, la couleur du verre tirera un peu fur.le noir , & k verre deviendra plus clair & perdra fa couleur verte. Malgré cela on auroit tort de le flatter que ce verre dût reflembler à un criftal, ou dût être auflî beau que celui qui fe fait en pîufieurs endroits d’Alle¬magne. Peut-être étoit-il plus beau que celui qu’on faifoit du tems de l’Auteur ; mais on fe fert aéluellcment d’une méthode beaucoup meilleure & que je communiquerois volontiers aux amateurs, fi des raifons particulières ne m’en empêchoient. * Néantmoins ceux qui Voudront avoir un beau verre fait à la façon des Vénitiens , y parvien-dront fort bien en fuivant les règles de l’Auteur & furtout en obfcr- vant d éteindre fouvent la matière dans l’eau, comme les Verriers font allez dans l’ufage défaire, quoiqu'ils n’obfervent pas toujours cette circonftance.
CHAPITRE X.
De la maniéré de faire le verre crijlallin & le verre,
blanc 3 autrement dit le verre commun.
EN mettant la Fritte faite avec la poudre de Roquette dans les creulets, l’on aura un verre blanc ou verre commun; l’on a fuffifamment ex¬pliqué enfon lieu la maniéré défaire la fritte avec
* Malgré miftérirux que Kuncl la fin de fes notes fur le premier Livre kel prend ici, il nela’flera pas de com- [de Neri.] muniquer le fecret dont il parle, à 1