CHAPITRE VIII.
Maniéré de faire la Fritte ordinaire avec la Roquette & la Soude d’Efpagne.
Les APRiTTE n’eft autre chofe que la calci¬nation des matières dont on fait le verre ; car quoique ces matières puftent fe fondre fans calcination & fe vitrifier, cela n’arriveroit pas fans une grande perte de tems & fans un travail très- pénible : c’eft pour éviter ces inconvéniens que l’on a imaginé la méthode de calciner la fritte dans le fourneau : car ft elle eft bien calcinée ; qu’on ait bien obfervé les dofes des matières , & qu’on ait eu égard à la bonté de la foude ; le mélange
[33] Lnge fe fondra & fe purifiera très-promptement dans les creufets. La fritte faite avec la foude d Efpagne donne un verre blanc , mais commun. Celle quieft faite avec la roquette orientale donne Un très-beau verre, qu’on nomme Criflallin. La foude d’Efpagne , quoique plus grade que d’autres ~~‘s > ne produit qu’un verre tirant fur le bleu. °ur que tout le falfe dans les réglés, il faut palier a poudre par un tamis très- ferré : ce qui ne pourra Pas palferau tamis, ne doit être pilé que dans un portier de pierre , de peur que , fi l’on fe lervoit ? un mortier de métal, il ne s’y attachât de la coueur : on obfervera la même chofe pour la ro-quette & la foude ; car c’eft de l’ulàge des tamis urrés & du bois fèc que dépend toute la beauté du l'ouvrage. A l’égard de la quantité de foude de tarie , if faut mettre communément 8y à 5>O liv. de tarfe bien pilé en bien tamifé , fur ioo livres de foude : il faudra cependant fe régler fur la bonté de cette derniere matière ; c’eft en l’ef- fayant que l’on pourra s’en aflurer. On obfervera toujours de mêler à cent livres de fritte , fix ou nuit livres dufable qui le trouve en Tofcane dans y vallée d’Arno. Il eft plus gras, &c contient plus du fel qne Je tarfe. Pour faire un beau verre , on aura loin de bien laver & nétoyer ce fable & de ae paftèr au tamis. Néantmoins le tarfe fait un ^urre bien plus beau que toutes les autres efpéces de fable qui fe ramalfenten Tofcane. Lorfqu’on aura trouvé la dolè convenable de fable ou de tarfe , il faudra commencer par les mêler avec la foude ou roquette,mettre ce mélange, en l’éten¬dant , dans le fourneau de calcination, & obfer- ver de remuer continuellement la matière avec un rable, pour qu’elle fe calcine mieux : l’on con¬tinuera ce travail pendant cinq heures, & l’on aura foin d’entretenir un feu toujours égal, julqu’à ce que la fritte fe forme en malfes ou en morceaux de la grolfeur d’une noix. Si l’on fait ce qui vient d’être dit, ce tems fulfira pour mettre la fritte au point où elle doit être: le moyen de s’en aifurer, fera de tirer un peu de la matière & de voir, lorf- qu’elle fera refroidie, fi elle eft légère & d’un blanc tirant un peu fur le jaune ; alors il n’y man-quera rien. Cependant on pourra faire calciner la matière pendant plus de cinq heures. Car plus on la remuera de plus on la fera calciner, mieux elle fe fondra dans les creufets : en reliant long-tems dans le fourneau à calciner, elle fe dégage du jaune qu’elle avoit contraélé , & le verre n’en de¬vient que plus pur. Lorfqu’on retire la fritte toute rouge du fourneau , on l’arrofe de trois ou quatre gobelets d’eau froide. On l’enferme enfuite dans un endroit frais & humide : L’écume qui furna- geoit, lorfqu’on a tiré le fel de la poudre de ro¬quette , fe met dans les mêmes vailfeaux où l’on a mis la leflive ; on verfe de l’eau par defïus, & on reçoit celle qui en découle dans d’autres vafes qu’on a placés au-deffous ; l’on a par-là une lef- five allez âcre que l’on met à part, après l’avoir
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laiffé repofer & fe clarifier : on s’en fert pour ar- rofer à plufieurs reprifes la fritte : après avoir continué de même pendant deux ou trois mois ou davantage (ce qui n’en vaut que mieux) , elle devient dure & compaéle comme une pierre', de forte qu’il faut fe fervir d’inftrumens de fer pour la rompre : quand elle eft à ce point, elle fond en peu d’heures dans les creufets & forme un verre très-blanc & femblableà du criftal ; car la lellive communique fon fel à la fritte , de ç’eft ce qui produit cet effet. Si l’on n’étoit pas à portée d'a- Voir de cette lefftve, il fuffiroit d’arrofer la fritte d un peu d’eau commune, qui fans avoir la même force ne laifferoit pas de faciliter la fufion. La Jfritte demande à être ainfi traitée pen¬dant quelques mois ; de cette façon elle s’aug¬mente , confùme moins de bois , & donne un Verre plus blanc, & plus propre à être travaillé.
Notes de Merret fur le Chapitre VIII.
Le mot de Fritte femble dérivé du mot Italien frittare, * qui lignifie réfioidir ; en effet la fritte n’eft autre choie qu’un tel ou des cendres qui en fe congellant avec le fable ne forment plus qu’une même maffe aveclui.LesAngloisnom¬ment ce mélange batch, ou frottement, quand on le tire du four à calciner. En fécond lieu , lorfque la fritte a com¬mencé à entrer en fufion , les Italiens nomment cette ma¬tière fritelli, & les Anglois little-fritts. Chez les Anciens,
* U me femble quels Docteur Merret s eft trompé dans l’étymologie du mot de jricte qu'il fait venir du mot Italien Jrittzre. Il paroitroit plus naturel de le
dériver du mot latin frigere qui ftgnifie griller ; il fe trouve employé dans ce lens dans Plaute, & Varrondicrr.’ficuœ friflum du froment grillé.
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ce mélange eft nommé par quelques Auteurs îiammwitrum ou terme compofé deà^)a& de dr/w verre ;
c’eft dans ce feus que Pline prend ce mot, Livre XXXVI. Chapitre 26. » Le fable blanc, dit-il, qui fe trouve dans » la mer , à l’embouchure du ffulturne fe mêle avec trois ® parties de nître ; lorfqu’on a fondu ce mélange, on le met » dans d’autres fourneaux , & il s’y forme une maffe qu’on » appelle ammmitrum. On la recuit une fécondé fois, & » pour lors elle fe change en une maffô de verre pur & »blanc.« Cœfalpin en parle d’une façon plus pofitive, en difant , « que du fable & du nître , il fe fait une maffe » que Pline appelle harnwonitrum & qu’on nomme aujour- « d’hui fritte *>. Cette façon de préparer la fritte fait que les matières fe mêlent très exactement & que l’humidité fu- perflue, s’il en refie, s’évapore. La fritte du verre com¬mun étant compofée de matières moins épurées, eu égard à la qualité du fable ôc dès cendres qui y entrent, fe prépare 4 en dix ou douze heures de tems.
Parmi nous, en Angleterre nous faifons ufage de trois dif¬ferentes fortes de frittes. La première eft la fritte de criftal ; elle eft compofée de fel de roquette & de fable. La fécondé eft la fritte ordinaire, elle fe fait avec les cendres de la même roquette ou de la foude , fans en avoir tiré le fel. La troifiéme eft encore plus commune 5 on l’employe pour faire le verre verd; elie fe fait en mêlant indiftin&ement toutes fortes de cendres, fans aucune préparation antérieure 5 ou bien l’on ne fait que mêler des cendres bien pilées au fable dur qui vient de IP'oolivich dans le Comté de Kent. L’on réduit les matières en une poudre très-déliée, on les lave , puis on les tamife& on les mêleenfemble ; on les met enfuite à calciner, afin que les parties puilfent s’unir plus intimement. Si l’on ne prenoit toutes ces précautions, les fels & le fable formeroient deux, maffes féparées; ce qui ne manqueront pas d’arriver encore, fi l’on n’avoit pas foin de remuer très-fou vent le mélange avec un table.
L’Auteur dit qu’il faut fe fervir d’un mortier de pierres la maniéré ufitée à prêtent eft moins embarraffante & plus
[37] commode; on a des moulins pour broyer les cendres en morceaux , la magnéfie & le faffre, tous les fels & l’argille , ce quife fait par le moyen d’une meule de marbre de neuf à dix pouces d’épaifleur, & de fept à huit pieds de diamètre que des chevaux font tourner fur un plan qui eft aufli de marbre ; on y met les matières qu’on veut pulvérifer , & de cette maniéré on fait plus d’ouvrage en un jour que n’en pourroient faire vingt hommes qui pileroient fans relâche.
Nous ne fommespas dans l’ufage d’humeéterla fritte, pi del’arrofer de leflive ; nousfaifons l’ouvrage en peu de jours dans les pots ou creufets ; il eft cependant vrai que d’ar-j
*ofer la fritte, contribue beaucoup à la pureté du verre.
Obfervations de J. Kunckel fur le Chapitre VIII.
Je répété ici que le mot de Fritte n’eft autre chofe que le mélangé des matières qui entrent dans la compofition du verre. Le mélangé indiqué par l’Auteur , de cent livres de fel de foude ou des fels pré¬cédents , & de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix livres de tarfe ( qui n’eft qu’un fable fait avec de beaux cailloux) , ce mélange, dis-je, ne donnerajamais un boncriftal, mais feulement un beau verre ; ce¬pendant il faut bien obferver toutes les réglés que preferit l’Auteur fur ce fujet , excepté qu’il n;eft point néceffaire d’arroferou d’écumer le mélange, cela empêche meme le verre de prendre une certaine con¬fidence , à moins qu’on ne le laiffe enfuite pendant fort long-temsau feu ; il eft vrai que cette leflive communique plus de fel à la fritte , niais on ne doit le fervir de ce moyen que pour la fritte où il entre de la foude, car il ne feroit pas bon d’arrofer celle qui eft faite avec des fels tirés de plantes ou de potaffe : il vaut mieux mettre ces fortes de frittes joutes féches au fourneau.